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Application du délit de fraude dans les concours publics aux organisateurs

Dans un arrêt du 5 juin 2024, la chambre criminelle apporte des éclaircissements inédits sur l’application du délit de fraude dans les examens et les concours publics à leurs conditions d’organisation, de déroulement et délibération. Le manquement aux exigences d’impartialité du recrutement à l’université est directement visé. 

Le 6 février 2024, le Conseil d’État (CE 6 févr. 2024, n° 459160) était pour la première fois directement confronté au localisme dans le recrutement à l’université (A. Legrand, AJFP 2013. 67 ). Le 5 juin 2024, c’est au tour de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Son arrêt se distingue par une interprétation inédite de la loi du 23 décembre 1901 réprimant la fraude dans les examens et les concours publics. Souvent négligée, cette loi est réapparue au centre du débat public avec le risque d’utilisation de l’intelligence artificielle par les candidats lors des examens. Hier encore, la loi du 23 décembre 1901 semblait surtout axée sur les candidats. La chambre criminelle soutient le contraire, en appliquant ce délit de fraude à l’organisation, au déroulement des concours publics et aux délibérations.

Un professeur des universités s’était porté plusieurs fois candidat à des concours de recrutement ouverts par une université pour un poste de professeur de géographie. Ses candidatures avaient été systématiquement rejetées par l’université pour ce poste dont il avait parfaitement le profil. Il déposait alors plainte contre personne non dénommée des chefs de fraude à un examen ou concours publics, de harcèlement moral et de faux devant le procureur de la République puis devant le juge de l’instruction. Ce dernier ordonnait le non-lieu auquel le plaignant interjetait appel. La chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence confirmait l’ordonnance entreprise aux motifs que les prévisions de la loi du 23 décembre 1901 ne s’appliquaient ni à l’organisation, ni au déroulement d’un concours, ni à la sélection du candidat retenu, considérant que ces opérations relevaient du contrôle et de la censure éventuelle du juge administratif.

Le 23 juin 2022, le plaignant s’était pourvu en cassation. Il faisait grief à l’arrêt attaqué de restreindre l’application du délit de fraude aux seuls candidats aux examens et concours publics, tandis que la finalité de la loi de 1901 demandait d’inclure les conditions d’organisation des examens, concours et délibérations. Deux questions étaient alors posées à la chambre criminelle. D’une part, savoir si l’organisation, le déroulement d’un concours public, ainsi que la sélection du candidat retenu entraient dans le champ d’application de la loi du 23 décembre 1901. Et d’autre part, examiner si le localisme universitaire était constitutif d’une fraude au sens de cette même loi.

Reprenant le moyen du requérant, la chambre criminelle prononce la cassation de l’arrêt contesté pour méconnaissance des articles 1 et 2 de ladite loi. Elle estime alors, de manière inédite, que son champ d’application s’étend aux conditions d’organisation, de déroulement des concours et des délibérations. La chambre criminelle a déjà été confrontée à d’éventuels cas de fraude concernant les conditions d’examens et concours publics (organisation, déroulement, délibérations) impliquant par exemple des examinateurs (Crim. 9 mars 1994, n° 93-82.675) ou une commission administrative d’homologation des candidatures (Crim. 3 juin 1993, n° 92-82.112 P). Toutefois, l’application de la loi du 23 décembre 1901 sous cet angle n’avait pas été étudiée de manière approfondie. Par cet arrêt, la chambre criminelle propose une actualisation de cette loi en réponse à la problématique de fraude dans le recrutement au sein de l’université.

L’application du délit de fraude dans les examens et concours publics « quel qu’en soit l’auteur »

Le recrutement frauduleux

Par une interprétation a priori littérale, la chambre criminelle considère que l’article 1 de la loi du 23 décembre 1901 s’applique aux conditions de recrutement à l’université (organisation, déroulement, délibérations). Elle considère que la loi ne fait aucune distinction entre les candidats, les organisateurs et les examinateurs, en insistant sur le fait que toute fraude commise dans les examens et les concours publics constitue un délit, peu importe l’auteur.

Le champ d’application de la loi avait jusque-là principalement été abordé sous l’angle du candidat qui use de manœuvres à son bénéfice, par exemple en se procurant les sujets d’un examen (Crim. 15 mars 1994, n° 92-81.472 ; 28 juin 2016, n° 15-84.032, Dalloz actualité, 29 juill. 2016, obs. A. André ; [Brèves] Caractérisation du délit de fraude commise dans un examen ou concours public et du recel en résultant, Lexbase Droit privé, juill. 2016, n° 662), en se faisant substituer par un tiers (Cass. 19 oct. 1967, n° 67-90.593), ou en fournissant des informations inexactes lors de l’inscription à une épreuve (TA Paris, 8 sept. 2023, n° 232018 ; TA Melun, 14 nov. 2022, n° 2203086). L’analyse à ce jour très relative de la loi du 23 décembre 1901 s’explique dans le recours privilégié des voies disciplinaires prévues dans le code de l’éducation (C. éduc., art. L. 331-3 s.). L’arrêt du 5 juin 2024, à rebours, considère que « toute fraude » englobe a fortiori l’organisation, le déroulement d’un concours et la sélection d’un...

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