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Astreinte prononcée en référé et interruption du délai de prescription de l’action en liquidation

Une personne pouvant obtenir en référé la communication d’éléments de preuve avant tout procès sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, rien n’interdit ainsi au juge des référés d’ordonner la communication de certains documents sous peine d’astreinte. L’engagement de la procédure au fond ne peut cependant avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte.

Lorsqu’est ordonnée en référé la communication de pièces sous peine d’astreinte, l’exercice d’une action au fond est-elle de nature à interrompre le délai de prescription de l’action qui tend à la liquidation de l’astreinte ?

Telle est la question à laquelle a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2021.

Les faits étaient assez simples. Alors qu’une personne avait conclu un contrat d’agent commercial avec une société, elle a assigné cette dernière devant le juge des référés afin qu’il lui enjoigne de communiquer un certain nombre de documents nécessaires à la vérification du montant de ses commissions. Par ordonnance du 21 janvier 2010, le juge des référés a fait droit à cette demande et a ordonné la communication d’un certain nombre de documents dans le mois suivant la notification de sa décision. Pour inciter la société à s’exécuter, il a cru bon d’assortir sa condamnation d’une astreinte de 30 € par jour de retard. Le 11 février 2010, l’ordonnance ainsi rendue était signifiée à la société.

L’ancien agent commercial a alors assigné la société en responsabilité contractuelle et en indemnisation et, au cours de l’instance ainsi ouverte, a déposé le 16 novembre 2010 des conclusions d’incident tendant à l’obtention de pièces.

Les choses en sont alors restées là jusqu’à ce que le 12 juin 2018, l’agent commercial déçu décide de saisir le juge de l’exécution en vue de la liquidation de l’astreinte. Le juge de l’exécution a fait droit à cette demande et a liquidé l’astreinte à la coquette somme de 90 000 €. Mais la victoire fut de courte durée, puisque, saisie d’un appel, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a déclaré irrecevable comme prescrite la demande de liquidation de l’astreinte : estimant que l’astreinte avait commencé à courir le 11 mars 2010, la saisine du juge de l’exécution intervenue le 12 juin 2018 était tardive, sans que l’introduction, entre-temps, d’une instance au fond ne puisse rien y changer. Escomptant bien récupérer ses deniers, l’agent commercial a décidé de former un pourvoi en cassation pour notamment faire valoir que l’action exercée au fond avait interrompu le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte. En vain ! Car la Cour de cassation rejette son pourvoi en prenant le soin de rappeler que « l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre que lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins », de sorte que c’est « à juste titre que la cour d’appel a considéré que l’action qui tend à la liquidation, et non à la fixation, de l’astreinte assortissant une obligation de communication de pièces est une action autonome et distincte de l’instance au fond pour les besoins de laquelle ces pièces devaient être communiquées, et qu’elle en a conclu que l’engagement de l’instance au fond n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte ».

Le rejet du pourvoi n’étonne en réalité qu’assez peu : la demande au fond ne pouvait avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte. Cependant, le pourvoi a laissé de l’ombre le problème du point de départ du délai de prescription qui, nous semble-t-il, peut faire l’objet de débats !

L’action au fond n’est pas susceptible d’interrompre le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte prononcée en référé

Chacun sait qu’une demande en justice, même en référé, interrompt la prescription (C. civ., art. 2241). Cette interruption est cependant doublement cantonnée. Elle l’est, d’une part, en considération des sujets de la demande en justice : la demande en justice n’interrompt la prescription qu’au bénéfice de son auteur (Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 16-14.571, inédit, AJDI 2018. 210 , obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron ) et uniquement à l’égard de la personne à l’encontre de laquelle elle est formée (Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 18-14.337, inédit ; Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-20.966, à paraître au Bulletin, D. 2018. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ). D’autre part, « l’effet interruptif attaché à une demande en justice ne s’étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet » (Civ. 1re, 19 mars 2015, n° 14-11.340, inédit, Civ. 1re, 19 mars 2015, n° 14-11.340, D. 2016. 449, obs. N. Fricero ; AJDI 2015. 367 ; V. égal., Soc. 21 oct. 1998, n° 96-44.172, inédit ; Civ. 3e, 4 juill. 1990, n° 89-11.092 P, RDI 1990. 498, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ) ; en somme, l’interruption de la prescription ne vaut que si l’objet de la demande est identique, même si leurs fondements juridiques diffèrent (Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-19.887, inédit).

Telles sont les lignes qui définissent la portée de l’effet interruptif attaché à une demande en...

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