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Anéantissement de la vente : restitution des fruits seulement en cas de bonne foi

Si la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue une conséquence légale de l’anéantissement du contrat, le juge ne peut la prononcer d’office dès lors qu’une telle restitution est subordonnée à la bonne foi du possesseur.

par Guy Tamwa Tallale 8 mars 2021

Les praticiens du droit, spécialement les juges et les avocats, tireront de précieux enseignements de l’arrêt rapporté. Le premier porte sur l’étendue des pouvoirs du juge, qui ne peut, à la suite de l’anéantissement du contrat, prononcer d’office la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente. Le second porte sur l’étendue du devoir des avocats, qui doivent, en conséquence de la demande d’anéantissement du contrat, former dans le dispositif de leurs conclusions une demande explicite de restitution des fruits générés par le bien depuis la vente.

Office du juge en matière de restitution des fruits

Après la vente d’un immeuble à usage d’habitation par une société, l’acheteur l’avait assigné en résolution pour vices cachés. La cour d’appel prononça la résolution de la vente et, en conséquence, ordonna la restitution du prix par la société venderesse et la restitution de l’immeuble par l’acheteur. Elle refusa cependant d’ordonner la restitution des loyers perçus par l’acquéreur avant le prononcé de la résolution à la société venderesse. Pour justifier ce dernier point, les juges relevaient que la société venderesse « n’avait formé dans le dispositif de ses conclusions aucune demande à ce titre ».

La société venderesse forma un pourvoi en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir violé les articles 1641 et 1644 du code civil. Selon le pourvoi, la résolution de la vente d’immeuble entraîne comme conséquence légale la restitution de l’immeuble, mais aussi des loyers générés par cet immeuble. Le juge qui prononce cette résolution est dès lors tenu de prononcer la restitution aussi bien de l’immeuble que de ses fruits, c’est-à-dire des loyers générés entre la date de conclusion du contrat et sa résolution. Dès lors, en excluant les loyers du champ des restitutions consécutives à la résolution simplement parce qu’aucune demande n’avait été faite à ce titre dans le dispositif des conclusions de la société venderesse, la cour d’appel aurait violé les articles ci-dessus.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question suivante : le juge qui prononce la résolution de la vente d’un immeuble est-il tenu de prononcer la restitution des loyers générés par le bien entre la date de la conclusion de la vente et la date de la résolution ? La question portait donc sur l’office du juge en ce qui concerne la restitution des fruits consécutive à la résolution du contrat.

La réponse de la Cour de cassation peut être divisée en trois propositions : la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue, certes, une conséquence légale de l’anéantissement du contrat ; cette restitution est cependant subordonnée à la bonne foi du possesseur ; le juge ne peut par conséquent pas la prononcer d’office.

La première proposition, selon laquelle « la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue une conséquence légale de l’anéantissement du contrat », n’est pas nouvelle.

En effet, le principe de la restitution des fruits en conséquence de la nullité ou de la résolution du contrat est admis de très longue date par la Cour de cassation (v. not. Civ. 21 déc. 1903, DP 1908. 1. 377) et a été réaffirmé à plusieurs reprises (Civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667, Bull. civ. III, n° 263 ; 27 nov. 2002, n° 01-12.444, Bull. civ. III, n° 244 ; D. 2003. 40 ; RDI 2003. 171, obs. M. Bruschi ; 1er oct. 2020, n° 19-20.737, D. 2020. 1952 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ). Cependant, en utilisant l’expression « anéantissement du contrat » alors que le litige ne concernait que la résolution, la Cour donne à la solution une portée générale et englobe ainsi toute cause d’anéantissement du contrat dès lors qu’elle entraîne des restitutions. La solution va nettement dans le sens de la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 (non applicable à l’espèce), qui reformule clairement le principe (C. civ., art. 1353-3, al. 1er) et qui prévoit un régime général des restitutions, quelle qu’en soit la cause (v. C. civ., art. 1178, al. 3, sur la nullité, art. 1187 pour la caducité, art. 1229, al. 3 pour la résolution, qui renvoient aux art. 1352 à 1352-9 sur les restitutions).

Si la seconde proposition (« en application des dispositions des articles 549 et 550 du code civil, une telle restitution est subordonnée à la bonne foi du possesseur ») n’est pas nouvelle en soi, c’est l’utilisation qui en est faite, pour justifier l’office du juge en ce qui concerne les fruits, qui est novatrice.

En effet, traditionnellement, en cas d’anéantissement du contrat de vente, l’acheteur est considéré comme ayant été possesseur (Civ. 21 déc. 1903, préc.). Dès lors, en application des articles 549 et 550 du code civil, il ne doit restituer les fruits que s’il est de mauvaise foi (Civ. 8 janv. 1936, DH 1936. 97 ; Civ. 3e, 28 juin 1983, n° 81-14.889, Bull. civ. III, n° 148 ; 27 nov. 2002, n° 01-12.444, préc.), et il peut faire siens les fruits s’il est de bonne foi (Com. 2 févr. 2016, n° 14-19.278, D. 2017. 375, obs. M. Mekki ; RTD civ. 2016. 347, obs. H. Barbier ). La Cour de cassation ne fait donc ici que rappeler cette solution ancienne selon laquelle le possesseur de bonne foi est dispensé de restituer les fruits en cas d’anéantissement du contrat.

Or c’est justement parce que la restitution des fruits dépend de la bonne ou de la mauvaise foi du possesseur que l’office du juge se trouve affecté. Puisque l’anéantissement du contrat ne conduit pas « nécessairement » à la restitution des fruits, la Cour en déduit ici que le juge ne peut la prononcer d’office, et c’est en cela que cette proposition prend une nouvelle signification.

La troisième proposition, aux termes de laquelle « le juge ne peut […] prononcer d’office [la restitution des fruits] », constitue alors l’apport de l’arrêt.

La Cour de cassation s’était déjà prononcée sur l’office du juge en matière de restitution consécutive à l’anéantissement du contrat. Cependant, la solution portait sur la restitution de la chose ou du prix, que le juge peut prononcer d’office (Civ. 3e, 29 janv. 2003, n° 01-03.185, RTD civ. 2003. 501, obs. J. Mestre et B. Fages  ; JCP 2003. II. 10116, note Y.-M. Sérinet). Le juge n’a que le pouvoir de le faire ; il n’en a pas l’obligation. En bref, le juge n’a que la « faculté » d’ordonner d’office la restitution de la chose ou du prix, en conséquence de l’anéantissement de la vente, si aucune demande explicite n’a été faite à ce titre (Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 15-17.317, Bull. civ. I, n° 123 ; Dalloz actualité, 16 juin 2016, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2016. 1199 ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; RTD civ. 2016. 854, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016. 836, obs. B. Bouloc ; Civ. 3e, 6 févr. 2019, n° 17-25.859, D. 2019. 310 ).

On pouvait alors se demander si le juge a cette même « faculté » lorsqu’il s’agit de prononcer la restitution des fruits de la chose. La Cour de cassation répond résolument par la négative : le juge ne peut pas prononcer d’office la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente en cas d’anéantissement du contrat. La partie qui réclame la restitution doit donc formuler une demande explicite en ce sens dans le dispositif de ses conclusions.

Cette solution demande cependant à être précisée : pourquoi est-ce que l’application des articles 549 et 550 du code civil fait obstacle au pouvoir du juge de prononcer d’office la restitution des fruits ? La bonne foi justifie, certes, que le possesseur soit dispensé de la restitution des fruits ; du moins jusqu’au moment de la demande de résolution ou de nullité (Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 19-20.737, Dalloz actualité, 22 oct. 2020, obs. Y. Strickler ; D. 2020. 1952 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ). Il faut cependant préciser pourquoi cette bonne foi s’oppose à ce que le juge prononce d’office la restitution des fruits, alors même qu’il a ce pouvoir lorsqu’il s’agit de la chose ou du prix.

On pourrait expliquer la solution en considérant que la restitution de la chose ou du prix en cas d’anéantissement de la vente est un des effets « principaux » de la rétroactivité, qui implique la remise des choses dans le même état qu’avant la vente. La demande en nullité ou en résolution de la vente contiendrait alors « virtuellement » la demande de restitution de la chose ou du prix ; plus exactement, la demande de restitution de la chose ou du prix serait « l’accessoire, le complément ou la conséquence nécessaire » (C. pr. civ., art. 566) de la demande en nullité ou en résolution. C’est l’effet quelque peu « naturel » de l’anéantissement de la vente qui pourrait justifier que le juge ait une certaine liberté de « suppléer à la carence des plaideurs » (M.-E. Pancrazi, Droit du contrat [ss la dir. de B. Fages], Lamy expert, 2020, n° 1561) qui n’ont pas formulé une demande explicite en ce sens.

Tel n’est pas le cas de la restitution des fruits, qui serait plus un effet « accidentel » ou « secondaire » de la demande en anéantissement, car elle « est subordonnée à la bonne foi du possesseur » selon l’expression de la Cour. Il n’est dès lors pas possible d’y voir une demande accessoire, complémentaire ou une conséquence nécessaire de la demande principale d’anéantissement du contrat. Le créancier de la restitution doit par conséquent faire une demande explicite à ce titre et le juge ne peut la prononcer d’office.

Quelle que soit l’explication qu’on puisse retenir, il est certain que le juge ne peut prononcer d’office la restitution des fruits en conséquence de l’anéantissement du contrat. Les avocats seront par conséquent vigilants à formuler explicitement une demande en ce sens dans le dispositif des conclusions, sous peine de voir une telle demande rejetée, et même de voir leur responsabilité engagée (Civ. 1re, 15 mai 2007, n° 05-16.926, Bull. civ. I, n° 193 ; D. 2007. 1594 ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD com. 2008. 172, obs. B. Bouloc ).

Bien que l’arrêt soit rendu à propos de la résolution d’une vente d’immeuble et à propos loyers, la solution s’applique à l’anéantissement de tous les contrats, quelle que soit la nature du bien, dès lors qu’il implique des restitutions ; et il n’y a pas lieu de distinguer entre les fruits civils, naturels ou industriels.

Pérennité de la solution de l’arrêt

On peut se demander si cette solution n’est pas appelée à être abandonnée en raison du nouvel article 1352-7 du code civil (issu de la réforme du droit des contrats du 10 février 2016). Il semble en effet ressortir de cet article que la restitution n’est pas subordonnée à la bonne foi du possesseur, mais que seule l’étendue de la restitution est subordonnée à cette bonne foi : le possesseur de bonne foi doit restituer les fruits, mais seulement à partir de la demande en justice. Le principe de la restitution des fruits posé par l’article 1352-3 du code civil semble faire abstraction de la bonne foi du possesseur, car il dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée ».

Si une telle interprétation de l’article 1352-7 du code civil est retenue, la solution actuelle perd sa justification : puisque seule l’étendue de la restitution est subordonnée à la bonne foi du possesseur, et non plus le principe même de la restitution (comme cela ressort de la motivation de l’arrêt), on pourrait en déduire que le juge doit avoir le pouvoir de la prononcer d’office, comme en ce qui concerne la restitution de la chose ou du prix. Cependant, pour certains auteurs, les nouveaux articles ne changeraient rien en pratique, au regard de la jurisprudence antérieure (M.-E. Pancrazi, préc., n° 1593 ; O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 944).

Rien n’est certain sur ce point, et la prudence commande donc aux avocats, d’une part, de formuler explicitement une demande en restitution des fruits et, d’autre part, de tirer profit des textes nouveaux en demandant également la « valeur de la jouissance » de la chose dans le dispositif des conclusions.

Il reste cependant que, si le principe de la restitution des fruits fait désormais abstraction de la bonne foi du possesseur, la solution actuelle perd sa justification et l’office du juge pourrait en être par conséquent affecté. Seul l’avenir nous le dira avec certitude.