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Appréciation de la proportionnalité du cautionnement au stade de son exécution

La consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée n’est pas modifiée par des stipulations interdisant au créancier le recours à certaines procédures d’exécution forcée. Par ailleurs, cette capacité s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution.

par Jean-Denis Pellierle 8 novembre 2018

Les arrêts relatifs à l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement au stade de la formation du contrat sont fréquents. Il est plus rare que la Cour de cassation soit amenée à se prononcer sur cette question au stade de l’exécution du cautionnement. On relèvera donc avec intérêt l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 17 octobre 2018. En l’espèce, par un acte du 8 juin 2007, le dirigeant d’une société s’était rendu caution envers une banque d’un prêt consenti par cette dernière à sa société. Celle-ci ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution, laquelle lui a opposé la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus.

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 4 mai 2017, condamne la caution à payer à la banque la somme de 231 157,50 euros, outre intérêts au taux de 4,90 % majoré de trois points à compter du 17 juillet 2013, en relevant que le cautionnement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa conclusion et que le patrimoine immobilier de la caution lui permettait, au jour où il a été appelé, de faire face à son engagement.

La caution se pourvut alors en cassation, arguant tout d’abord du fait que l’acte de prêt prévoyait expressément que la banque ne pouvait poursuivre le remboursement de sa créance sur la résidence principale de la caution et de son épouse. Il s’agissait là d’une contrepartie à la garantie Oséo dont la banque avait bénéficié dans l’acte de prêt. Or, en incluant la résidence principale de la caution dans le périmètre de l’actif de celle-ci permettant de faire face à son engagement de caution lorsque celle-ci a été appelée, sans répondre aux écritures faisant valoir que ce bien immobilier ne pouvait être appréhendé par la banque pour le remboursement de sa créance, la cour d’appel aurait violé l’article 455 du code de procédure civile (ce texte prévoit que « Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif »). Mais la Cour régulatrice considère que « la consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée n’est pas modifiée par les stipulations de la garantie de la société Oséo, qui interdisent au créancier le recours à certaines procédures d’exécution forcée ; que la cour d’appel n’était pas tenue de répondre aux conclusions, inopérantes, invoquées par le moyen ; que celui-ci n’est pas fondé ».

Sur ce premier point, la solution est juste : certes, la banque ne pouvait saisir la résidence principale de la caution, mais celle-ci n’en devait pas moins être prise en considération dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement (sur cette question en général, v. P. Simler, Cautionnement. Garanties autonomes. Garanties indemnitaires, LexisNexis, 2015, nos 886 s.) . On sait en effet que cette appréciation, au stade de la conclusion du contrat, ne coïncide pas nécessairement avec le droit de gage général du créancier (rappr. Civ. 1re, 15 nov. 2017, n° 16-10.504, Dalloz actualité, 28 nov. 2017, obs. V. Brémond isset(node/187870) ? node/187870 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187870 : « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. Y. dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil »). Il est logique qu’il en aille de même au stade des poursuites exercées contre la caution. Au demeurant, si la banque ne peut saisir la résidence principale, celle-ci pourrait très bien être vendue par les intéressés.

Un autre argument développé par la caution a cependant fait mouche : celle-ci faisait valoir qu’une autre banque, bénéficiaire d’un cautionnement souscrit le même jour, lui réclamait une somme de 124 905 €, outre 12 200,18 au titre des intérêts de retard et qu’en appréciant la consistance de son patrimoine sans répondre à ces conclusions, la cour d’appel avait violé l’article 455 du code de procédure civile. C’est au visa de ce texte que l’arrêt des juges du fond est censuré : « Qu’en statuant ainsi, alors que la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution, la cour d’appel, qui n’a pas répondu aux conclusions de M. Danzel qui faisait valoir qu’un autre de ses créanciers, la société Banque Palatine, lui réclamait, en sa qualité de caution de la société Autoconsult, le paiement d’une somme de 124 905 €, outre 12 200,18 € au titre des intérêts de retard, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».

Là encore, la solution est parfaitement justifiée au regard de l’article L. 332-1 du code de la consommation, mais elle n’avait curieusement pas été adoptée par la Cour de cassation jusqu’à présent. Certes, il avait déjà été précisé, au stade de la conclusion du contrat, que les autres engagements de la caution devaient être pris en considération quant à l’appréciation de la disproportion du cautionnement dès lors qu’ils avaient été souscrits antérieurement à celui-ci (Com. 12 mars 2013, n° 11-29.030 ; 9 avr. 2013, n° 12-17.891 ; 22 mai 2013, n° 11-24.812, Dalloz actualité, 31 mai 2013, obs. V. Avena-Robardet isset(node/159949) ? node/159949 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>159949 ; Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-23.489, Dalloz actualité, 23 janv. 2015, obs. V. Avena-Robardet isset(node/170645) ? node/170645 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>170645 ; Com. 29 sept. 2015, n° 13-24.568 ; 3 nov. 2015, nos 14-26.051 et 15-21.769, Dalloz actualité, 13 nov. 2015, obs. V. Avena-Robardet isset(node/175592) ? node/175592 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>175592). Mais la chambre commerciale refusait de prendre en compte l’endettement global de la caution au moment où celle-ci est appelée si elle était en mesure d’acquitter l’obligation (Com. 27 mai 2014, n° 13-15.038 ; JCP E 2014. 1462, note crit. C. Albiges). La présente décision revient sur cette solution : ainsi, la disproportion résultant d’autres engagements peut également conduire à la paralysie du cautionnement au moment où la caution est appelée à s’exécuter, ce qui est tout à fait logique. On observera cependant qu’il existe toujours une différence sur le plan probatoire : si la charge de la preuve de la disproportion au stade de la conclusion du contrat pèse sur la caution (Com. 22 janv. 2013, n° 11-25.377), celle de la solvabilité de cette dernière au moment où elle est appelée incombe au créancier (Com. 1er avr. 2014, n° 13-11.313).

La réforme à venir du droit des sûretés devrait aboutir à la modification de la sanction applicable en la matière (sur la réforme, v. Dalloz actualité, 24 oct. 2018, obs. Y. Blandin ).