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Article

Application rétroactive de la détention de sûreté allemande
Application rétroactive de la détention de sûreté allemande
Le placement en détention de sûreté imposé par nécessité et dans l’optique de traiter le trouble mental du condamné n’est pas considéré comme une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
par Méryl Recotilletle 18 décembre 2018

Délicate, la nature d’une détention de sûreté n’en est pas moins une question déterminante. Si elle n’est pas considérée comme une peine, la mesure échappe aux garanties issues de l’article 7 de la Convention européenne, et notamment au principe de non-rétroactivité. C’est ce dont il était question dans l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 4 décembre 2018.
Le requérant, M. Ilnseher, est un ressortissant allemand qui fut condamné en 1997 à une peine de dix ans d’emprisonnement pour un meurtre motivé par des pulsions sexuelles. Âgé de seulement 19 ans au moment des faits, il était soumis à la loi sur les tribunaux pour mineurs qui n’autorisait pas la délivrance d’ordonnances de placement en détention de sûreté visant les mineurs et les jeunes adultes. Cette possibilité n’a existé qu’à partir du 12 juillet 2008, date de l’entrée en vigueur de la loi du 8 juillet 2008 portant introduction de la détention de sûreté en cas de condamnations prononcées sur le fondement du droit pénal applicable aux jeunes délinquants. Sur la base de ces nouvelles dispositions législatives, le requérant a été placé en détention de sûreté en 2009 (pour la terminologie v. § 104-106 et 157). La mesure a par la suite été prolongée a posteriori par des ordonnances judiciaires qui s’étaient fondées sur des examens psychiatriques ayant mis en évidence un risque élevé qu’il commît des crimes sexuels et violents graves similaires s’il était remis en liberté.
Devant la CEDH, le requérant invoquait les articles 5, § 1 (droit à la liberté et à la sûreté), et 7, § 1 (pas de peine sans loi). Il alléguait que la détention de sûreté qui lui avait été infligée avait emporté violation de son droit à la liberté et de son droit à ne pas se voir infliger une peine plus lourde que celle applicable à la date de la commission de l’infraction. Sur le terrain de l’article 5, § 4 (droit à ce qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de la détention), il se plaignait également de la durée de la procédure de contrôle de sa détention de sûreté. Par ailleurs, sous l’angle de l’article 6, § 1 (droit à un procès équitable), il avançait que l’un des juges ayant ordonné son placement en détention de sûreté avait manqué d’impartialité. Dans l’arrêt de chambre qu’elle a rendu le 2 février 2017, la CEDH a conclu, à l’unanimité, à la non-violation des droits du requérant. Le 15 mars 2017, le requérant a demandé le renvoi de l’affaire devant la grande chambre conformément à l’article 43 de la Convention (renvoi devant la grande chambre). Le 29 mai 2017, le collège de la grande chambre a accepté ladite demande. Le 4 décembre 2008, la CEDH a répondu à l’ensemble des allégations du requérant. Mais parce qu’elle nous semble la plus intéressante, nous nous concentrerons sur la problématique relative à la compatibilité entre l’application rétroactive de la détention de sûreté du requérant et l’article 7, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour répondre à cette question, les juges européens devaient évidemment se demander si la mesure litigieuse constituait une « peine » au sens autonome de cette notion en vertu de la Convention ?
Conformément à sa jurisprudence, la CEDH a appliqué les critères dégagés dans la décision Welch c. Royaume-Uni (CEDH 9 févr. 1995, req. n° 17440/90, AJDA 1995. 719, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1996. 470, obs. R. Koering-Joulin
). Tout d’abord, elle a vérifié si la mesure avait été infligée après une condamnation pour une infraction. Bien que les juges aient noté que l’ordonnance de placement en détention de sûreté n’a pas été adoptée en même temps que la condamnation du requérant, ils ont admis que cette ordonnance était « toutefois liée à la condamnation et lui faisait donc suite » (§ 215). De surcroît, ils ont relevé que, « pour pouvoir ordonner ou prolonger de manière subséquente la détention de sûreté d’un malade mental, il demeure préalablement nécessaire que celui-ci ait été déclaré coupable d’une infraction grave » (§ 227). La détention de sûreté semblait donc bien imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction. Ensuite, la Cour européenne a examiné le critère relatif aux procédures associées à l’adoption de la mesure. Elle a exposé que la décision de placement en détention de sûreté avait été prise par les juridictions pénales, et ce même si les juridictions civiles semblaient mieux à même pour mettre en évidence la visée thérapeutique du dispositif (§ 230). Si le caractère punitif de la détention de sûreté imposée au requérant peut faire l’objet de débats, sa sévérité paraît faire peu de doutes. C’est ce que tend à confirmer l’analyse réalisée par la CEDH de la gravité de la mesure. Dans ses conclusions, elle semble reconnaître la sévérité de la détention infligée lorsqu’elle affirme que « ce type de détention est donc demeuré parmi les mesures les plus lourdes susceptibles d’être imposées en application du code pénal » (§ 231). Et on ne peut que souligner la sévérité de cette mesure : le requérant a fini de purger sa peine le 17 juillet 2008 et aujourd’hui, plus de dix ans après, il est toujours en détention de sûreté. En définitive, et comme le fait remarquer le juge Sicilianos dans son opinion en partie concordante, ces critères « militent pour que la mesure en question soit qualifiée de “peine” au sens de l’article 7 de la Convention ». Pourtant d’autres éléments ont été pris en compte par la Cour européenne des droits de l’homme pour déterminer si la détention de sûreté était ou non une peine. Elle a en effet étendu son analyse en se penchant sur la nature et le but de la mesure prononcée. Elle a largement mis l’accent sur le fait que la détention de sûreté a été prolongée à cause et en vue de traiter les troubles psychiques du requérant ce qui a « modifié la nature et le but de la détention de personnes telles que le requérant et l’a transformée en une mesure ciblant le traitement médical et thérapeutique » (§ 227).
La CEDH a alors conclu que la détention de sûreté n’était pas une peine au sens de l’article 7 de la Convention européenne car elle a été imposée au requérant en raison de la nécessité et dans l’optique de traiter le trouble mental dont il était atteint et eu égard à son passé criminel. De ce fait, les juges ont estimé qu’il n’était pas nécessaire de rechercher si l’imposition de la détention de sûreté et son exécution « ont eu pour conséquence d’infliger au requérant une mesure plus lourde que celle qui était applicable au moment où il a commis son infraction » (§ 237).
Cette décision s’inscrit dans la droite lignée de l’affaire Bergmann (CEDH 7 janv. 2016, n° 23279/14, AJ pénal 2016. 339, obs. L. Gregoire ; Dr. pénal 2016, n° 70, note V. Peltier) et confirme l’existence d’une distinction à l’intérieur de la catégorie des détentions de sûreté (rappr. égal. CEDH, 5e sect., 3 sept. 2015, Berland c. France, n° 42875/10, Dalloz actualité, 18 sept. 2015, obs. E. Autier
; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail
; AJ pénal 2015. 599, obs. C. Margaine
; RSC 2016. 129, obs. D. Roets
). D’un côté, il existe une détention de sûreté « ordinaire » qui ne vise pas à traiter un trouble mental chez le condamné. Celle-ci demeure constitutive d’une peine au sens de l’article 7, § 1, de la Convention sans égard pour l’amélioration des conditions matérielles et des soins (v. par ex. CEDH 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, n° 19359/04, Dalloz actualité, 11 janv. 2010, obs. M. Lena
, note J. Pradel
; AJ pénal 2010. 129, étude J. Leblois-Happe
; RSC 2010. 228, obs. D. Roets
; ibid. 236, obs. D. Roets
). D’un autre côté, dans l’hypothèse d’une détention de sûreté « extraordinaire », c’est-à-dire qui concerne une personne condamnée et atteinte de troubles mentaux, les facteurs indicatifs d’une peine sont éclipsés par la nature et la visée thérapeutique de la mesure. Et c’est bien ce que la CEDH affirme dans l’arrêt du 4 décembre 2018 : « l’élément punitif de la détention de sûreté et son lien avec l’infraction commise par le requérant ont été effacés au point que, dans ces circonstances, la mesure n’était plus constitutive d’une peine » (§ 236). Une telle approche est pour le moins déconcertante. En effet, la CEDH sacrifie un critère d’analyse de la notion de peine qu’elle qualifie elle-même de « crucial » (§ 203) au profit d’un examen casuistique et subjectif reposant sur la mutation de la mesure en dispositif thérapeutique.
Cet attachement de la CEDH aux mutations de la détention de sûreté est d’autant plus déroutant lorsqu’on replace la décision dans son contexte initial, c’est-à-dire un problème de droit transitoire directement lié au principe de légalité des délits et des peines. Traditionnellement, il faut identifier la nature du dispositif pour savoir s’il est une peine et s’il s’applique de façon rétroactive. Or il est difficilement concevable de figer la nature d’une mesure et de dégager son régime d’application dans le temps si celle-ci est en mutation. La solution rendue dans l’arrêt Ilnseher c. Allemagne semble ainsi se heurter à l’exigence de prévisibilité de la loi et au principe de sécurité juridique à laquelle la Cour européenne des droits de l’homme est pourtant attachée (rappelé récemment dans CEDH 4 sept. 2018, Allegre c. France, n° 22008/12, Dalloz actualité, 4 sept. 2018, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2018. 525
).
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