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Après Paris, Versailles : nouvelle audience sur une « procédure-bâillon »

Mercredi dernier, à la minute même où l’ordonnance visant Mediapart était rétractée à Paris, la cour d’appel de Versailles (Yvelines) se penchait sur une autre « procédure-bâillon », cette fois initialement introduite devant un tribunal de commerce.

par Antoine Bloch, Journalistele 2 décembre 2022

« Le tribunal a rendu une décision inédite et gravissime : une interdiction pour le futur de publier une information ». Les jours se suivent et se ressemblent, songe-t-on dans un recoin de cette salle bondée – d’étudiants en journalisme essentiellement. Au mois d’août dernier, un groupe de hackers baptisé « Hive » s’en était pris aux serveurs de plusieurs sociétés de l’empire Altice, propriété du milliardaire Patrick Drahi, par le biais d’un « rançongiciel » : autrement dit, il en avait « aspiré » le contenu, avant de le remplacer par une copie chiffrée. Faute de paiement des plus de cinq millions de dollars réclamés, les pirates – supposément issus de la sphère d’influence russe – avaient diffusé sur le dark web un quart des documents ainsi soustraits. Début septembre, Altice s’était fendu d’un communiqué, dont il ressortait « qu’aucune donnée sensible n’a été compromise », et avait déposé plainte contre X. Mais dans l’intervalle, le site d’information reflets.info avait mis en ligne trois articles reposant sur des informations extraites de cette masse de documents.

Trois sociétés du groupe – dont une suisse et une luxembourgeoise – assignaient alors l’entreprise de presse en référé à heure indiquée devant le président du tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine). Elles invoquaient un trouble manifestement illicite (C. pr. civ., art. 873), causé par une atteinte à un système de traitement automatisé de données (STAD), mais aussi au secret des affaires. Dans sa décision, la juridiction commerciale considère notamment que le journal « n’est pas l’auteur du piratage informatique [et] a publié […] des informations déjà en ligne, même si elles ne sont accessibles qu’à un public restreint ». Les sociétés soutenaient aussi un dommage imminent, dans la mesure où, « lorsque les pirates décideront de publier davantage de fichiers, le journal […] y consacrera certainement de nouveaux articles ». Retenant ce dernier argument, le tribunal ordonnait au journal « de ne pas publier […] de nouvelles informations » – tout court, d’ailleurs. À l’appel principal de la société éditrice répondait alors celui, incident, d’Altice.

À l’audience versaillaise, la présidente commence par préciser que « les moyens échangés ont évolué, d’où des questions de procédure… ». Son rapport est surtout émaillé de questions. Par exemple : « Si un recel est constitué, peut-on le reprocher aux journalistes ? ». Ou bien : « Est-ce qu’il y a dans ces articles...

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