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Asile et immigration : une loi de plus

À l’issue d’un parcours parlementaire au cours duquel la majorité s’est fissurée à l’Assemblée nationale et les sénateurs ont joué le rôle d’une opposition marquée, la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été définitivement adoptée par le Parlement le 1er août 2018. 

par Christophe Poulyle 3 septembre 2018

Les grands équilibres du projet de loi initial ont été sauvegardés. Et à l’issue d’une entrée en vigueur qui va se dérouler en trois étapes, certaines dispositions, notamment pénales, entrant en vigueur dès la publication de la loi au Journal officiel, d’autre au plus tard soit le 1er janvier, soit le 1er mars 2019, le régime applicable aux demandeurs d’asile ou aux étrangers en situation irrégulière en sera encore plus complexe.Mais ce nouveau texte – un de plus – dénote un manque de cohérence du législateur : il s’agit en effet de la vingt-huitième loi sur l’immigration depuis 1980 (J.-M. Pastor, Asile et immigration : un nouveau test pour le gouvernement, AJDA 2018. 364 ). 

Une immigration toujours mal maîtrisée

Depuis les années quatre-vingt-dix, la maîtrise de l’immigration, dont on peut douter qu’il s’agisse d’un objectif raisonnablement réalisable, est souvent synonyme de lutte contre l’immigration irrégulière. Cette lutte passe généralement par un affaiblissement des droits des étrangers afin d’optimiser l’efficacité de l’action administrative.

Faciliter le refoulement aux frontières intérieures : sur ce point, la nouvelle loi légalise les pratiques contestables de la police aux frontières terrestres intérieures, notamment franco-italienne, en permettant aux fonctionnaires de notifier des refus d’entrée sur le territoire, alors que cette mesure n’était applicable qu’aux frontières extérieures, et de refouler les personnes sans qu’elles puissent bénéficier du jour franc qui est reconnu à toute personne, sur leur demande, faisant l’objet d’une telle mesure.

Afin d’alléger les contraintes des juges pour sécuriser les procédures, le recours à la vidéo-audience pourra être mis en œuvre sans l’assentiment des étrangers, quelle que soit la procédure. Le maintien à la disposition de la justice après que le juge des libertés et de la détention (JLD) a ordonné la remise en liberté d’un étranger retenu ou maintenu en zone d’attente est de dix heures, afin que le procureur de la République dispose d’un temps suffisant pour interjeter appel suspensif (rappelons qu’à l’origine, il fût de quatre heures, puis porté à six heures). La loi allonge les délais de jugement dans les procédures d’urgence (48 heures pour le JLD, quatre jours pour le juge administratif).

Faciliter l’éloignement : une nouvelle mesure de surveillance voit le jour, d’un degré moindre que l’assignation à résidence. Dès la notification d’une obligation de quitter le territoire, les étrangers concernés pourront être astreints à résider dans un lieu déterminé, durant le délai qui leur est imparti pour quitter le territoire et justifier, auprès des autorités compétentes, des diligences accomplies pour la mise en œuvre de leur départ.

La durée de la rétention pourra s’étendre sur quatre-vingt-dix jours. Et la loi reconnaît désormais la possibilité de placer une personne handicapée en rétention, alors qu’une telle circonstance pouvait conduire, auparavant, à y faire obstacle.

Si le Conseil d’État avait souligné la complexité qui résultait des « difficultés inextricables qui envahissent, dans les matières traitées par le projet de loi, la définition des compétences respectives du juge de l’asile [la Cour nationale du droit d’asile] et du juge administratif de droit commun [le tribunal administratif] », la création d’une nouvelle procédure de sursis à exécution d’une mesure d’éloignement prononcée avant ou après le rejet d’une demande d’asile en premier ressort, ne va pas dans le sens d’une simplification procédurale.

Et s’il faut reconnaître que le législateur a rapidement réagi à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au cours de la navette parlementaire, précisant que l’immunité pénale en cas de délit de solidarité bénéficiait aussi à toute personne ayant apporté une aide « dans un but exclusivement humanitaire » (Cons. const. déc., 6 juill. 2018, n° 2018-717/718 QPC, AJDA 2018. 1421 ), il n’a, semble-t-il, pas mesuré l’impact que pourrait avoir l’ordonnance de la Cour de justice de l’Union européenne du 5 juillet 2018 sur le régime du placement en rétention des demandeurs d’asile, laquelle prohibe de tels placements lorsque la décision refusant le droit au maintien sur le territoire fait l’objet d’un recours (CJUE 5 juill. 2018, n° C-269/18, AJDA 2018. 1603, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ).

Un droit d’asile toujours moins effectif

Si le projet de loi affiche un droit d’asile plus effectif, force est de constater que les obstacles qui jonchent le parcours du demandeur d’asile seront encore plus nombreux.

On cherche en vain, dans le texte adopté, des mesures qui viendraient soulager le demandeur sur la longue route qui le mènera à l’autorité compétente et, le cas échéant, devant la Cour nationale du droit d’asile. Bien au contraire, le délai de présentation des demandes est écourté au risque de déclencher la « procédure accélérée » avec ses inconvénients (juge unique, délai de jugement écourté), les hypothèses de refus de droit au maintien sur le territoire après rejet de la demande par l’Office français de la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) sont élargies. Et, pour les demandes de réexamen, c’est un retour l’état du droit antérieur à la loi du 7 mars 2016, les demandeurs d’asile se verront refuser le droit au maintien sur le territoire.

Si le délai de recours contre les décisions de l’OFPRA et apatrides est maintenu à un mois, les demandes d’aide juridictionnelle devront être déposées dans un délai de quinze jours après notification de la décision de l’OFPRA, faute de quoi, elle ne seront rejetée et n’auront aucun effet suspensif.

La langue de la procédure sera fixée définitivement dès la présentation de la demande d’asile, alors qu’au stade de l’enregistrement, il n’existe aucune garantie permettant de contrôler le choix qui sera arrêté par le fonctionnaire de la préfecture en charge d’acter cette demande d’interprétariat, même si l’officier de protection garde une marge d’ajustement dans le choix de la langue utilisée.

L’ensemble des actes de procédure et décisions sera notifié par tous moyens, sous réserve qu’ils garantissent « la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur ». Notifications par SMS ou courriel pourraient alors se développer, alors même que la continuité de l’accès à ces modes de communication n’est jamais garantie.

L’intégration réussie, arlésienne du projet de loi ?

Au chapitre de l’intégration, le législateur s’est borné, d’un côté, à transposer la directive européenne concernant les étudiants, chercheurs et jeunes au pair et, de l’autre, inscrire dans la loi que l’objectif « d’intégration sociale et professionnelle » dans le parcours d’intégration républicaine. À cette fin, ce parcours comportera un accompagnement pour une meilleure orientation professionnelle destinée à favoriser l’insertion professionnelle de l’étranger. La politique d’intégration se résume donc à cela.

Alors que la France souffre toujours d’une pénurie de main-d’œuvre moyennement qualifiée dans des secteurs d’emploi tel que le bâtiment, l’hôtellerie-restauration ou les services à la personne (OCDE, Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, Éditions OCDE, 2017), le législateur maintient le cap de la priorité donnée à l’immigration des personnes qualifiées, en élargissant le champ des bénéficiaires de la carte de séjour pluriannuelle « passeport-talent » ou par la création d’une carte de séjour temporaire mention « recherche d’emploi ou création d’entreprise » pour les étudiants fraîchement diplômés. Les jeunes au pair ont enfin un vrai statut légal.

Et d’un autre côté, c’est un contrôle accru de certaines catégories de bénéficiaires de titre de séjour qui est mis en place. En ligne de mire, les personnes admises au séjour au titre d’un détachement (carte de séjour « ICT » – intra corporate transfer) et les parents d’enfants français. Dans le premier cas, il s’agit de lutter contre les détournements de procédures, dans l’autre, prévenir les reconnaissances frauduleuses.

Certes, la loi comporte quelques améliorations bienvenues. Unification des titres délivrés aux mineurs (document de circulation), autorisation de travail de plein droit pour les mineurs non accompagnés et justifiant d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, et meilleure protection des victimes de la traite des êtres humains ou des victimes de violences familiales. Des améliorations qui ne suffisent pas à faire regarder ce texte comme porteur d’une véritable politique d’immigration.