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Atteinte à la dignité humaine en garde à vue : rejet de la requête de l’Association des avocats pénalistes

Le 16 février 2022, l’Association des avocats pénalistes a formé un recours pour excès de pouvoir contre le rejet implicite de demandes présentées au garde des Sceaux et au ministre de l’Intérieur tendant à faire cesser les atteintes à la dignité humaine en garde à vue. Le Conseil d’État a rejeté sa requête, au motif qu’une telle atteinte n’était pas caractérisée à l’échelle nationale. 

L’arrêt du Conseil d’État du 29 décembre 2023 s’inscrit dans un contexte riche, à la confluence de plusieurs actions en justice et décisions. Il fait partie des arrêts rendus dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir visant à ce que le juge administratif ordonne à l’administration de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale lui incombant, plus simplement appelé « REP-toutes mesures utiles » (v. A. Goin et L. Cadin, Le juge ne peut pas tout, AJDA 2023. 2105 ). On peut ranger dans cette catégorie différentes affaires médiatiques, comme la demande de l’Observatoire international des prisons (OIP) visant à faire changer les matelas des détenus (CE 17 déc. 2008, n° 305594, Dalloz actualité, 19 déc. 2008, obs. M.-C. de Montecler ; Section française de l’observatoire internationale des prisons, Lebon ; AJDA 2008. 2364 , obs. M.-C. Montecler ; ibid. 2014. 119, chron. J.-M. Delarue ; AJ pénal 2009. 86, obs. E. Péchillon ), la demande d’une commune et d’associations tendant à ce que des mesures soient prises pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (CE 1er juill. 2021, n° 427301, Dalloz actualité, 2 juill. 2021, obs. J.-M. Pastor ; Grande-Synthe (Cne), Lebon ; AJDA 2021. 217 ; ibid. 2115 ; ibid. 2020. 2287 ; ibid. 2021. 2115, note H. Delzangles ; D. 2020. 2292, et les obs. ; ibid. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ; RFDA 2021. 747, note A. Van Lang, A. Perrin et M. Deffairi ; RTD eur. 2021. 484, obs. D. Ritleng ) ou encore l’action de la Ligue des droits de l’homme ayant pour finalité que le ministre de l’Intérieur prenne toutes mesures utiles pour assurer le respect par les forces de l’ordre de l’obligation de port visible de l’identifiant individuel (CE, ass., 11 oct. 2023, Ligue des droits de l’homme, n° 467771, Dalloz actualité, 16 oct. 2023, obs. E. Maupin ; Ligue des droits de l’homme et autre, syndicat de la magistrature et autre, Lebon ; AJDA 2023. 1804 ; ibid. 2105 , chron. A. Goin et L. Cadin ; AJ pénal 2023. 561 et les obs. ; RFDA 2023. 1099, concl. F. Roussel ).

En 2021, l’association des avocats pénalistes s’est emparée de ce recours : elle a demandé au garde des Sceaux et au ministre de l’Intérieur de prendre toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement. Elle s’est notamment appuyée sur des recommandations de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, qui avait constaté « la totale indignité » des conditions d’accueil dans certains locaux situés dans le ressort de la préfecture de police de Paris (CGLPL, Recomm. du 19 juill. 2021 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police, JO 21 sept. 2021, texte n° 32). Aucun des ministres n’a répondu à la demande de l’association, ce qui caractérise un rejet implicite de la demande. C’est cette décision de rejet implicite qui a fait l’objet du recours en excès de pouvoir, introduit par une requête du 16 février 2022.

Ce n’est pas la première fois que cette affaire est évoquée dans les colonnes du Dalloz actualité. En effet, elle a donné lieu à la saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Par une décision du 6 octobre 2023, il a posé une réserve d’interprétation à l’article 63-5 du code de procédure pénale (Cons. const. 6 oct. 2023, n° 2023-1064 QPC, Dalloz actualité, 20 oct. 2023, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2023. 500, note C. Courtin ). Le Conseil constitutionnel a estimé que le magistrat chargé du contrôle d’une mesure de garde à vue avait le devoir de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité des personnes gardées à vue, y compris en ordonnant leur remise en liberté. Une fois cette décision rendue, l’instance a repris son cours devant le Conseil d’État.

Office du juge dans le cadre d’un « REP-toutes mesures utiles »

Dans sa décision, le Conseil d’État a consacré une partie de ses motifs à un rappel de l’office du juge administratif saisi d’une requête tendant à l’annulation du refus opposé par l’administration à une demande tendant à ce qu’elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale lui incombant. Il s’agit d’une reprise à l’identique de développements que l’on retrouve dans l’arrêt Ligue des droits de l’homme du 11 octobre 2023 (préc.). Le Conseil d’État commence par rappeler que le juge administratif doit, dans un premier temps, apprécier si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d’illégalité. Le cas échéant, il doit, dans un second temps, enjoindre à l’administration de prendre les mesures nécessaires. L’office du juge connaît toutefois deux limites : il ne doit pas statuer sur une demande qui ne relève pas de sa compétence, et il ne lui appartient pas de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.

Le Conseil d’État donne ensuite plus de précisions sur l’appréciation du caractère illégal du refus de l’administration de prendre des mesures (consid. 6) et sur les mesures qui peuvent être ordonnées (consid. 7). Il indique notamment que, dans ce cadre, avant d’apprécier la légalité du refus, le juge administratif doit constater « la méconnaissance...

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