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Annulation de la procédure « chaufferie de la défense » : la motivation

Le 11 janvier 2021, le tribunal de Nanterre a annulé l’intégralité de la procédure dans l’affaire dite de la « chaufferie de la défense ». Une décision rare qui mérite un retour sur les éléments de sa motivation et dont Dalloz actualité assure la diffusion.

par Julien Mucchiellile 19 janvier 2021

Lundi 11 janvier, le tribunal de Nanterre a annulé l’intégralité de la procédure dans l’affaire dite de la « chaufferie de la défense » (J. Mucchielli, Procès de « la chaufferie de la défense » : le tribunal annule toute la procédure, Dalloz actualité, 12 janv. 2021). Une décision rare, prise au regard de l’atteinte au droit à un procès équitable, déroulant du délai raisonnable entre le début de la procédure et l’organisation du procès. Le parquet a relevé appel.

Préalablement à l’exposé de ses motifs, le tribunal a rappelé que le cœur de la procédure, un pacte de corruption conclu entre le corrompu allégué, Charles Ceccaldi Raynaud (décédé en 2019), et les corrupteurs, deux prévenus âgés aujourd’hui de 98 ans et 82 ans, avait été mis au jour dès les premiers mois de l’enquête, en 2001. La manœuvre était ainsi exposée au grand jour et portée à la connaissance du parquet de Nanterre, par un signalement de l’administration, le 12 juillet 2001.

Le tribunal relève que les témoins et le prévenu Laurent G… ont décrit le système de pots-de-vin dès 2001 ; que les faits d’abus de bien sociaux ont été dénoncés dès 2002 ; que les montages prétendument illégaux réalisés entre les entreprises concernées ont été précisément exposés par le prévenu Laurent G…, qui reconnaît les faits reprochés, en 2004. Au total, le tribunal retient que « cette première période de neuf ans et un mois » a permis de mettre à jour l’essentiel des faits et des actes constitutifs des délits présumés de favoritisme et de corruption publique.

Sur la période courant du 4 août 2011, date de l’ordonnance de refus d’actes d’instruction complémentaires par le quatrième juge d’instruction, au 9 octobre 2017, date de la dernière notification de fin d’information, le tribunal note : « Marquée depuis plusieurs années déjà par une tendance à laisser certaines des personnes mises en examen ou placées sous le statut de témoin assisté dénoncer les faits délictuels réels ou imaginaires sans les confronter à leurs propres déclarations ou au manque de preuves sérieuses présentées à l’appui de leurs déclarations, l’information pouvait se poursuivre ainsi sous la direction d’un cinquième juge d’instruction sans qu’aucune diligence nouvelle n’y soit apportée malgré la demande insistante et ciblée de la chambre d’instruction, juridiction en charge du contrôle de la poursuite effective de l’information judiciaire. » Le tribunal estime « que la poursuite de l’information judiciaire a été largement vidée de sa substance par l’insuffisance de diligences permettant sa finalisation dans des délais raisonnables et par la succession de magistrats instructeurs, qui n’étaient plus en mesure d’appréhender l’ensemble d’une procédure devenue tentaculaire et lacunaire en ce qui concerne les flux financiers appréhendés et leurs bénéficiaires réels ».

De ce fait, le tribunal a considéré que ni la complexité de l’affaire ni l’attitude des mis en cause ne justifient une procédure de dix-neuf ans et sept mois, et qu’enfin, « la réaction des autorités judiciaires dans la poursuite de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire s’est prolongée de manière totalement inhabituelle dans la pratique de la lutte contre la délinquance économique et financière par l’autorité judiciaire française ».

Sur les conséquences de ce délai déraisonnable, le tribunal note le décès du principal prévenu (Charles Ceccaldi Raynaud), le grand âge de Jean B… (98 ans) et la mauvaise santé de Bernard F…, 82 ans, souffrant de la maladie de Parkinson, les empêchent de se défendre pleinement et personnellement devant la juridiction de jugement. De ce fait, le tribunal estime les droits de la défense « non préservés ».

Le tribunal estime en conséquence que le « caractère non raisonnable du délai de la procédure pénale rend impossible le respect du principe supérieur du droit à un procès équitable, dans la mesure où le passage irrémédiable du temps empêche les prévenus de pouvoir assurer pleinement leur défense, alors qu’ils contestent les faits et clament leur innocence ».

Enfin, le tribunal relève que la violation d’un droit à valeur constitutionnelle doit être assortie d’une sanction effective, rappelant les décisions de 2015 invoquées par la défense, qu’en l’espèce, « la constatation du délai manifestement déraisonnable de la procédure ne saurait avoir pour seule conséquence d’ouvrir aux justiciables concernés un droit à une réparation pécuniaire dès lors que ses conséquences ont pour effet immédiat et direct d’empêcher la tenue de leur procès dans des conditions justes et équitables permettant de préserver les droits de la défense ». Un recours en indemnisation ne serait pas de nature à rétablir l’atteinte manifeste portée aux droits de la défense et « qu’en conséquence, seule la constatation de la nullité de l’entière procédure […] constitue une sanction effective de la violation du droit à un procès équitable ».