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Application de plein droit de la procédure à bref délai : ça se complique

Sur appel d’une ordonnance de référé fixée à bref délai, l’avocat de l’appelant qui a préalablement fait notifier son acte d’appel et ses conclusions à son confrère constitué pour l’intimé n’a pas, à réception de l’avis de fixation à bref délai, à les lui notifier de nouveau. Mais, la procédure à bref délai s’appliquant de plein droit, le point de départ du délai d’un mois de l’intimé pour conclure court à compter de la notification des conclusions de l’appelant reçues avant la réception de cet avis.

par Romain Lafflyle 18 novembre 2020

Voilà une décision qui, par sa première réponse, ne lassera pas de conforter les avocats. Et pour la seconde, peut-être, de les effrayer.

Une société et son administrateur relèvent appel devant la cour d’appel de Nîmes d’une ordonnance de référé ayant constaté l’acquisition de la clause résolutoire au profit d’une société civile immobilière (SCI) bailleresse. En appel, la SCI intimée est placée en liquidation judiciaire et son liquidateur judiciaire est appelé en cause. L’affaire est instruite à bref délai selon la procédure des articles 905 et suivants du code de procédure civile et le 8 mars 2018, le président de la chambre juge caduque la déclaration d’appel, décision confirmée sur déféré faute pour les appelants d’avoir notifié l’acte d’appel dans le délai de dix jours à réception de l’avis de fixation à bref délai et leurs conclusions dans le mois suivant cette réception. Sur pourvoi en cassation, l’administrateur judiciaire et le liquidateur judiciaire de la société appelante – placée depuis, elle aussi, en liquidation judiciaire – reprochaient en premier lieu à la cour d’appel d’avoir constaté cette caducité alors qu’avant même la réception de l’avis « article 905 », ils avaient fait signifier la déclaration d’appel à l’intimé et notifié cette même déclaration à l’avocat de l’intimé constitué. Par ailleurs, ils arguaient que la cour d’appel ne pouvait déclarer caduque la déclaration d’appel par application de l’article 911 du code de procédure civile, motif pris qu’ils n’avaient pas notifié à nouveau leurs conclusions à l’avocat de l’intimé, postérieurement à la réception de cet avis de fixation à bref délai, alors que celles-ci avaient été notifiées antérieurement à cet avis.

L’arrêt sur déféré est cassé et annulé et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Montpellier. D’une part, au visa des articles 905-1 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, invoqués par les demandeurs au pourvoi, la deuxième chambre civile rappelle qu’« il résulte de la combinaison de ces dispositions que l’obligation faite, par le premier de ces textes, à l’appelant de notifier la déclaration d’appel à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué, dans le délai de dix jours de la réception de l’avis de fixation à bref délai qui lui est adressé par le greffe, n’est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration d’appel ». Et, d’autre part, sur les autres branches du moyen, au visa des articles 905, 905-2, alinéa 1, et 911 du code de procédure civile, elle estime :

« 17. Il résulte du premier de ces textes que lorsque l’appel est relatif à une ordonnance de référé, la procédure à bref délai s’applique de plein droit, même en l’absence d’ordonnance de fixation en ce sens.

18. Il résulte des deux derniers qu’à peine de caducité de la déclaration d’appel, l’appelant doit, au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai, remettre ses conclusions au greffe et les notifier à l’avocat de l’intimé.

19. Pour constater la caducité de la déclaration d’appel et l’extinction de l’instance, l’arrêt retient que les conclusions des appelantes, notifiées le 25 octobre 2017, n’ont pas été notifiées à nouveau au conseil de M. Cambon, ès qualités, après l’avis de fixation, alors que cette notification constitue le point de départ du délai d’un mois dont dispose l’intimé ayant constitué avocat pour remettre ses propres conclusions au greffe et former le cas échéant appel incident ou appel provoqué.

20. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait, d’une part, que les conclusions des appelantes avaient été notifiées avant l’avis de fixation à bref délai, de sorte que le délai d’un mois prévu par l’article 905-2 du code de procédure civile n’était pas expiré, et d’autre part, qu’il était interjeté appel d’une ordonnance de référé, ce dont il résultait qu’à compter de cette notification courait de plein droit le délai d’un mois imparti à l’intimé pour conclure, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Évacuons la première réponse rapidement tant la jurisprudence est fixée. Il y a toujours un risque à se paraphraser, et si ter repetita placent, à partir de quater, la raison commande de s’arrêter là. Le lecteur qui découvrirait avec cet arrêt la solution pourra en tout cas se reporter aux trois précédentes décisions, toutes publiées, rendues par la Cour de cassation dans des procédures à bref délai comme en circuit classique (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1558 ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 570, obs. M. Jean ; 14 nov. 2019, n° 18-22.167, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 2255 ; 2 juill. 2020, n° 19-16.336, Dalloz actualité, 11 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 1472 ). La seule variante en l’espèce est que l’avocat de l’appelant, qui avait déjà procédé à la signification de la déclaration d’appel, l’avait notifiée à son confrère qui s’était constitué avant la réception de l’avis de fixation à bref délai adressé par le greffe. Dès lors, avait-il à réitérer cette notification à son confrère pour respecter strictement la lettre de l’article 905-1 lui imposant de le faire dans le délai de dix jours de sa réception ? S’il n’y a pas même obligation à notifier, à peine de caducité, la déclaration d’appel lorsque l’avocat de l’intimé se constitue dans le délai de dix jours après la réception de l’avis de l’article 905, on comprendra aisément qu’il n’y a pas nécessité à renouveler la notification lorsque l’intimé se constitue antérieurement à la réception de l’avis et que l’acte d’appel, de surcroît, lui a déjà été notifié.

La réponse à cette première interrogation était connue avant même d’avoir été posée.

C’était loin d’être le cas pour la seconde, relative aux délais pour conclure lorsque l’appelant notifie ses écritures à son confrère avant même la réception de l’avis de fixation à bref délai.

Car, dans cette espèce, l’avocat de l’appelant avait tout fait rapidement. Avant même la réception de cet avis, qui l’oblige à signifier, à peine de caducité relevée d’office, la déclaration d’appel dans un délai de dix jours et ses conclusions dans un délai d’un mois à peine de caducité à l’intimé non constitué, il avait donc notifié son acte d’appel mais aussi ses conclusions à son confrère constitué avant l’avis, lequel intervient, généralement, sous quinzaine après l’enregistrement de l’appel. La cour de Nîmes avait retenu la caducité de la déclaration d’appel faute pour l’appelant d’avoir réitéré cette notification à compter de l’avis du greffe qui impose un délai d’un mois pour dénoncer ses conclusions à l’intimé. Or, si l’article 905-1, qui ouvre le délai d’un mois pour remettre ses conclusions au greffe à compter de l’avis permet à l’avocat de l’appelant de l’attendre pour conclure, rien ne lui interdit d’anticiper sur cette réception (après tout, l’article 905 vise aussi l’urgence). Deux questions sont alors induites. S’il anticipe sur la réception de l’avis, l’appelant doit-il à nouveau réitérer la notification de ses conclusions déjà faite auprès de son confrère constitué ? Quel est alors le point de départ du délai d’un mois de l’intimé pour conclure ?

À la première question, la deuxième chambre répond par la négative en censurant la cour d’avoir estimé qu’une nouvelle notification s’imposait : « les conclusions des appelantes avaient été notifiées avant l’avis de fixation à bref délai, de sorte que le délai d’un mois prévu par l’article 905-2 du code de procédure civile n’était pas expiré ». De la même manière qu’elle juge que la déclaration d’appel n’a pas, à réception de l’avis de fixation à bref délai, à être de nouveau notifié à l’avocat de l’intimé si elle a déjà été signifiée ou notifiée, l’avocat de l’appelant n’a pas à réitérer l’envoi de ses conclusions dans la même situation. C’est peut-être le bon sens mais, en procédure d’appel, cela va mieux en le disant. Le délai d’un mois de l’article 911 pour signifier ses conclusions est un délai ultime. L’appelant bénéficie en réalité d’un délai pour conclure entre son acte d’appel et l’avis de fixation à bref délai, augmenté d’un mois pour signifier ses conclusions à la partie adverse non constituée. Mais l’article 911 prévoit ce délai pour signifier, sous les sanctions prévues notamment à l’article 905-2, seulement « aux parties qui n’ont pas constitué avocat » et au contraire une notification entre avocats pour ceux qui se constituent « entre-temps ». Il n’est pas exclu de conclure avant l’avis de fixation à bref délai. On comprend donc cet « espace-temps » de l’entre-temps comme la période de constitution de l’avocat de l’intimé auprès du greffe, antérieure à l’avis de fixation et jusqu’au délai ultime imposé pour signifier ses écritures.

Mais, comme parfois en procédure civile, le piège ouvert par une partie finit par se refermer sur elle, ce qu’illustre la réponse à la seconde question. Ce n’était pas tout de savoir si l’appelant devait réitérer la notification des conclusions auprès de son confrère, encore fallait-il s’assurer du point de départ du délai d’un mois pour répondre à peine d’irrecevabilité. Or celui-ci est ouvert à compter de la seule notification des conclusions de l’appelant par l’alinéa 2 de l’article 905-2. Restait à savoir si l’intimé pouvait se douter, à réception des conclusions antérieures à l’avis du greffe, que la procédure allait s’inscrire dans une procédure à bref délai. Autrement dit, savoir si le délai pour répondre et former le cas échéant appel incident était d’un mois (art. 905-2) ou de trois (art. 909). Or, pour la Cour de cassation, la solution s’impose comme inhérente à la procédure à bref délai. Elle commence en effet par rappeler (17) que, « lorsque l’appel est relatif à une ordonnance de référé, la procédure à bref délai s’applique de plein droit, même en l’absence d’ordonnance de fixation en ce sens », pour conclure (20) qu’il en résultait « qu’à compter de cette notification courait de plein droit le délai d’un mois imparti à l’intimé pour conclure ». On pourrait ajouter que le dernier alinéa de l’article 911 précise, on l’oublie, que « la notification de conclusions au sens de l’article 910-1 faite à une partie dans le délai prévu aux articles 905-2 et 908 à 910 ainsi qu’à l’alinéa premier du présent article constitue le point de départ du délai dont cette partie dispose pour remettre ses conclusions au greffe ».

Si certaines cours d’appel avaient déjà pu retenir cette approche, d’autres s’en écartaient volontiers tant elle fait peser sur l’intimé la nécessité de connaître la nature même de la procédure. Si l’on pouvait objectiver l’intérêt d’une telle procédure comme accélérateur de mouvement et donc la volonté de l’appelant à se hâter à conclure, il pouvait être relevé, à l’instar de la motivation de la cour de Nîmes, que les droits de l’intimé imposaient à l’appelant d’informer son confrère que la procédure était conduite à bref délai. Or, si les textes imposent une signification de la déclaration d’appel, aucun n’exige que cette information sur l’avis « 905 » soit donnée par l’appelant. On le regrettera mais, si l’on considère que la fixation à bref délai s’applique de plein droit, on l’expliquera. Cette application de plein droit s’impose donc au président de la chambre qui doit fixer l’affaire à bref délai comme aux parties… et avant même que l’avis de fixation soit établi.

Bien que lourde de conséquences, cette solution intrinsèque à la procédure elle-même est-elle si surprenante ? Non, si l’on se réfère à celle déjà retenue sous l’empire de l’ancien texte dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’imposait aucun délai. Lorsque l’appel est relatif à une ordonnance de référé avait dit la deuxième chambre civile, la procédure est soumise de plein droit aux dispositions de l’article 905 du code de procédure civile, de sorte que les parties peuvent s’affranchir de leurs délais pour conclure (au-delà même du délai maximum de trois mois) alors qu’aucune ordonnance de fixation à bref délai n’a été rendue (Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-10.105, Dalloz actualité, 16 mai 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 498, obs. M. Jean ). Une même solution, mais aux conséquences opposées. À l’occasion de cet arrêt, nous invitions les parties à ne pas se réjouir trop vite d’une jurisprudence qui pouvait s’avérer, à l’avenir, avec l’apparition des nouveaux délais imposés en procédure à bref délai, inversement bienveillante si l’appelant avait l’idée de notifier ses conclusions avant même la réception de l’avis. Nous y sommes, la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. Ce d’autant plus que l’application de plein droit de l’article 905 ne concerne pas seulement les ordonnances de référé ou même le code de procédure civile. Sans prétention d’exhaustivité, sont aussi concernés les appels des jugements rendus selon la procédure accélérée au fond, les ordonnances du juge de la mise en état mentionnées aux 1° et 4° de l’article 795, certains appels en matière de procédure collective par application de l’article R. 661-6, 3°, du code de commerce ou de décisions du juge de l’exécution conformément à l’article R. 121-20 du code des procédures civiles d’exécution. Sans considération, bien sûr, de la possibilité toujours offerte à l’intimé de conclure en formant appel incident ou provoqué avant l’appelant…