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ARAFER : précisions sur le contrôle des procédures de passation de marché de travaux

La Cour de cassation apporte deux éclairages dans cette décision. 

par Cathie-Sophie Pinatle 13 février 2020

Le premier concerne le type de contrôle que le juge des référés doit exercer lorsqu’il est saisi d’une question afférente à la validité de la procédure de passation de marché de travaux : il doit s’agir d’un contrôle in abstracto sans considération des effets réels de la sélection. Le second porte sur la possibilité pour l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) de contester la validité de cette procédure, et ce quel que soit le caractère privé ou public du marché et indépendamment de l’existence de la lésion d’un intérêt privé.

En l’espèce, la société Autoroute du sud de la France (ASF) a lancé, par avis du 2 septembre 2017 publié au Journal officiel de l’Union européenne une procédure de passation de marché ayant pour objet l’entretien d’une portion d’autoroute. Cette procédure a été portée à la connaissance de l’ARAFER qui l’a considérée comme contraire à l’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics dans la mesure où la méthode de notation privait, en elle-même, le critère technique de portée et faisait du prix le critère unique de sélection. L’annulation de la procédure a alors été sollicitée par l’Autorité devant le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi en la forme des référés. La juridiction de première instance a rejeté la demande par ordonnance du 9 janvier 2018. C’est l’ordonnance qui fait l’objet du présent pourvoi.

Deux questions portées chacune dans une branche distincte sont ici soulevées et trouvent une réponse claire.

D’une part, La Cour de cassation répond à la question de savoir si l’ARAFER est habilitée à saisir le juge des référés contractuels contre une procédure relative à la conclusion de marché de travaux lorsque le marché en cause est un marché de droit privé et qu’aucun intérêt n’a été lésé. La société ASF soutient effectivement que, le marché en cause étant privé, il convient de relever que l’article L. 122-20 du code de la voirie routière n’opère pas de renvoi à la procédure de saisine des tribunaux de grande instance spécialisés visée à l’article L. 211-14 du code de l’organisation judiciaire. Ce défaut de renvoi signifie que le législateur n’a pas souhaité offrir à l’ARAFER un moyen d’action autonome lorsque le marché qui fait l’objet d’une procédure de passation est privé, seule la lésion de l’intérêt d’un des candidats à l’attribution de ce marché permet à l’autorité d’agir en la forme de référés, condition manquante en l’espèce. De son côté, l’ARAFER soutient que la lésion d’un intérêt privé n’est pas une condition nécessaire à son action qui relève du contentieux objectif.

La question est nouvelle. La haute juridiction a certes déjà jugé qu’une entreprise qui agissait en référé précontractuel devait démontrer que son intérêt avait été lésé ou risquait de l’être (Com. 23 oct. 2012, n° 11-23.521 : « qu’il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser », AJDA 2012. 2199 ; D. 2012. 2609 ; RDI 2013. 214, obs. R. Noguellou ) mais elle n’a jamais encore décidé si cette condition était requise lorsque l’ARAFER agissait indépendamment d’un acteur privé. Sa réponse est sans appel : « […] en cas de manquement de la part d’un concessionnaire d’autoroute, lors de la passation d’un marché pour les besoins de la concession relevant du droit privé, aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, l’autorité est […] habilitée à saisir le juge en la forme des référés avant la signature du contrat. […] Cette autorité, chargée de la défense de l’ordre public économique en veillant, notamment, au respect des règles de concurrence dans les procédures d’appel d’offres, n’a pas, lorsqu’elle exerce cette action, à établir que le manquement qu’elle dénonce a, directement ou indirectement, lésé les intérêts de l’une des entreprises candidates ».

D’autre part, la seconde question tranchée est celle de savoir quel type de contrôle le juge saisi en la forme des référés doit opérer lorsqu’il est amené à examiner la méthode de notation employée par une entreprise dans le cadre d’une procédure de passation de marché. Plus précisément, le juge des référés contractuels doit-il procéder à un contrôle ex ante et objectif consistant à se demander si la méthode de notation est en elle-même susceptible de porter atteinte à la concurrence entre les soumissionnaires ou retenir un contrôle ex post et subjectif consistant à se demander si la méthode de notation affecte effectivement la concurrence entre les candidats ? L’ARAFER reproche au juge des référés d’avoir procédé à un examen in concreto « sans se déterminer, de façon abstraite, au regard du contenu de cette méthode et de l’ensemble des résultats auxquels elle était susceptible de conduire » en violation des articles L. 122-12 et L. 122-20 du code de la voirie routière et de l’article 2 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique ». La Cour de cassation accueille ce moyen en décidant que le juge des référés « devait vérifier objectivement si la méthode de notation retenue et appliquée par la société ASF n’était pas, par elle-même, de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères annoncée aux candidats, comme le soutenait l’autorité, le juge des référés précontractuels a violé les textes susvisés ».

Cette cassation sans renvoi est certes sans incidence sur la passation des marchés « Les marchés concernant les deux lots ayant été conclus, il n’y a plus lieu à référé précontractuel » mais présente un intérêt pédagogique évident.