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Article
Appel d’une décision statuant sur la seule compétence : bis repetita
Appel d’une décision statuant sur la seule compétence : bis repetita
Il résulte des articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que, nonobstant toute disposition contraire, l’appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat, de la procédure à jour fixe et qu’en ce cas, l’appelant doit saisir, dans le délai d’appel, le premier président de la cour d’appel en vue d’être autorisé à assigner l’intimé à jour fixe.
par Corinne Bléryle 1 septembre 2020
Bis repetita… en effet, la règle exposée au chapô reprend, quasiment à l’identique, l’attendu de principe d’un arrêt rendu le 11 juillet 2019 (Civ. 2e, 11 juill. 2019, n° 18-23.617, C. Bléry, Appel contre une décision se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond : fin de l’incertitude, Dalloz actualité, 16 juill. 2019 ; aussi N. Hoffschir, Précision concernant le domaine d’application des dispositions relatives à l’appel des jugements statuant exclusivement sur la compétence, Gaz. Pal. 5 nov. 2019, p. 53 ; D. 2019. 1499 ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne ). En 2019, c’était l’appel du jugement d’un juge de l’exécution s’étant déclaré incompétent et ayant renvoyé les parties à mieux se pourvoir qui avait suscité l’hésitation ; en 2020, c’est l’appel d’une ordonnance d’un juge de la mise en état statuant sur la compétence du tribunal de grande instance. À un an d’intervalle, la Cour de cassation réaffirme de manière très nette la généralité de l’appel particulier contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat.
Rappelons, comme l’été dernier (v. Dalloz actualité, 16 juill. 2019) que « le règlement des incidents de compétence a été profondément réformé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (pris pour l’application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et entré en vigueur le 1er septembre 2017 ; v. L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 71, n° 1 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 521 s., spéc. nos 530 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, 3e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018/2019, nos 234.04 s. ; J. Pellerin, La réforme de la procédure d’appel : nouveautés et vigilance !, Gaz. Pal. 23 mai 2017, p. 13 ; C. Laporte, Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé, Procédures 2017. Étude 29). Le contredit, supprimé par le décret n° 2017-891, a été remplacé par un appel particulier, à savoir un jour fixe imposé (ou une fixation prioritaire lorsque la représentation n’est pas obligatoire), dont le champ d’application correspond à peu près à celui du contredit, mais qui est élargi : cet appel particulier doit être interjeté pour contester les décisions qui statuent exclusivement sur la compétence. L’appel ordinaire, de son côté, permet la critique des décisions qui statuent sur la compétence et le fond (v. C. pr. civ., art. 83 à 85, issus du décr. n° 2017-891).
Mais la réforme a suscité des « difficultés imprévues »…
L’arrêt du 11 juillet 2019 mettait « fin à une incertitude relative à l’appel ouvert contre certaines décisions statuant sur la seule compétence depuis la réforme de 2017 : appel particulier des articles 83 et suivants ou circuit court des articles 905 et suivants » (Dalloz actualité, 16 juill. 2020, préc.) ; ceci, en retenant la solution nous paraissant « logique compte tenu de la rédaction des textes applicables », à savoir que « c’est l’appel particulier qui doit être exercé… même si la procédure n’est pas des plus simples » (ibid.).
Il est vrai que la question d’une « troisième voie » avait pu se poser, à savoir celle de l’appel immédiat de l’article 776 contre les ordonnances du juge de la mise en état (aujourd’hui prévu à l’article 795 issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019) – exercé selon les modalités du circuit court des articles 905 et suivants (v. C. Bléry, Mise en état : appel particulier sur la compétence versus appel général sur l’article 776, Dalloz actualité, 3 déc. 2018 ; adde L. Mayer, art. préc., n° 16 : peu après la réforme, la professeure se demandait si l’appel des ordonnances du juge de la mise en état ne restait pas soumis à l’article 776, non modifié en 2017 (spéc. art. 776, al. 4, 2°) ; et J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 536, les deux magistrats se prononçaient en faveur de l’appel particulier). La jurisprudence des cours d’appel aussi avait été divisée : il a pu être jugé que c’est la disposition générale de l’article 776 du même code qui régit l’appel immédiat contre les ordonnances du juge de la mise en état (Paris, ord., 10 avr. 2018, n° 17/22332, Dalloz actualité, 3 déc. 2018, préc. ; Paris, 21 sept. 2018, n° 18/02435, Gaz. Pal. 29 janv. 2019, p. 76, N. Hoffschir ; Bordeaux, 5 juill. 2019, n° 18/06614 ; Bastia, 10 juill. 2019, n° 19/00152) ou l’inverse (Versailles, 4 juill. 2019, n° 18/06571 : « la cour rappelle que le terme “jugement ”, utilisé dans les articles 84 et 85 sus visés, est générique et s’applique dès lors à l’ensemble des décisions, y compris les ordonnances du juge des référés ou du juge de la mise en état, par lesquelles le juge se prononce sur la compétence »)…
Il nous semblait qu’après l’arrêt du 11 juillet 2019, la voie à emprunter allait de soi quel qu’ait été le juge de première instance. En effet, la formule très générale de l’arrêt du 11 juillet 2019 permettait, à notre sens, « de résoudre également la difficulté lorsque la décision sur la seule compétence émane du juge de la mise en état » (Dalloz actualité, 16 juill. 2019, préc.). Nous en déduisions que « les articles 83 et suivants l’emportent sur les dispositions de l’article 776, combinées à celles de l’article 905 [que, dès lors,] dans tous les cas où seule la compétence a été tranchée, c’est donc l’appel particulier, jour fixe imposé en représentation obligatoire, qu’il faut interjeter » (ibid.). Cette impression était renforcée par la circonstance que, le même jour, la deuxième chambre civile en formation pour avis avait jugé n’y avoir lieu à avis à propos de la nature de l’appel contre une ordonnance par laquelle un juge des référés ne se prononce que sur sa compétence, sans statuer sur le fond du litige, dès lors que la Cour de cassation avait statué de manière très générale, pour « toute juridiction du premier degré », par l’arrêt du 11 juillet 2019 (Civ. 2e, avis, 11 juill. 2019, n° 19-70.012, préc.). Visiblement, cela n’était pas encore assez évident et la Cour de cassation a dû se prononcer à nouveau, à propos de cette « troisième voie » qu’aurait pu constituer l’appel contre les décisions du juge de la mise en état.
Appel est interjeté contre l’ordonnance du juge de la mise en état d’un tribunal de grande instance ayant dit ce tribunal compétent pour connaître du litige. La cour d’appel déclare caduque la déclaration d’appel, en ce qu’elle vise le chef de décision statuant sur la compétence. Les plaideurs forment un pourvoi en cassation, reprochant à la cour d’appel une violation des articles 776, 905 et 83 et suivants du code de procédure civile (première branche du moyen) et 6, § 1, de la Convention européenne. Ainsi :
• c’était l’appel des articles 776 et 905 qu’il fallait former et non celui des articles 83 et suivants, dont les formes n’avaient pas à être respectées ;
• les appelants ont été privés de leur droit d’accès au juge d’appel, la cour leur ayant opposé des dispositions (les articles précités) dont l’ambiguïté était de nature à les induire en erreur.
La deuxième chambre civile rejette le pourvoi. À propos de la première branche, elle rappelle le principe déjà posé en 2019 (v. 5, dont la teneur est reproduite au chapô) et ajoute une explication de la genèse de la réforme de 2017 (rappelons à cet égard que la Cour de cassation avait appelé de ses vœux la suppression du contredit dans ses rapports de 2014 et 2015) : « l’application de ces textes spécifiques à l’appel d’une ordonnance d’un juge de la mise en état statuant sur la compétence du tribunal de grande instance se fonde sur la lettre et la finalité de l’ensemble du dispositif, dont l’objectif, lié à la suppression du contredit, était de disposer d’une procédure unique et rapide pour l’appel de tous les jugements statuant sur la compétence » (6). Elle réfute également l’atteinte au procès équitable invoquée par la seconde branche, en utilisant notamment une formule qui révèle un certain « agacement » (peut-être moins injustifié que dans certains cas, mais pas aimable pour autant) : « l’application de ces dispositions, sanctionnées par la caducité de l’appel, sauf cas de force majeure, ne pouvait être exclue pour une partie représentée par un avocat, professionnel avisé… » (7).
Si la Cour est « agacée » par le pourvoi, exercé en dépit des termes de l’arrêt du 11 juillet 2019, l’arrêt commenté lui permet cependant de faire œuvre pédagogique, ne laissant plus la moindre place à une hésitation. Nous répéterons donc notre constat de l’an passé, à propos de l’arrêt et de l’avis du 11 juillet 2019 : « la suppression du contredit était vue comme une simplification, il n’est pas sûr que son remplacement par un appel à jour fixe tienne cette promesse. Au moins est-il certain maintenant que cet appel particulier est le seul à être ouvert, quel que soit le juge du premier degré à avoir statué exclusivement sur sa compétence. Voici un (bon) point acquis » (bis repetita), en espérant toutefois que le « clou est bien enfoncé » cette fois-ci (et qu’il n’y aura pas de ter, quater, etc., repetita…) !?
Pour finir, toujours comme à l’été 2019, quelques mots relatifs à la procédure de l’appel particulier, qui elle, n’est à l’évidence pas simple : « en cas d’appel, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel [cela figurait dans l’attendu de principe de 2019, mais pas en 2020, sans que la sanction ait été modifiée], saisir, dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe […] ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire » (art. 84, al. 2), sachant que, « nonobstant toute disposition contraire, l’appel est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d’appel imposent la constitution d’avocat, ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l’article 948 » (art. 85, al. 2).
L’an passé, nous précisions que l’autorisation d’assigner à jour fixe était nécessairement effectuée « par voie papier, puisque la Cour de cassation juge – de manière peu heureuse – qu’il s’agit d’une procédure autonome, non régie par les arrêtés techniques et donc exclue de la communication par voie électronique (v. Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695, Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, obs. C. Bléry ; 6 sept. 2018, n° 17-20.047, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. N. Gerbay ; 7 déc. 2017, n° 16-19.336, Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2542 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 77, obs. N. Hoffschir ; adde C. Bléry et J.-P. Teboul, « Numérique et échanges procéduraux », in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s., n° 12 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 491) ». C’est encore le cas jusqu’au 31 août 2020. En revanche, à partir du 1er septembre 2020, l’arrêté du 20 mai 2020 « ouvre les tuyaux » devant le premier président, plus exactement, alors qu’il y a les tuyaux, il y a, à compter de cette date, le droit de les emprunter (C. Bléry, Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception…, Dalloz actualité, 2 juin 2020). C’est là un progrès, même si nous regrettons cette entrée en vigueur différée (pourquoi n’a-t-elle pas eu lieu le 21 mai comme les autres dispositions de l’arrêté ?) et, surtout, s’il subsiste une incertitude : est-ce une obligation ou une simple faculté de demander l’autorisation d’assigner à jour fixe par réseau privé virtuel des avocats ? S’il semble que l’article 930, alinéa 1er, ne s’applique pas à cette procédure autonome, il sera prudent de choisir la voie électronique tant que la Cour de cassation n’aura pas statué sur ce point…
Les réformes sont rédigées de telle manière qu’une difficulté nouvelle « chasse » une difficulté résolue, ou plutôt des difficultés nouvelles chassent une difficulté résolue : autant dire que le chemin est semé d’embûches, même pour un professionnel, même s’il est avisé…
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