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Assurance automobile obligatoire et préjudice moral des proches

L’article 3, alinéa 4, de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne l’indemnisation par l’assureur du préjudice moral subi par les proches des victimes d’accidents de la circulation à la condition que ce dommage leur ait causé un préjudice pathologique.

La protection des victimes invite à l’approche comparative, riche d’enseignements (M. Delmas-Marty, Des victimes : repères pour une approche comparative, RSC 1984. 209). Contrairement à d’autres systèmes juridiques – tels que le droit allemand (R. Schulze, L’état actuel du droit allemand de la responsabilité civile, in G. Wicker, R. Schulze et G. Mäsch [dir.], La réforme du droit de la responsabilité civile en France. 8e journées franco-allemandes, vol. 35, Société de législation comparée, 2021, p. 39 s.) –, le droit français ne comprend aucune liste limitative des préjudices réparables. En vertu du principe de réparation intégrale (constant depuis Civ. 2e, 28 oct. 1954, JCP 1955. II. 8765, note Savatier), tous les préjudices sont susceptibles d’être pris en compte, que leur nature soit patrimoniale ou extrapatrimoniale. Ceci soulève pourtant des difficultés particulières concernant les souffrances morales subies par les proches de la victime directe, suscitant la réticence d’une partie de la doctrine (G. Ripert, Le prix de la douleur, D. 1948. Chron. 1 ; P. Esmein, La commercialisation de la douleur morale, D. 1954. Chron. 113). « La perte d’un époux, d’un enfant ou d’un parent peut paraître choquant : la perte d’un être cher non seulement n’est pas « réparable », mais elle semble difficilement « compensable » par l’argent » (Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, 9e éd., Dalloz, 2022, n° 272, p. 271). En d’autres termes, « ce poste a pu paraître suspect, l’accusation de « monnayer les larmes » étant facilement adressée aux victimes indirectes » (C. Quézel-Ambrunaz, Le droit du dommage corporel, préf. P. Brun, LGDJ, Lextenso, 2022, n° 300). Leur indemnisation est néanmoins admise par les deux ordres de juridictions (depuis Cass. ch. réunies, 15 juin 1833, S. 1833. I. 458 et CE 24 nov. 1961, Letisserand, D. 1962. 34, concl. C. Heumann). D’aucuns appellent à remodeler la distinction entre victime directe et victime indirecte, par exemple en transformant en victime directe un proche de la victime de l’atteinte initiale par suite du renouvellement de la notion de « dommage par ricochet » (M. Viglino, L’indemnisation des préjudices en cas de décès de la victime directe, préf. C. Quézel-Ambrunaz, thèse PUSMB, 2020, nos 211 s.).

Validation des strictes conditions d’indemnisation du préjudice moral posées par le droit allemand

La décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), relative à l’interprétation de l’article 3, alinéa 4, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, valide les strictes conditions d’indemnisation du préjudice moral des membres de la famille de la victime directe décédée posées par le droit allemand, dans sa version applicable en l’espèce. Elle est ainsi l’occasion de rappeler, a contrario, la souplesse dont fait preuve le droit français en la matière, lequel indemnise beaucoup plus facilement et largement les préjudices moraux des proches.

En l’espèce, une femme décède lors d’un accident de la circulation survenu en Allemagne en 2014. L’assureur du responsable (une entreprise d’assurance allemande) verse aux enfants de la défunte – lesquels résident en Bulgarie – 5 000 € au titre de la réparation du préjudice lié au décès de leur mère. Estimant ce montant insuffisant, ces derniers intentent une action en justice devant un tribunal...

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