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Assises du Val-de-Marne : un homme sous influence

Depuis mardi, la cour d’assises du Val-de-Marne tente de comprendre ce qui a conduit un mari à tuer son épouse après trente ans de mariage.

par Pierre-Antoine Souchardle 20 février 2020

Serge D. est exaspérant. Comme l’a très bien décrit un expert-psychiatre entendu mardi, il s’attache aux détails, au détriment de l’essentiel. L’essentiel mercredi à consisté à ce qu’il s’explique sur le déroulement des faits qui l’ont conduit à tuer son épouse le 1er août 2016 de multiples coups de cutter au niveau de la gorge sectionnant la carotide et la jugulaire. 

Avant de porter les coups fatals, Serge D, travaille sur la clôture du jardin de leur petite maison à Fontenay-sous-Bois. Dans le couple, « la neige et le feu », selon un enquêteur, c’est Élisabeth qui dirige. Serge est soumis. Une dispute éclate, il reçoit des coups, le couple se retrouve dans le salon.

« J’ai saisi le cutter, je lui ai porté un coup, après c’est le trou noir, comme si on m’avait mis une cagoule sur la tête. J’entendais rien. Quand je me suis réveillé, j’étais à califourchon sur elle. Il y avait du sang partout ». Il explique ensuite avoir tenté un point de compression. « Mais elle était morte ». Il indique avoir pensé à se suicider mais l’image de son fils l’en a dissuadé.

Il sort dans le jardin sans regarder le corps de sa femme, pleure, s’avale une petite rasade de vin et imagine stratagème qui ne trompera pas les enquêteurs : faire croire à un cambriolage qui a mal tourné. Il jette le sac à main de sa femme et le cutter dans le jardin. Mais sur les faits, il ne dit rien. Le trou noir ne satisfait pas la présidente de la cour d’assises.

— « Vous sortez le cutter, soyez précis Monsieur ».
— « C’est la qu’elle m’a dit “arrête, arrête je te taperais plus, on va faire l’amour” ».
— « Comment analysez-vous ces paroles ? »
— « Je ne sais pas ».
—  « C’est la parole de quelqu’un qui joue son va tout ».
—  « J’ai peur ».
—  « Le mot peur paraît peu adapté Monsieur », réplique la présidente.
—  « C’est le trop-plein qui a débordé, mélangé à la peur », répond l’accusé avec ses mots maladroits.

Serge D., est incapable de décrire les gestes de la dispute, de donner le nombre de coups de cutter porté à sa femme, pourquoi elle avait des bleus et hématomes sur le visage et le haut du corps. Le trou noir ou l’état second. Pour autant, il reconnaît les faits. La cour devra s’en contenter. C’est pour pour expliquer son passage à l’acte.

Comprendre comment un mari peut tuer sa femme après trente ans de mariage. C’est ce qu’a tenté de résumer mercredi le major Laclaux-Lacrouste, qui a procédé aux auditions des amis, de la famille du couple. Élisabeth de sept ans l’aînée de Serge, est décrite comme volcanique, spirituelle, une battante qui ne supporte pas la contradiction. Un esprit et un physique à la Murielle Robin. Serge est présenté comme un homme effacé, discret, faible. Mais ce n’est pas Pierre Palmade.

Selon l’enquêteur, les amis d’Élisabeth ont indiqué qu’elle n’était pas sure de son choix lorsqu’elle s’est installée avec Serge. Et lorsqu’elle est enceinte, doit-elle garder l’enfant ? Pourtant ce fils, Michaël, sera « le phare de sa vie », précise le major.

Les violences psychologiques débutent assez vite dans la relation. « Il n’a plus de moyens de paiement. Il vit sous la coupe de sa femme. Elle occupe un espace qu’il a laissé vacant ». Les relations du couple vont se dégrader au départ du fils vers 2012. « Elle n’a plus d’amour pour son mari et je pense même plus de respect ». Quelques instants plus tard : « Il était sous l’emprise de sa femme. Il était résigné. Il attendait que ça se passe. Je pense qu’il vivait dans la terreur, qu’il était incapable de sortir de sa vie ».

Partir, tout simplement partir, l’avait-il envisagé lui a demandé mardi la cour ? « Oui. Malgré tout, c’était une femme spontanée, merveilleuse. Elle pouvait très bien m’apporter un café après m’avoir mis une raclée. C’était le chaud et le froid ».

« Je pense que Serge était incapable d’affronter Élisabeth. Il était à un tel stade de soumission. Il a accepté de ne plus manger avec elle (l’accusé sanglote). On est dans le même schéma que les femmes battues. On se dit pourquoi elle ne part pas, pourquoi Serge ne part pas et tue sa femme. Il perd pied, il est juste soumis. Il n’était pas capable de se relancer dans la vie », insiste le policier qui, à une question de l’avocate générale aura cette réponse terrible : « Ce ne sont pas deux adultes, ce sont deux solitudes côte à côte ».

La confrontation avec son fils, entendu par la cour, a été terrible. Michaël, qui vit au Canada depuis 2016, n’a pas eu un regard pour son père pourtant assis à cinquante centimètres derrière son dos. « Cela fait trois ans que j’attends que la justice rende une décision, que la mémoire de ma mère soit respectée ».

À la cour, il expose une enfance heureuse, parle de disputes et finit, sur insistance de la présidente, par parler des insultes et petits coups que recevaient son père. Un père qu’il ne connaît pas, car il ne parlait pas, contre lequel il ne s’est pas constitué partie-civile. 

Mais contre lequel il est « toujours dans une grande colère ». Il ne comprend pas pourquoi ses parents n’ont jamais divorcé ou parlé de leurs problèmes à leurs rares amis.

Depuis le drame, les échanges entre le père et le fils sont épistolaires. Serge parle de son quotidien, de la pluie et du beau temps, sans jamais évoquer son geste. « Les vrais sujets ne sont pas abordés. Et j’ai de la compassion pour les gens qui n’abordent pas les vrais sujets », conclut le fils avant de repartir sans tourner la tête vers son père.

« Je sais que j’ai fait la chose la pire au monde. Il faut que je paye. Avant de venir ici (ndlr : la cour d’assises) j’ai laissé mon appartement. Demain je viens avec ma valise », a répondu l’accusé à une question de son avocate.

Reprise des débats jeudi avec le réquisitoire et les plaidoiries. Le verdict est attendu dans la journée.