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Anatomie d’une chute : juger ou rendre la justice ?

Un vent de réactualisation du film de procès semble souffler dans l’esprit des scénaristes français ces dernières années. Anatomie d’une chute (J. Triet, 2023) paraît en constituer l’acmé mais la caméra scrute les palais de manière particulièrement resserrée ces derniers mois : Saint-Omer (A. Diop, 2022) qui s’est également vu auréolé de plusieurs prix, le plus discret Toi non plus tu n’as rien vu (B. Pollet, 2022), la farce Mon crime (F. Ozon, 2023) et nous attendons la sortie prochaine du Procès Goldman (C. Kahn, 2023). Nous pouvons également citer Les choses humaines (Y. Attal, 2021) qui adaptait le célèbre roman de K. Tuil.
Si le genre de film de procès reste farouchement accolé aux films américains avec Douze hommes en colère toujours placé au Panthéon du genre (S. Lumet, 1957) il semble que la Palme d’or 2023 ait tenté de rappeler que l’hexagone n’avait rien à envier à ses célèbres modèles. Anatomie d’une chute, ne cherche d’ailleurs pas à nous enfermer dans une salle d’audience mais incite à nous éclairer sur l’acte de juger en lien avec la nature humaine et plus généralement la valeur de la parole et de l’interprétation.

La rentrée cinéma devrait réjouir les juristes grâce à la sortie fin août de la Palme d’or de cette année. Les juristes pénalistes se donneront pourtant à cœur joie des défaillances du scénario, des aberrations juridiques ou des contradictions patentes qui forment le fond des critiques des films de procès. Toutefois, le juriste cinéphile tentera de s’abstraire de toutes ces imperfections pour plonger au cœur du film et lui trouver tout de même un attrait juridique au-delà d’une représentation parfois faussée de la procédure : finalement qu’est-ce que juger ?

Plus globalement, que signifie émettre un jugement dans le sens d’une opinion, face à un verdict et à la rigueur du droit ? Justine Triet tente justement de décortiquer cette confusion sémantique dans le langage courant et dans le langage juridique en les réunissant dans ce qui constitue le sanctuaire du jugement : une salle d’audience.

« Pourquoi appelons-nous « jugement » l’acte de juger ? Au regard de l’histoire de la langue, ce mot constitue une surprise, sinon une anomalie » avait pu justement souligner R. Jacob (La grâce des juges, PUF, 2014, p. 201)

Le « jugement » convoque en effet des théories dans des domaines extrajuridiques : la sociologie, la philosophie ou encore la psychologie s’y sont intéressées et l’ensemble des significations dans ces matières ne renvoie pas seulement à l’acte du juge institutionnel. Dans ces perspectives, le jugement n’est pas synonyme de verdict mais il est parfois proche du préjugé et de tout ce qu’un homme ou une femme peut penser sans connaître la...

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