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Assistance médicale à la procréation et nouvelle loi bioéthique : quelle filiation pour les enfants ?

La nouvelle loi de bioéthique crée un nouveau mode d’établissement de la filiation pour les enfants issus de couples de femmes, fondé sur une reconnaissance conjointe.

Tirant les conséquences de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, la nouvelle loi de bioéthique met en place un nouveau mode d’établissement de la filiation pour les enfants qui en sont issus.

Le projet de loi initial relatif à la bioéthique prévoyait d’ajouter, après le titre VII du livre Ier du code civil qui traite « De la filiation », un titre VII bis intitulé « De la filiation par déclaration anticipée de volonté ». Ces dispositions, dissociées de la filiation biologique, envisageaient de façon spécifique la situation des couples de femmes ayant recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) et prévoyaient dans ce cas, un mode d’établissement original de la filiation à l’égard des deux femmes désignées dans la déclaration anticipée et conjointe de volonté, effectuée devant notaire et remise ensuite à l’officier de l’état civil. Pour les autres cas, les anciennes dispositions des articles articles 311-19 et 311-20 du code civil auraient continué de s’appliquer.

La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique adopte finalement une autre solution qui consiste à ajouter dans le titre VII du livre 1er du code civil, un chapitre V intitulé « De l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur » (art. 342-9 à 342-13 nouv.). Les anciens articles 311-19 et 311-20 du code civil sont abrogés. Les modifications apportées par ailleurs au code civil (abrogation de l’art. 310 et adjonction d’un art. 6-2 pour poser le principe d’égalité des filiations) témoignent de la volonté du législateur de placer la filiation d’un enfant issu d’une AMP avec donneur sur le même plan que les autres filiations biologiques, tout en adaptant les modalités d’établissement de cette filiation en considération de l’intervention d’un tiers donneur.

Trois situations peuvent être désormais distinguées, en laissant de côté quelques situations particulières qui ne manqueront pas de se présenter, comme par exemple celle impliquant une personne transgenre.

Première situation : l’AMP est réalisée avec les gamètes des deux membres du couple

Dans cette situation, il n’y a pas de recours à un tiers donneur. Le droit antérieur avait parfois suscité des hésitations, quant à l’application des dispositions ou de certaines dispositions de l’article 311-20 ancien.

Désormais, la solution ne fait plus de doute : c’est le droit commun de la filiation qui s’applique, puisque les nouveaux articles 342-9 et suivants envisagent exclusivement le cas d’intervention d’un tiers donneur.

Deuxième situation : l’AMP est réalisée avec tiers donneur

On peut y assimiler le cas d’accueil d’embryon (CSP, art. 2041-6, qui renvoie à l’art. 342-10 c. civ.). La loi reprend ici certaines dispositions qui figuraient dans les anciens articles 311-19 et 311-20 du code civil. Le changement résulte davantage de l’extension du champ d’application de l’AMP à laquelle la loi procède par ailleurs, en ouvrant celle-ci aux couples de femmes (v. ci-dessous) et aux femmes non mariées (CSP, art. L. 2142-2).

Dans tous les cas, l’article 342-9 du code civil interdit l’établissement de tout lien de filiation entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation. Le texte reprend également l’interdiction d’une quelconque action en responsabilité contre le donneur. Il convient néanmoins de mettre ces dispositions en perspective avec celles qui autorisent désormais les personnes conçues par AMP avec donneur à accéder aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur (CSP, art. L. 2143-2 s.).

Les couples ou la femme non mariée qui recourent à une AMP avec donneur doivent donner préalablement leur consentement à un notaire (sans plus de précision quant au choix). Comme précédemment, celui-ci doit les informer des conséquences de cet acte en matière de filiation, ainsi que (nouveauté) des conditions dans lesquelles l’enfant pourra accéder à sa majorité aux données concernant le donneur (C. civ., art. 342-10, al. 1).

En effet, le consentement à l’AMP produit des conséquences originales et importantes sur le terrain de la filiation. Il interdit toute action ultérieure aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation. Comme par le passé, deux exceptions sont prévues en des termes qui ont été adaptés aux modifications textuelles intervenues, spécialement en matière de divorce : d’une part, s’il est soutenu que l’enfant n’est pas issu de l’assistance à la procréation (mais, sous-entendu, de relations charnelles avec un tiers) et, d’autre part, si « le consentement a été privé d’effet » (C. civ., art. 342-10, al. 2). Deux séries d’hypothèses entraînant cette « privation d’effet » du consentement sont visées par les textes (C. civ., art. 342-10, al. 3). D’abord le décès, l’introduction d’une demande en divorce ou en séparation de corps, la signature (et non l’enregistrement) d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel (C. civ., art. 229-1), ou la cessation de la communauté de vie (sans distinction selon le statut du couple, marié ou non), avant la réalisation de l’AMP.

Le même texte prévoit ensuite, comme antérieurement, que le consentement est privé d’effet lorsque l’un des membres du couple le révoque auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’AMP, ou du notaire (nouveauté réclamée par le notariat, mais dont la mise en œuvre pourrait soulever des difficultés). Lorsque, dans ces différentes hypothèses, le consentement à l’AMP se trouve privé d’effet, le droit commun de la filiation s’applique, et spécialement les actions en contestation deviennent possibles.

Sauf privation d’effet du consentement, la filiation de l’enfant sera établie à l’égard du couple receveur ou de la femme seule et non mariée selon des modalités qui obligent à se tourner vers le droit commun en raison du caractère très parcellaire des dispositions légales sur ce point. Seule prévision reprise du droit antérieur : la responsabilité de « celui qui » ne reconnaîtrait pas l’enfant issu de l’AMP après y avoir consenti (C. civ., art. 342-13, al. 1), et la déclaration judiciaire de sa paternité (si elle est demandée ; C. civ., art. 328 et 331). Le refus de la femme d’assumer sa maternité n’est pas envisagé (sauf cas de reconnaissance conjointe par un couple de femmes, v. ci-dessous) ; ni le cas du couple hétérosexuel marié pour lequel la filiation résultera donc de l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance et de la présomption de paternité.

Troisième situation : l’AMP avec tiers donneur (ou l’accueil d’embryon) est sollicitée par un couple de femmes

Peu importe qu’elles soient mariées ou qu’elles ne le soient pas, la loi prévoit ici un mécanisme d’établissement de la filiation par reconnaissance conjointe, dont on peut se demander s’il est véritablement spécifique, puisqu’il s’appuie sur le droit commun (la reconnaissance) et qu’il est affiché dans les dispositions générales relatives à la filiation (C. civ., art. 310-1) comme un mode légal d’établissement de celle-ci, au même rang que la loi, la « reconnaissance volontaire » ou la possession d’état.

Lors du recueil du consentement préalable d’un couple de femmes (C. civ., art. 342-10, al. 1), le notaire doit également établir un acte de reconnaissance conjointe de leur part à l’égard de l’enfant à naître (C. civ., art. 342-11). Si la possibilité d’une reconnaissance prénatale n’étonne pas, celle d’une reconnaissante antérieure à la conception de l’enfant surprend davantage, de même que son caractère « conjoint » au regard de la définition classique de la reconnaissance (manifestation unilatérale de volonté). D’autant qu’à l’égard de la femme qui accouche, la reconnaissance est indifférente à l’établissement de la filiation qui résulte suffisamment de l’indication du nom de la femme dans l’acte de naissance de l’enfant (C. civ., art. 311-25). C’est surtout à l’égard de l’autre femme que la reconnaissance importe, puisqu’elle permet l’établissement anticipé d’une (seconde) filiation maternelle interdite auparavant. L’une des deux femmes ou la personne déclarant la naissance remettra l’acte de reconnaissance à l’officier de l’état civil pour « indication » (sans doute faut-il comprendre mention en marge) dans l’acte de naissance (C. civ., art. 342-11, al. 2). Au plus tard lors de la déclaration de naissance, les deux femmes peuvent choisir le nom de l’enfant selon des modalités désormais connues fixées à l’article 311-21 du code civil (le nom de l’une, ou les deux noms accolés dans l’ordre choisi ; à défaut de choix, l’enfant prend les deux noms dans la limite du premier nom de famille de chacune, accolés dans l’ordre alphabétique ; ce nom vaudra pour les autres enfants communs, C. civ., art. 342-12). Il est ajouté que la filiation ainsi établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation, sauf contestation en justice dans les conditions prévues par l’article 342-10, alinéa 2 (enfant non issu de l’AMP, consentement privé d’effet).

La femme qui ferait obstacle à la remise de la reconnaissance conjointe à l’officier de l’état civil engage sa responsabilité (C. civ., art. 342-13, al. 3). Mais l’enfant aura, de toute façon, une action alimentaire à l’encontre de celle(s) dont la maternité est établie par la reconnaissance. De plus, la reconnaissance conjointe peut être communiquée à l’officier de l’état civil par le procureur de la République à la demande de l’enfant devenu majeur, à la demande de son représentant légal (ou de l’un d’eux puisque l’autorité parentale est exercée conjointement dans ce cas, C. civ. art. 372, al. 1 mod.), ou « de toute personne ayant intérêt à agir en justice ».

Elle fait alors l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant. Une réserve est prévue, si la filiation a déjà été établie à l’égard d’un tiers « par présomption, reconnaissance volontaire ou adoption plénière ». Cette perspective paraît peu probable puisque la reconnaissance conjointe intervenue devant notaire fait obstacle, en principe, à l’établissement d’une autre filiation (C. civ., art. 342-11, al. 3), sauf événement ayant privé d’effet le consentement. Mais elle ne saurait être totalement exclue, si le projet d’AMP envisagé par les deux femmes n’est pas concrétisé. Dans ce cas, il n’empêche que la reconnaissance intervenue, à la différence du consentement à l’AMP, établit un lien de filiation (C. civ., art. 310-1 mod.) et qu’il existe un risque sérieux de contentieux quant à la filiation des enfants qui seront mis au monde par l’une ou l’autre des femmes ayant souscrit la reconnaissance conjointe, en raison du laps de temps pouvant s’écouler entre la reconnaissance conjointe et la mention en marge de l’acte de naissance. Il est prévu que si une autre filiation est déjà établie à l’égard d’un tiers, par présomption (de paternité on suppose, si l’une des femmes s’est mariée avec un homme), par reconnaissance volontaire (la possession d’état n’est pas évoquée) ou adoption plénière, celle-ci devra être préalablement contestée. Plusieurs voies sont ouvertes en fonction de la nature de la filiation établie : soit la voie de droit commun des actions en contestation (C. civ., art. 332 s.), soit la tierce-opposition en cas de jugement d’adoption plénière (C. civ., art. 353-2 mod.), soit un recours en révision dont les conditions seront précisées par décret. Ces différentes voies laissent entrevoir les contentieux possibles.

Pendant trois ans à compter de la publication de la loi, les couples de femmes ayant eu recours antérieurement à une AMP à l’étranger, pourront effectuer devant notaire une reconnaissance conjointe, qui sera inscrite en marge de l’acte de naissance de l’enfant sur instruction du procureur de la République, si les conditions en sont remplies.

 

Éditions Législatives, édition du 16 août 2021

 

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