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Appel incident et appel provoqué : de faux jumeaux

À sept mois d’écart, deux arrêts de la Cour de cassation se penchent sur ces faux frères jumeaux que sont l’appel incident et l’appel provoqué, et mettent en lumière leur dissemblance.

par Cyrille Auché et Nastasia De Andradele 22 janvier 2020

L’appel incident et l’appel provoqué ont tous deux en commun de permettre à une partie intimée en cause d’appel de solliciter la réformation d’un ou plusieurs chefs du jugement frappé d’appel.

La similitude s’arrête là : ils obéissent à des règles procédurales profondément distinctes.

Par arrêt du 9 janvier 2020, la deuxième chambre civile résout une question inédite intéressant le formalisme de l’appel incident dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire. Outre la solution apportée, cet arrêt permet de revenir sur un précédent arrêt tout aussi important de la même chambre du 6 juin 2019, lequel concernait le formalisme de l’appel provoqué dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire.

L’appel incident soumis aux dispositions de l’article 911 du code de procédure civile

L’arrêt du 9 janvier 2020 statue sur le formalisme de l’appel incident formé par un intimé à l’égard d’un co-intimé défaillant.

Les principaux événements procéduraux peuvent se résumer ainsi :

• M. X forme, le 15 février 2017, appel d’un jugement à l’encontre d’un sieur Z et d’un sieur Y.

• M. X notifie ses conclusions d’appelant à l’avocat de M. Z le 12 mai 2017.

• M. Z forme un appel incident et signifie ses conclusions à M. Y le 5 juillet 2017 dans le délai de deux mois qui est alors imparti par l’article 909 du code de procédure civile1.

• Le 18 juillet 2017, M. Y constitue avocat devant la cour.

• M. Z notifie à l’avocat de M. Y ses conclusions le 3 août 2017.

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M. Y va soulever l’irrecevabilité de l’appel incident de M. Z au motif qu’étant défaillant, il n’a pas été assigné dans le délai de deux mois ayant couru à compter de la notification des conclusions de l’appelant, soit avant le 12 juillet 2017.

M. Z soutenait pour sa part que :

  • s’agissant d’un appel incident, il avait pour obligation de déposer ses conclusions d’appel incident à l’intérieur du délai qui lui était alors imparti pour conclure (soit deux mois),
     
  • et qu’en vertu de l’article 911 précité, il devait signifier ses conclusions au co-intimé défaillant dans le mois suivant l’expiration de son délai pour conclure (soit 2+1 = 3 mois).

La cour d’appel de Rennes va juger :

  • d’une part, que « l’intimé appelant incident doit faire délivrer une assignation au co-intimé défaillant » et qu’ainsi, la signification des conclusions opérée le 5 juillet 2017 est sans valeur,
     
  • d’autre part, que cette assignation doit être délivrée au « co-intimé défaillant dans les deux mois suivant la notification des conclusions de l’appelant à peine d’irrecevabilité » et qu’ainsi, M. Z ne pouvait se prévaloir de la notification des conclusions d’incident au conseil de M. Y le 3 août suivant.

La cour d’appel de Rennes fait ainsi primer les dispositions combinées des articles 5512 et 683 du code de procédure civile sur celles combinées des articles 909 et 9114 du même code.

Elle applique ainsi à l’appel incident les mêmes règles procédurales que l’appel provoqué.

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes et juge, sans renvoi, que l’appel incident de M. Z à l’encontre de M. Y est recevable.

Elle estime que la seule obligation pesant sur M. Z était de signifier ses conclusions d’appel incident à M. Y, régulièrement intimé par l’appelant, dans les délais prescrits par les articles 909 et 911 du code de procédure civile, soit avant le 12 août 2017, sauf à ce que M. Y constitue avocat avant la signification.

Sans véritable surprise, la deuxième chambre considère que :

  • les conclusions d’appel incident doivent être signifiées au co-intimé défaillant sans qu’il soit besoin de procéder par voie d’assignation,
     
  • l’intimé qui forme appel incident dispose, à compter de la notification des conclusions de l’appelant, d’un délai trois mois5 (2+1) pour signifier ses conclusions d’appel incident au co-intimé défaillant ou les notifier à son avocat s’il se constitue à l’intérieur de ce délai de 3 mois, et ce conformément à sa jurisprudence habituelle6.

L’arrêt de la Cour de cassation tient ainsi compte des spécificités propres à la procédure d’appel avec représentation obligatoire introduites par la première réforme de la procédure d’appel opérée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009.

En effet, l’article 911 du code de procédure civile impose à l’intimé de signifier aux parties défaillantes les conclusions prises dans le cadre de l’article 909 du code de procédure civile.

L’article 909 du code de procédure civile vise quant à lui les conclusions en réponse à celle de l’appelant mais aussi les conclusions portant appel incident.

Enfin, un appel incident peut être formé devant la cour soit contre l’appelant, soit contre un co-intimé ayant constitué avocat, soit, enfin, contre un co-intimé défaillant.

Ainsi, dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, l’intimé appelant incident doit seulement signifier au co-intimé défaillant ses conclusions portant appel incident.

Deux cas de figure se présenteront selon que l’intimé défaillant constitue ou non avocat dans le délai de l’article 9117 :

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Une solution radicalement différente en matière d’appel provoqué

Rappelons que l’appel provoqué est le mécanisme procédural qui permet à un intimé de former appel incident du jugement à l’encontre d’une partie de première instance qui n’a pas été intimée par l’appelant principal dans son acte d’appel.

On retrouve régulièrement cette notion dans les dossiers de construction ; ce qu’illustre d’ailleurs l’arrêt rendu le 6 juin 2019 par la deuxième chambre civile.

Il ressort des termes de cet arrêt que l’État français a acquis auprès de la société Cerep un immeuble qu’elle a fait construire par divers intervenants, dont la société Bouygues.

Se plaignant de la persistance de vices apparents, l’État a fait assigner devant le tribunal de grande instance la société Cerep, laquelle a demandé a être relevée et garantie par divers intervenants, dont Bouygues.

Le tribunal de grande instance a condamné la société Cerep à restituer une certaine somme à l’État et a condamné divers intervenants à la garantir, dont la société Bouygues.

La société Bouygues a relevé appel de ce jugement à l’encontre de la société Cerep sans intimer l’État.

La société Bouygues a conclu le 20 septembre 2016, ouvrant ainsi à l’égard de la société Cerep le délai de l’article 909 du code de procédure civile augmenté du délai de distance de deux mois dont elle bénéficiait en raison de sa domiciliation à l’étranger.

Le 20 janvier 2017 (jour d’expiration du délai 909), la société Cerep a conclu, formant notamment appel provoqué contre l’État.

Le 25 janvier 2017, la société Cerep a signifié l’appel provoqué à l’État.

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La cour d’appel de Paris a jugé cet appel provoqué irrecevable.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Cerep en rappelant, conformément à sa jurisprudence constante8, que l’appel provoqué doit être formé par voie d’assignation dans le délai imparti par l’article 909 du code de procédure civile sans que ce délai puisse être prorogé dans les conditions prévues par l’article 911 du même code.

La solution est là encore parfaitement logique : l’article 911 du code de procédure civile vise l’hypothèse dans laquelle une partie intimée en cause d’appel est défaillante.

Or l’appel provoqué est généralement formé par une partie intimée à l’encontre d’une partie étrangère à la procédure d’appel, ce qui explique qu’en ce qui la concerne, elle doive être assignée dans le délai prévu à l’article 909 du code de procédure civile.

Illustration schématique de la solution :

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Conseil pratique :

Identifier dès la constitution sur l’appel principal la nécessité de former ou non un appel provoqué à l’encontre de parties de première instance non intimées devant la cour.

Mise en garde :

L’intimé doit aussi envisager de former un appel principal dans l’hypothèse où il souhaite absolument poursuivre la réformation du jugement.

En effet, le décret du 6 mai 2017 a introduit à l’article 550 du code de procédure la précision selon laquelle l’appel incident ou l’appel provoqué ne sera pas reçu si l’appel principal est caduc.

 

 

Notes

1. C. pr. civ., art. 909, dans sa rédaction alors en vigueur : « L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ».
2. C. pr. civ., art. 551 : « L’appel incident ou l’appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes ».
3. C. pr. civ., art. 68 : « Les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense. Elles sont faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance. En appel, elles le sont par voie d’assignation ».
4. C. pr. civ., art. 911, dans sa rédaction alors en vigueur : « Sous les sanctions prévues aux articles 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées dans le mois suivant l’expiration de ce délai aux parties qui n’ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ».
5. Attention : 4 mois (3+1) depuis le décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, ayant modifié l’article 909 du code de procédure civile.
6. Civ. 2e, 27 juin 2013, n° 12-20.529 P, Dalloz actualité, 15 juill. 2013, obs. M. Kebir ; D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero ; 4 sept. 2014, n° 13-22.586 P, Dalloz actualité, 19 sept. 2014, obs. M. Kebir ; RTD civ. 2015. 197, obs. N. Cayrol ; 10 avr. 2014, n° 12-29.333 P, Dalloz actualité, 2 mai 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle ; RTD civ. 2015. 197, obs. N. Cayrol .
7. Schémas à jour du décr. n° 2017-891, 6 mai 2017.
8. Civ. 2e, 9 janv. 2014, n° 12-27.043 P, Dalloz actualité, 24 janv. 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 795, obs. N. Fricero ; ibid. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero  ; 27 sept. 2018 n° 17-13.835 P, Dalloz actualité, 26 oct. 2018, obs. R. Laffly.