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Atteinte à la vie privée en détention : Salah Abdeslam débouté

Le 12 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre a rendu un jugement particulièrement attendu dans lequel il a débouté Salah Abdeslam. Ce dernier faisait, en effet, état d’une atteinte à sa vie privée survenue durant sa détention.

par Dorothée Goetzle 17 octobre 2017

À la suite des attentats perpétrés à Paris le 13 novembre 2015, Salah Abdeslam a été écroué à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Particulièrement surveillée, sa détention fait l’objet d’une vidéosurveillance décidée par le ministre de la Justice le 17 juin 2016. Créé par l’arrêté du 9 juin 2016 portant création de traitement de données à caractère personnel relatif à la vidéoprotection des cellules de détention puis pérennisé par la loi du 21 juillet 2016, la vidéoprotection a précisément vu le jour pour encadrer la détention de Salah Abdeslam. En ce sens, l’article 1 de l’arrêté dispose que les détenus concernés sont « les personnes placées sous main de justice, faisant l’objet d’une mesure d’isolement, dont l’évasion ou le suicide pourrait avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et l’impact de celle-ci sur l’opinion publique » (Arr. 9 juin 2016, Dalloz actualité, 14 juin 2016, obs. O. Hielle isset(node/179549) ? node/179549 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>179549 ; Loi n° 2016-987, 21 juill. 2016, Dalloz actualité, 26 juill. 2016, obs. D. Goetz isset(node/180284) ? node/180284 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>180284). 

Le 29 juin 2016, le député Thierry Solère se rendait à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis accompagné de deux journalistes selon les modalités prévues par l’article 719 du code de procédure pénale. Quelques jours plus tard, le journal du dimanche publiait un article intitulé « prière, cuisine, télé-réalité… la vie de Salah Abdeslam en prison ». L’article relatait la visite du député dans cette maison d’arrêt en retranscrivant entre guillemets les propos tenus par ce dernier lorsqu’il était sorti des lieux sécurisés de vidéosurveillance.À la suite de la parution de cet article, Salah Abdeslam avait assigné le député au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces deux dispositions garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée. En réparation de son préjudice moral, le détenu sollicitait la somme d’un euro.

Pour Salah Abdeslam, la liberté d’expression ou d’information ne peuvent justifier la divulgation des éléments dévoilés par le député dans l’article. Il est vrai que Thierry Solère avait confié aux journalistes des détails relatifs à la vie privée de Salah Abdeslam auxquels il avait eu accès lors de son entrée dans la salle sécurisée de vidéoprotection. Ainsi, le député avait indiqué avoir vu sortir Salah Abdeslam des toilettes, s’être brossé les dents «  de manière saccadée » après avoir rangé « de façon maniaque » sa cellule. En outre, il soulignait avoir vu l’intéressé prier puis s’installer sur son lit pour lire le Coran. Or, la divulgation de ces informations était décrite par Salah Abdeslam comme une atteinte à sa liberté spirituelle et morale. Le détenu considère, en effet, que cette insistance sur ses activités de prière et de lecture du Coran a eu pour conséquence de « polémiquer voire de provoquer en insistant sur sa pratique religieuse ».

Le député insistait sur le cadre juridique dans lequel s’était inscrite sa visite à la maison d’arrêt. Ce cadre est en effet fixé par le récent article 719 du code de procédure pénale qui permet aux députés et aux journalistes d’effectuer des visites inopinées des établissements pénitentiaires. Selon ce texte « les députés et les sénateurs ainsi que les représentants au Parlement européen élus en France sont autorisés à visiter à tout moment (…) les établissements pénitentiaires (…) ». Cette disposition ne comporte aucune restriction au droit de visite des députés, si bien que Thierry Solère considère qu’il pouvait régulièrement pénétrer, après y avoir été autorisé par la directrice de la maison d’arrêt, dans l’espace de vidéoprotection. L’argument est pertinent en ce sens qu’il ne saurait effectivement lui être fait grief d’avoir méconnu les dispositions légales applicables. Pour le député, la description qu’il a livrée aux journalistes n’est pas constitutive d’une atteinte à la vie privée du détenu. Il considère, en effet, que ses déclarations sur l’ordre régnant dans la cellule sont anodines.

Dans le même esprit, il conteste toute atteinte à l’intimité spirituelle et morale de Salah Abdeslman puisque sa religion était connue de tous depuis les attentats du 13 novembre 2015. En outre, il insiste sur le fait qu’en dépit des recours initiés par Salah Abdeslam contre la décision du garde des Sceaux de le placer sous le régime de la vidéosurveillance, le Tribunal administratif de Versailles puis le Conseil d’Etat ont à l’unisson considéré que cette mesure ne portait pas atteinte au respect de sa vie privée (Dalloz actualité, 13 juill. 2016, obs. J. Mucchielli ). De plus, le député souligne qu’il est seul poursuivi sans que l’assignation ne distingue les propos qu’il aurait tenus, tels que rapportés par les journalistes, les déclarations des surveillants de l’administration pénitentiaire et l’article lui-même. Cette précision est intéressante en ce sens que se sont les journalistes qui ont choisi de retranscrire ses propos dans l’article et, ensuite, la société éditrice, qui a décidé de les rendre publics en publiant l’article.

Enfin, à titre subsidiaire, le député souligne que toute atteinte à la vie privée de Salah Abdeslam, à la considérer caractérisée, serait en tout état de cause justifiée par la liberté d’expression et par le droit d’informer le public. Cet argument résulte de la combinaison des principes posés d’un côté par les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 9 du code civil soulevés par Salah Abdeslam et, de l’autre côté, par l’article 10 de la Convention. En effet, ce texte garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers. Dès lors, le droit à l’information du public est limité aux éléments relevant, pour les personnes publiques, de la vie officielle et aux informations volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.

Il revenait donc au tribunal de grande instance de Nanterre de répondre à la question suivante : les propos du député retranscrits dans l’article étaient-ils justifiés par l’information légitime du public sur un sujet d’intérêt général et sur un événement d’actualité judiciaire ?

Pour y répondre, les magistrats analysent la construction et le contenu de l’article. Ils relèvent que l’article débute par une description de la superficie, de la capacité d’accueil et de la configuration des bâtiments de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Ensuite, l’article relate le déroulement de la visite du député, notamment ses échanges avec la directrice de la sécurité. Contrairement à Thierry Solère, les journalistes n’ont pas pu avoir accès à la salle de vidéoprotection. Ils ont dont recueilli les propos du député au moment où il sortait de cet espace sécurisé. Précisément, il leur a indiqué que : « C’est un choc d’avoir sous ses yeux un être humain qui a participé au carnage que l’on connaît ».

Cette description du contenu de l’article est intéressante, car elle permet aux magistrats de conclure que l’article « est consacré aux conditions carcérales au sein de cet établissement pénitentiaire, et non pas exclusivement aux conditions de détention de M. Abdeslam ». Or, « constituent des sujets d’intérêt général du public l’existence du droit à l’information des députés et journalistes sur les conditions de détention en France, les conditions carcérales à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (…) enfin la mise en œuvre du dispositif mis en place par l’arrêté du 9 juin 2016 portant création de traitement de données à caractère personnel relatif à la vidéoprotection des cellules de détention ». Les magistrats se référent ensuite explicitement au critère de l’actualité judiciaire en indiquant que cette visite des conditions de détention réalisée le 29 juin 2016 s’inscrivait dans un contexte d’actualité judiciaire au motif que Salah Abdeslam avait été placé sous vidéoprotection le 17 juin 2016, soit douze jours avant.

En toute logique, le tribunal de grande instance de Nanterre a donc débouté Salah Abdeslam de ses demandes.