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Appi, ce logiciel à bout de souffle qu’il devient urgent de remplacer

Alors que son remplaçant est en gestation depuis trois ans, ce logiciel central pour la gestion des personnes placées sous main de justice a connu un crash monumental en janvier.

par Gabriel Thierry, journalistele 15 février 2023

Il s’appelle Prisme, pour Probation, insertion, suivi, mesure et évaluation. En chantier à la direction de l’administration pénitentiaire depuis 2019, ce progiciel de gestion des dossiers de personnes placées sous main de justice doit permettre de fiabiliser et sécuriser l’enregistrement des données ou encore de gagner du temps en évitant des ressaisies entre différents logiciels, selon la présentation transmise aux organisations syndicales en mai 2022.

Mais près d’un an plus tard, certains doutent que ce chantier informatique à 20 millions d’euros soit achevé prochainement. Alors que son déploiement devait être finalisé au départ à l’été 2023, « l’administration pénitentiaire a manifestement pris du retard », a ainsi remarqué récemment le syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire. Le ministère table en effet désormais sur une expérimentation sur un site pilote au cours du quatrième trimestre 2023 avant une généralisation courant 2024.

Pourtant, l’arrivée de cet outil devient urgente. En témoigne le crash monumental qu’a connu courant janvier le logiciel actuellement utilisé, Application des peines, probation et insertion (Appi). Cette application, qui permet de centraliser et de partager les informations relatives au suivi des personnes condamnées, a en effet connu des dysfonctionnements « lourds » de plusieurs jours à plusieurs semaines, synonymes de « difficultés exceptionnelles », a ainsi résumé à Dalloz actualité Alexandre De Bosschère, le secrétaire général adjoint du ministère de la Justice.

Logiciel à bout de souffle

Déployé à partir de 2005, Appi ne fait pas partie des logiciels les plus décriés par les usagers du ministère, comme le progiciel des services pénaux Cassiopée, qui avait connu l’an passé une panne spectaculaire, ou encore son équivalent pour la chaîne civile, Winci. Mais ce logiciel, qui fonctionne « uniquement sur l’interface obsolète qu’est internet explorer », souligne le Syndicat de la magistrature, accuse désormais le poids des ans.

Ses utilisateurs remarquent ainsi des dysfonctionnements de plus en plus réguliers ces derniers mois, alors qu’il s’agit d’un outil de travail central. « Ce logiciel, c’est notre lien avec les juges d’application des peines, qui nous saisit avec cet outil. Et c’est avec sa fonctionnalité d’agenda que nous faisons nos convocations », détaille à Dalloz actualité Benjamin Bons, l’un des secrétaires nationaux de la CGT Insertion probation.

Mais que s’est-il exactement passé ? Selon le ministère de la Justice, des premiers incidents ont été signalés aux équipes techniques à partir du lundi 9 janvier. Puis les difficultés se sont accentuées, avec une application littéralement victime d’embolie et noyée sous le flot de requêtes. Elle cessait ainsi d’être accessible en journée, avant de devenir à nouveau accessible en soirée, le week-end ou le matin. Autant de problèmes qui ont obligé la Place Vendôme à passer en « mode crise » à partir de la semaine du 23 janvier.

Retour à la normale début février

Les informaticiens soupçonnent d’abord la mise en place d’une nouvelle version, courant janvier, d’être à l’origine des problèmes d’accès à l’application. Ils tentent également d’allouer plus de ressources à l’application pour résoudre les difficultés. Mais dans le courant de la semaine suivante, ils comprennent qu’il y a un problème plus général avec le fonctionnement intrinsèque de la base de données. La solution permettant le retour à la normale est alors déployée dans les premiers jours de février.

« Concrètement, les nouveaux dossiers ne pouvaient pas être enregistrés, se souvient une juge de l’application des peines de Créteil. Alors qu’Appi permet de fusionner des trames, nous avons dû reprendre cela manuellement, soit une perte de temps assez considérable. C’était particulièrement problématique pour les magistrats de permanence qui doivent gérer des dossiers qu’ils ne connaissent pas forcément. Et les greffiers étaient presque au chômage technique. Désormais, le logiciel marche très bien, mais à chaque fois qu’on l’ouvre, on prie pour qu’il fonctionne normalement. »

Être « plus réactifs »

Des dysfonctionnements qui ont d’abord suscité de la colère, puis de la résignation d’agents désabusés, remarque cette magistrate, qui pointe un manque de communication. Un message visiblement déjà entendu au ministère. Outre de nouveaux correctifs en production pour améliorer encore la rapidité du logiciel, le secrétariat général planche de façon plus générale sur la création d’un « comité de suivi des incidents ». « Il faut qu’on soit plus réactifs”, estime Alexandre De Bosschère, qui compte également sur le déploiement de la centaine de techniciens attendus en juridiction, en cours, pour soutenir les utilisateurs.

« On sait que le ministère part de loin, mais l’exaspération des magistrats face à ce genre de dysfonctionnements est renforcée par les déclarations du ministre qui nous promet la lune », souligne Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistrature. Une référence aux annonces du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui avait insisté début janvier sur l’important « défi numérique ». Son plan de transformation numérique vise d’ici 2027 un ministère zéro papier entièrement numérisé. Un objectif en sérieux décalage avec le quotidien des utilisateurs d’Appi le mois dernier.