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Appréciation sur la qualification et portée du testament-partage

En présence de testaments multiples, la volonté des testateurs peut être appréciée globalement. Les défunts ayant opéré un partage sur l’ensemble de leur patrimoine propre et commun, la qualification de testament-partage s’applique même en présence de legs en faveur d’une partie des héritiers. Ces actes visant la totalité des biens communs sont alors totalement nuls.

par Mélanie Jaoulle 23 janvier 2019

Dans cette affaire, monsieur Christian C… et madame Annette T…, mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, sont décédés respectivement les 2 juin 2008 et 11 avril 2011, laissant pour leur succéder leurs quatre enfants : François C…, Patrice C…, Catherine C… et Jérôme C…. Le couple se trouve à la tête d’un parc immobilier conséquent et les années passant, ils commencent à vouloir anticiper l’inéluctable. Ainsi, depuis 1992, les deux époux avaient respectivement rédigé pas moins de trois et quatre testaments olographes successifs, aux mêmes dates et en termes identiques pour les trois plus récents. Ce foisonnement d’actes, les biens en jeu et le trépas des deux parents ne pouvaient que conduire à la mésentente fraternelle !

C’est d’abord Annette T… qui, le 12 novembre 1992, dresse un testament olographe visant au partage de ses biens à cause de mort dont la plus grande partie fut reprise dans son testament de 1996, lequel subordonne son applicabilité à l’absence d’accord entre les héritiers.

Le 27 février 1996, les deux époux dressent chacun un testament olographe au contenu strictement identique. Dans ceux-ci, chacun des époux partageait « ses » biens, attribuant respectivement à François C… et ses enfants une grande maison de Chambon-sur-Voueize, une maison à Patrice, un studio à Catherine C… et une maison appelée « Les Poucets » à Jérôme. Les testaments ajoutaient que le logement sis à Paris devait être vendu afin que le prix de la vente soit partagé entre leurs enfants et que 30 000 F reviennent à chacun de ses petits-enfants.

Trois années s’écoulent et, le 3 février 1999, les époux refont deux testaments identiques dans lesquels, notamment, chacun révoquait toutes dispositions antérieures s’agissant de la grande maison à Chambon-sur-Voueize. En effet, dans leurs nouveaux testaments, chacun des époux prévoyait que cette maison devant revenir à leurs trois enfants Patrice, Catherine et Jérôme ainsi qu’à Sébastien C…, le fils de François. La disposition testamentaire prévoyait néanmoins que leur quatrième fils, François, recevrait une compensation en argent, à déterminer par ses frères et sœur, en déduisant la part de la maison perçue par son fils.

Enfin, le 30 septembre 2003, les époux rédigent à nouveau deux testaments dans lesquels, notamment, chacun léguait à ses enfants Jérôme et Catherine la quotité disponible en toute propriété de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient sa succession. Chacun des époux indiquait qu’il serait attribué en propriété les deux maisons de Chambon-sur-Voueize, ainsi que la maison de Pornichet à Jérôme et l’appartement de Pornichet à Catherine.

Évidemment, les derniers testaments avantageant certains des héritiers au détriment des autres, des difficultés se sont élevées entre eux pour le règlement des successions de leurs parents. Initialement, Annette T… (la mère), Catherine C… et Jérôme C… ont assigné leurs cohéritiers en délivrance des legs contenus dans le dernier testament de Christian C… du 30 septembre 2003. Le tribunal de grande instance de Guéret, par jugement du 17 avril 2015, statuant après le décès d’Annette T… et une expertise ordonnée aux fins d’évaluation des biens dépendant des successions, a notamment déclaré nuls les testaments émis par les deux parents et ipso facto rejeté les demandes de délivrance des legs de quotité disponible opérées par Catherine et Jérôme.

En appel, les juges de Limoges rendent, le 2 mars 2017, un arrêt confirmatif, lequel fait l’objet d’un pourvoi de la part de Jérôme C… (pourvoi principal) et de Catherine C… (pourvoi incident).

La première chambre civile devait alors se prononcer, pour l’essentiel, sur deux points :

• tout d’abord, l’objet et la nature du testament-partage. Ainsi, les demandeurs invitent la Cour de cassation à remettre en cause une telle qualification qui ne se justifie pas en présence de la volonté d’avantager une partie seulement des héritiers ;

• ensuite, la portée du testament-partage, l’invitant à ne pas prononcer sa nullité lorsque l’acte porte sur la totalité des biens dépendant de la communauté.

La Cour de cassation vient alors rappeler qu’en présence de testaments multiples, il appartient aux juges du fond d’apprécier la volonté des testateurs et qu’ils peuvent, à ce titre, procéder à une appréciation globale. Ainsi, les dispositions des différents testaments successifs n’étant pas contradictoires, tous demeurent sauf pour les dispositions qu’ils ont expressément remises en cause. Les juges du fond n’avaient donc pas à se référer aux seuls testaments les plus récents. Ce faisant, les défunts ayant opéré, entre les différents testaments, un partage d’ascendants sur l’ensemble de leur patrimoine propre et commun, les juges pouvaient retenir la qualification de testaments-partages même en présence de legs en faveur d’une partie seulement des héritiers.

Une fois la qualification de testament-partage retenue, il convient alors de prononcer la nullité des actes testamentaires lesquels portent sur la totalité des biens dépendant de la communauté, à l’exception, dans le cadre du testament-partage du mari, des biens propres de son épouse. La première chambre civile, par cet arrêt de rejet, fait le choix de ne pas céder aux sirènes du revirement comme l’y invitaient les requérants et opte pour l’orthodoxie juridique : on ne saurait disposer dans le cadre d’un testament-partage de biens relevant de la communauté ni de ceux appartenant en propre à son conjoint.

Qualification et portée des actes testamentaires

La première question qui était donc soumise à l’analyse de la haute juridiction portait sur la qualification des actes testamentaires en présence et sur leur portée. En réalité, deux points sont abordés successivement par la Cour de cassation dans l’analyse des premiers et seconds moyens des pourvois principal et incidents. D’une part, elle s’interrogeait sur l’appréciation qu’il convenait de faire des testaments pour déceler la volonté des testateurs, à savoir s’il fallait se référer au seul dernier testament de chacun des époux comme révoquant les précédents ou s’il fallait faire une lecture globale de l’ensemble des testaments. D’autre part, elle devait se prononcer sur la qualification même de ces actes et déterminer si la volonté d’avantager un ou plusieurs héritiers était de nature à écarter la qualification de testaments-partages.

Appréciation des testaments

Les deux enfants qui bénéficiaient, au titre du dernier acte testamentaire de leurs parents, faisaient valoir que le contenu des testaments que leurs parents avaient rédigés en 2003 avait pour effet de révoquer les dispositions contenues dans les actes antérieurs. La Cour de cassation vise alors les articles 1035 et 1036 du code civil, estimant que la cour d’appel avait légitimement, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation de la volonté des testateurs, apprécié celle-ci à l’aune de l’ensemble des actes en présence. En effet, l’article 1035 dispose que les testaments ne peuvent être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté. L’article 1036, pour sa part, vient énoncer que les testaments postérieurs qui ne révoquent pas de manière expresse les précédents n’annuleront dans ceux-ci que celles de leurs dispositions qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles ou qui y seraient contraires. En l’espèce, les juges du fond ont alors bien opéré un contrôle de compatibilité des différents testaments en présence et mis en lumière les seules dispositions que les nouveaux actes avaient eu pour conséquence de rendre inefficaces. La majorité des dispositions testamentaires confirmant celles de précédents actes ou étant compatibles avec elles, il y avait lieu à apprécier la volonté des testateurs relativement à l’ensemble des testaments en présence. Une fois cette question écartée, il convenait de se concentrer sur la qualification des actes.

Qualification des actes testamentaires en testaments-partages

Le testament-partage est l’acte par lequel une personne procède, de son vivant, au partage de sa succession entre ses héritiers présomptifs au moyen d’un testament. Les juges du fond, procédant à une lecture globale des différents testaments et considérant qu’ils étaient tous compatibles, relevaient que ceux-ci mettaient en exergue la volonté des testateurs de procéder à un partage de l’ensemble de leurs biens, tant propres que communs, entre leurs héritiers présomptifs (C. civ., art. 1075). Les héritiers contestaient alors la qualification de testaments-partages des derniers testaments de leurs parents au motif que ceux-ci ne procédaient pas à une répartition et à la distribution globale de leur patrimoine, condition sine qua non pour retenir cette qualification. En effet, les deux héritiers soulignent que leurs parents, dans le testament de 2003, avaient entendu les avantager par un legs de la quotité disponible nécessairement préciputaire excluant, ipso facto, la qualification de testament-partage. L’enjeu était donc de savoir si les testateurs avaient entendu faire un testament ordinaire comportant des legs préciputaires ou s’ils avaient entendu faire un testament-partage. En faisant une lecture globale, les juges du fond, suivis par la Cour de cassation, ont clairement identifié que le règlement successoral, par son étendue (il vise l’ensemble des biens communs et propres des époux) et ses modalités (on prévoit l’attribution de chaque bien immobilier, la vente et la répartition du prix du logement parisien, des legs aux petits enfants, etc.) répondait à une volonté de répartir la succession entre les héritiers plus que de celle d’avantager les deux requérants (en ce sens, v. Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-13.801, D. 2009. 2508, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ). D’ailleurs, l’existence d’une pléthore d’actes testamentaires successifs opérant ces partages semble caractériser un seul et unique projet répartiteur (M. Grimaldi, Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 2018/2019, n° 411-221), en atteste le caractère identique des testaments des père et mère. Dans cette perspective, l’argument selon lequel la rupture d’égalité entre les héritiers serait à même de permettre d’écarter la qualification de testament-partage ne saurait essaimer. En effet, l’auteur du testament-partage n’est pas tenu de respecter l’égalité entre les héritiers, ni en nature des lots ni en valeur, dès lors qu’il ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire (C. civ., art. 1080) laquelle est d’ordre public. Ainsi, si le testament-partage est, « en la forme, […] un testament ; au fond, […] un partage » (P. Voirin et G. Goubeaux, Droit civil. Régimes matrimoniaux – Successions – Libéralités, 30e éd., LGDJ, 2018, n° 897), il n’en demeure pas moins qu’il a « aujourd’hui vocation à gratifier autant qu’à partager » (M. Grimaldi, op. cit., n° 411.171).

Validité des testaments-partages

La seconde question soumise à la vigilance de la première chambre civile était de savoir si les testaments-partages en présence étaient valides alors qu’ils comprenaient l’attribution de biens relevant de la communauté, non encore dissoute. La question n’est pas anodine. Les biens communs peuvent-ils être répartis par le truchement du testament-partage ou doivent-ils être considérés comme étant la chose d’autrui, ce qui les exclut de facto du projet répartiteur.

C’est cette dernière solution que la Cour de cassation retient en l’espèce. En effet, le testateur ne peut, par le testament-partage, répartir que les biens dont il a la propriété et la libre disposition. Ainsi sont exclus de cette répartition les biens d’autrui mais aussi ceux dépendant de la communauté dissoute mais non encore partagée ayant existé entre lui et son conjoint décédé, qui sont indivis entre lui et leurs héritiers (P. Voirin et G. Goubeaux, op. cit.). Le testament-partage ne peut donc porter que sur les biens appartenant au testateur et, éventuellement, ceux dont il acquerra la propriété avant son décès.

Parce que le testament-partage doit répondre à la forme du testament (C. civ., art. 1075), il est soumis à l’interdiction des testaments conjonctifs (C. civ., art 968) lesquels sont frappés de nullité (Civ. 23 déc. 1861, DP 1862. I. 31 ; S. 1862. I. 29 ; Civ. 1re, 16 mai 2000, n° 97-20.839 P, D. 2000. 196 ; RTD civ. 2000. 883, obs. J. Patarin ; ibid. 2001. 648, obs. B. Vareille ; 6 mars 2001, n° 99-11.308 P, D. 2001. 1076 ; RTD civ. 2001. 648, obs. B. Vareille  ; Dr. fam. 2001, n° 62, note Beignier). On sait que la jurisprudence (Civ. 1re, 9 déc. 2009, nos 08-18.677 P et 08-17.351 P, Dalloz actualité, 11 janv. 2011, obs. C. Le Douaron ; AJ fam. 2010. 91 ) refuse d’appliquer les dispositions de l’article 1423 du code civil dans le cadre des testaments-partages, refusant l’admission d’un testament-partage conjonctif (v. D. Autem, Partage testamentaire de biens indivis : jusqu’on peut-on aller ?, Defrénois 2010. 39103). Ainsi, s’il respecte la forme du testament, le testament-partage ne réalise pas un legs, il se contente d’allotir les héritiers en cette qualité et non en qualité de légataire. L’acte anticipe simplement la répartition des lots entre les héritiers à la succession, laquelle reste ab intestat. Ainsi, les biens héréditaires sont recueillis en propre, l’article 1079 du code civil disposant que « le testament-partage produit les effets d’un partage ». C’est pour cette raison que les biens faisant partie de la communauté ne peuvent être allotis par l’acte de testament-partage puisqu’ils ne constituent la propriété personnelle d’aucun des époux. La solution diverge de celle retenue dans le cadre de la donation-partage où les époux ayant des héritiers présomptifs communs peuvent fondre l’ensemble de leurs biens en une masse unique qu’ils vont alors répartir entre eux. Ces donations-partages dites conjonctives sont possibles car chacun des copartagés est supposé tenir son lot de l’un et l’autre des époux en proportion de sa contribution dans la masse objet du partage et eu égard à l’origine réelle des biens qui leur sont attribués.

La sanction ne se fait donc pas attendre et, aux termes de l’article 1423 du code civil, la Cour de cassation a retenu la nullité des actes car le partage par anticipation de sa succession doit être limité aux biens sur lesquels ils ont la propriété et la libre disposition. Or la première chambre civile relève que les deux époux ont intégré des biens communs et que le mari, qui n’avait aucun bien propre, a visé non seulement des biens relevant de la communauté mais également des biens appartenant en propre à son épouse. L’appréciation du patrimoine successoral et de la part héréditaire de chacun se faisant au moment du décès, on ne doit intégrer que les biens qui répondront à ces exigences. Ainsi, les biens communs ne sauraient y trouver place dès lors que leur attribution est subordonnée au partage, lequel a un résultat incertain et s’opérera ultérieurement à l’ouverture de la succession.