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Les attributions du juge de l’exécution et la vente amiable d’un bien indivis

Dans un avis du 16 juillet 2021, la Cour de cassation retient qu’il n’entre pas dans les attributions du juge de l’exécution d’autoriser un indivisaire à procéder seul à la vente amiable d’un bien indivis en cas de refus du coïndivisaire.

Lorsqu’est saisi un bien immobilier soumis au régime de l’indivision, entre-t-il dans les attributions du juge de l’exécution d’autoriser un indivisaire à procéder seul à la vente amiable d’un bien indivis en cas de refus du coïndivisaire ?

La question n’appelle pas une réponse évidente et il est bien compréhensible que le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Créteil ait éprouvé le besoin d’être éclairé des lumières de la Cour de cassation ; il a donc formé une demande d’avis, à laquelle a répondu la Haute juridiction le 16 juillet 2016.

La Cour de cassation a été d’avis que la demande d’autorisation formée par l’un des indivisaires aux fins de procéder à la vente amiable du bien est irrecevable devant le juge de l’exécution.

Objet de l’avis

Chacun sait que lorsqu’un bien est soumis au régime de l’indivision, il ne peut plus être saisi par un créancier quelconque de l’un ou l’autre des indivisaires. Le principe en la matière est en effet que « les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles » (C. civ., art. 815-17, al. 2). De là, il découle cette conséquence que ni la part dans le bien indivis ni le bien indivis lui-même ne peuvent être saisis par le créancier personnel d’un indivisaire, sauf à ce que le créancier ait tous les indivisaires comme codébiteurs solidaires (Civ. 1re, 6 nov. 2001, n° 98‐20.518 P, RTD civ. 2002. 150, obs. R. Perrot ). Hormis ce dernier cas, il ne reste donc au créancier qu’à provoquer le partage, comme l’article 815-17, alinéa 3, du code civil lui en donne la possibilité. Toute autre est la situation de ceux qui, par commodité, sont qualifiés de « créanciers de l’indivision » : les créanciers dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, comme ceux qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision, peuvent poursuivre la saisie et la vente des biens indivis (C. civ., art. 815-17, al. 1er).

L’avis rendu par la Cour de cassation ne remet pas en cause ces solutions bien établies. Et, lorsqu’un bien indivis est saisi, le juge de l’exécution demeure naturellement compétent pour déterminer s’il est saisissable. Cette compétence, affirmée par plusieurs textes spécifiques (v. par ex., en matière de saisie-vente, C. pr. exéc., art. R. 221-53), découle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire : en prétendant qu’un bien saisi ne pouvait l’être, le débiteur forme à l’évidence une contestation à l’occasion de la procédure de saisie, laquelle relève de la compétence du juge de l’exécution.

Dans la demande d’avis, la question posée à la Cour concernait une situation sans doute plus marginale : celle où, au cours de la procédure de saisie, l’un des indivisaires consent à vendre le bien à l’amiable tandis qu’un autre s’y refuse.

Parce que la vente du bien indivis constitue un acte de disposition, le consentement de l’ensemble des indivisaires est en principe requis (Aix-en-Provence, ch. 1-9, 10 janv. 2019, n° 18/14039), sauf lorsqu’il s’agit de procéder à la vente d’un bien meuble indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision puisqu’en ce cas la vente peut être autorisée par le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis (C. civ., art. 815-3, al. 7).

Mais ce principe souffre quelques exceptions permettant à un ou plusieurs indivisaires d’être autorisés en justice à passer un acte. Notamment, l’article 815-5 du code civil prévoit qu’un « indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun » (C. civ., art. 815-5). Rien n’interdit ainsi à l’un des indivisaires de solliciter l’autorisation de procéder à la vente amiable, nonobstant le refus d’un autre, dès lors qu’il établit que ce refus met en péril l’intérêt commun. Cette mise en péril de l’intérêt commun n’est d’ailleurs pas difficile à établir dès lors qu’il est admis que les ventes sur adjudication conduisent fréquemment à vendre le bien saisi à un prix inférieur à celui du marché (v. par ex., G. Couchez et D. Lebeau, Voies d’exécution, 12e éd., Sirey, coll. « Université », 2017, n° 493 ; R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz 2013, n° 907 ; v. égal. qui reprend cette argumentation, Lyon, 8e ch., 17 déc. 2019, n° 19/02812).

Toute la question est alors de déterminer si l’indivisaire peut se tourner vers le juge de l’exécution pour obtenir cette autorisation de vendre le bien indivis.

Analyse de l’avis

La Cour de cassation est d’avis que le juge de l’exécution ne peut connaître de la demande d’un indivisaire tendant à être autorisé à vendre un bien à l’amiable sur le fondement de l’article 815-5 du code civil.

Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée sur deux séries d’arguments.

En premier lieu, elle s’est fondée sur l’office du juge de l’exécution au cours de la procédure de vente amiable sur autorisation judiciaire. La vente amiable sur autorisation judiciaire constitue le fruit d’une procédure en deux phases au cours desquelles le juge de l’exécution dispose d’un rôle assez bien délimité. Lors d’une première phase, le juge n’autorise la vente amiable qu’après s’être assuré que celle-ci peut intervenir dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles du débiteur (C. pr. exéc., art. R. 322-15) ; il fixe alors les conditions dans lesquelles la vente doit intervenir (notamment le prix en-deçà duquel le bien ne peut être vendu), ainsi que la date de l’audience à laquelle l’affaire sera rappelée (C. pr. exéc., art. R. 322-21). C’est à cette audience que se déroule la seconde phase de la vente amiable sur autorisation judiciaire : sauf à ce que le débiteur sollicite un délai supplémentaire, il doit en principe produire un acte constatant la vente du bien saisi ; le juge de l’exécution constate alors la vente après s’être assuré que celle-ci est intervenue aux conditions qu’il avait définies et que le prix a été consigné (C. pr. exéc., art. R. 322-25). Les textes tendent ainsi à ce que le juge de l’exécution assure un équilibre entre les intérêts du ou des créanciers et ceux du débiteur saisi : il ne doit autoriser le débiteur à vendre amiablement son bien (ce qui suspend la procédure) que s’il est convaincu que cette vente est susceptible d’intervenir à des conditions satisfaisantes. De ce constat, il est possible de déduire qu’il ne lui appartient manifestement pas de trancher des conflits entre indivisaires !

Ce premier argument n’est cependant pas décisif. Car les textes cités n’ont qu’une valeur réglementaire, au contraire de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. Pour écarter la compétence du juge de l’exécution, il fallait donc considérer que la demande de l’indivisaire tendant à être autorisé à ventre le bien saisi ne constituait pas une contestation qui s’élève à l’occasion de la saisie ou une demande née de cette procédure ou s’y rapportant directement. Pour résoudre cette difficulté, il n’était guère permis de tirer parti de l’arrêt qui avait jugé que « le juge de l’exécution ne peut, sans excéder ses pouvoirs, ordonner la vente forcée de la pleine propriété de biens meubles et immeubles grevés d’un usufruit, contre la volonté du nu propriétaire » (Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-19.875 P, D. 2009. 2861 ; ibid. 2010. 2183, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RTD com. 2010. 214, obs. G. Paisant ) ; si la Cour de cassation avait statué ainsi, c’est qu’elle estimait (encore que cela puisse être discuté) qu’aucun juge ne disposait d’un tel pouvoir en raison de l’indépendance qui existe entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. Pour retenir que la demande de l’indivisaire échappe aux attributions du juge de l’exécution, telles que délimitées par l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, la Cour de cassation a simplement relevé que l’absence de toute autorisation de vendre le bien indivis n’empêche pas la saisie de se poursuivre jusqu’à son terme et que le juge de l’exécution « n’est pas juge du fonctionnement de l’indivision ». Par cette formule, la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que le juge de l’exécution n’a pas vocation à connaître de toutes les demandes qui se rattacheraient par un lien quelconque à la saisie (v. sur ce point, S. Lemoine et E. de Leiris, Le juge de l’exécution, juge du principal ?, in L. Flise et E. Jeuland [dir.], L’exécution forcée : des procès dans le procès, IRJS, 2017, p. 61). C’est ainsi que la Cour de cassation juge qu’il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant, qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 19-20.281 P, AJDI 2021. 462 ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, M. Draillard, F. Kieffer, Rudy Laher et O. Salati ; 22 juin 2017, n° 15-24.385, inédit ; Com. 22 mars 2017, n° 15-15.742 P, D. 2017. 711 ; ibid. 1388, obs. A. Leborgne ; AJDI 2017. 609 , obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2018. 214, obs. N. Cayrol ), alors même qu’une telle demande, si elle était accueillie, pourrait faire échec à la procédure de saisie en raison du jeu des compensations.

De ces différents constats, la Cour de cassation en a déduit que la demande de l’indivisaire tendant à être autorisé à vendre le bien indivis, nonobstant l’absence de consentement de son coïndivisaire, doit être déclarée irrecevable par le juge de l’exécution.

Ce faisant, la Cour de cassation affirme que le juge de l’exécution n’est pas simplement incompétent pour connaître de cette demande, mais qu’il est en la matière dépourvu de tout pouvoir juridictionnel ; en conséquence, la demande doit être déclarée irrecevable et le juge excéderait ses pouvoirs s’il statuait sur celle-ci (rappr. Civ. 3e, 23 mars 2005, n° 03-19.071, Bull. civ. III, n° 72). C’est là une nouvelle illustration qu’il existe un certain nombre de demandes qui échappent au pouvoir juridictionnel du juge de l’exécution (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 19-20.281 P, AJDI 2021. 462 ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, M. Draillard, F. Kieffer, Rudy Laher et O. Salati ; JCP 2021. 673, note crit. R. Laher ; 8 janv. 2015, n° 13-21.044 P, D. 2015. 164 ; ibid. 1339, obs. A. Leborgne ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; RTD civ. 2016. 183, obs. N. Cayrol . Comp. Com. 22 mars 2017, n° 15-15.742 P, D. 2017. 711 ; ibid. 1388, obs. A. Leborgne ; AJDI 2017. 609 , obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2018. 214, obs. N. Cayrol ), défaut de pouvoir juridictionnel qui est sanctionné par une fin de non-recevoir et non par une exception d’incompétence.

Comme le souligne une partie de la doctrine, la distinction entre défaut de pouvoir juridictionnel et incompétence devrait reposer sur un critère s’articulant autour de l’idée que les règles de compétence ne constituent que des clés de « répartition » des litiges entre les différentes juridictions (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2020, n° 952). Dès lors qu’une juridiction existe pour connaître d’une demande, il devrait donc s’agir d’une question de compétence ; à l’inverse, s’il apparaît qu’aucune juridiction ne peut statuer sur une demande, il s’agit d’une problématique liée au pouvoir juridictionnel (P. Théry, obs. ss. Com. 21 févr. 2012, n° 11-13.276, Com. 28 juin 2011 et Civ. 1re, 23 mai 2012, RTD civ. 2012. 566 ; J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, op. cit., n° 308). Le pouvoir juridictionnel devrait donc être apprécié globalement, au regard des attributions de l’ensemble des juridictions. Ce critère de distinction simple n’est cependant pas celui qu’utilise la Cour de cassation qui admet que la notion de pouvoir juridictionnel dépend de la nature de la juridiction saisie. Le présent avis en constitue une nouvelle illustration : dès lors qu’il existait bien un juge pour autoriser l’indivisaire à vendre le bien saisi en passant outre l’absence de consentement du coïndivisaire, le juge de l’exécution aurait simplement dû se déclarer incompétent pour en connaître. En indiquant que le juge de l’exécution doit déclarer la demande irrecevable, la Cour de cassation désapprouve cependant cette analyse. L’ennui est que la Cour de cassation semble employer ces deux notions de manière purement intuitive, au gré des espèces qui lui sont soumises et parfois sans grand égard pour la terminologie employée ; il suffit de comparer quelques arrêts rendus à propos de la demande du débiteur mettant en cause la responsabilité de l’établissement bancaire qui tente de saisir ses biens (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 19-20.281 P, AJDI 2021. 462 ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, M. Draillard, F. Kieffer, Rudy Laher et O. Salati ; 22 juin 2017, n° 15-24.385, inédit, AJDI 2017. 603 ; 25 sept. 2014, n° 13-20.561 P, D. 2015. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; RTD civ. 2015. 192, obs. P. Théry ).

Conséquence de l’avis

En l’absence de consentement unanime des indivisaires pour procéder à la vente amiable d’un bien, l’un des indivisaires ne peut donc se tourner vers le juge de l’exécution pour être autorisé à passer l’acte de vente. Il convient alors d’indiquer quelques voies procédurales qui peuvent être suivies par l’indivisaire pour obtenir l’autorisation.

La difficulté en la matière tient au délai dont dispose le débiteur pour procéder à la vente amiable. A l’audience d’orientation, le juge de l’exécution ne peut laisser au débiteur un délai qui excéderait quatre mois pour procéder à la vente amiable (C. pr. exéc., art. R. 322-21, al. 3). Certes, un délai supplémentaire allant jusqu’à trois mois peut être accordé ; mais ce délai ayant uniquement vocation à permettre la rédaction et la conclusion de l’acte authentique de vente (C. pr. exéc., art. R. 322-21, al. 4), il ne devrait pas pouvoir bénéficier à l’indivisaire dans sa quête d’une autorisation. Le débiteur doit donc rapidement agir et le plus sage est sans doute d’entreprendre les démarches avant que se tienne l’audience d’orientation.

L’indivisaire peut, comme dans le cadre de la présente affaire, demander à être autorisé à passer la vente en excipant du péril que le refus du coïndivisaire d’y consentir fait courir à l’intérêt commun. Il lui appartient alors de saisir le « juge » (C. civ., art. 815-5) ; ce terme désigne assurément le tribunal judiciaire, mais il ne devrait pas interdire de saisir le juge des référés afin d’obtenir l’autorisation, encore que certaines juridictions semblent réticentes à l’admettre (pour la compétence du juge des référés, Nîmes, 2e ch. civ., sect. B, 10 mai 2021, n° 20/01016 ; Grenoble, ch. aff. fam., 17 nov. 2015, n° 15/4331. Contre, Amiens, 1re ch., 30 oct. 2003, n° 02/00112). En tout état de cause, si l’indivisaire saisit le tribunal judiciaire, l’urgence pourrait justifier qu’il soit autorisé à assigner son adversaire à jour fixe (C. pr. civ., art. 840).

L’indivisaire peut également tenter de mobiliser l’article 815-6 du code civil qui prévoit que le « président du tribunal judiciaire peut prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun » ; sur le fondement de ce texte, le président du tribunal judiciaire peut autoriser un indivisaire à conclure seul un acte de vente portant sur un bien indivis (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-20.158 P, D. 2013. 2914 ; AJ fam. 2014. 120, obs. N. Levillain ). Toutefois, il demeure une incertitude sur la procédure qui doit être suivie. La Cour de cassation jugeait en effet que le président du tribunal judiciaire devait statuer sur une telle demande en la forme des référés, quand bien même cette dernière procédure n’était-elle prévue par aucun texte (Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-21.457 P, D. 2012. 553 ; 20 mai 2009, n° 07-21.679 et 08-10.413 P, D. 2009. 1536 ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton ).

Mais, au 1er janvier 2020, la procédure accélérée au fond s’est substituée à la procédure de référé en la forme et l’article L. 213-2 du code de l’organisation judiciaire prévoit que la procédure accélérée au fond ne peut être empruntée que lorsque la loi ou le règlement le prévoit. Cela rend incertain l’application de la procédure accélérée au fond lorsque le président du tribunal judiciaire est saisi sur le fondement de l’article 815-6 du code civil (Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP 2019. 928, spéc. n° 6).