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Au procès d’un criminologue : escroquerie aux diplômes et expertises sur plateaux TV

Laurent Montet a comparu devant le tribunal correctionnel de Troyes le mercredi 27 février pour escroquerie, travail dissimulé, faux et usage de faux. Durant plusieurs années, ce criminologue a délivré des diplômes sans valeur, en laissant croire qu’ils étaient reconnus. Il a été condamné à trois ans de prison ferme, avec mandat de dépôt.

par Julien Mucchiellile 28 février 2019

Le procureur, c’est déjà ça, n’a pas été déçu : « Je m’attendais à un discours d’escroc, il a eu un discours d’escroc ». Laurent Montet, 46 ans, « dix-sept ans d’usurpation », selon l’accusateur irrité, comparaît mercredi 27 février 2019 devant le tribunal correctionnel de Troyes, pour escroquerie, travail dissimulé, exploitation d’un établissement supérieur sans déclaration préalable, faux et usage de faux et, malgré tout, il ergote avec faconde devant un tribunal à cheval sur la prévention, qui ne le laissera pas pérorer. Il est vrai que Laurent Montet, criminologue patenté, est un expert vu à la télévision – BFM TV, LCI, NRJ 12 – habitué à pontifier, louvoyer et à remplir le vide.

Laurent Montet remplit un vide : il n’y a pas de formation de criminologie en France. Lui est un passionné des Tueurs en série, qui a tenté d’en approcher certains au cours de procédures, aime analyser les crimes selon des concepts par lui échafaudés, c’est-à-dire non scientifiques, mais très sensationnels. Ce discours affriolant n’a pas séduit que les chaînes d’information en continu (ses services ont également, un temps, été requis dans des procédures judiciaires), il a aussi attiré d’authentiques passionnés de la chose criminelle qui voulaient en faire leur métier. Car Laurent Montet, criminologue depuis 1996, est docteur en criminologie depuis 2011, thèse soutenue en Suisse et en langue italienne, précise l’intéressé, et il préside le Forensic Criminology High Studies Institute (FORCRIM), créé en 2006 sous le nom d’Institut de hautes études en criminologie. Dans cet établissement, il dispense des formations qui permettent d’obtenir des « Masters » et des « doctorats », promet une reconnaissance de ses diplômes à l’internationale, le tout pour la modique somme de 1 000 € par an.

Cela attire également l’attention de Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal à l’Université de Nantes, qui signale au procureur ce criminologue suspect. Dans son signalement résumé à l’audience, elle explique avoir contacté des collègues enseignant dans des universités étrangères, que Laurent Montet mettait sur son site comme partenaires, il s’est avéré que ces partenariats n’existaient pas. En enquêtant à partir de ce signalement, les enquêteurs vont démonter le système Montet.

Tout cela était faux, des boniments parfaitement élaborés en vue de tromper, et les plaignants, très nombreux, en ont gros sur la patate – certains ont fait huit ans d’études, tel ce Monsieur D., 56 ans, dont les ambitions professionnelles sont désormais anéanties. L’un, un brin optimiste, a tenté de se prévaloir de son diplôme certifié par Montet pour postuler à la police fédérale américaine. « Vous pensez vraiment que ma cliente a rédigé une thèse de 450 pages, a sacrifié trois ans de sa vie pour obtenir un diplôme sans valeur ? » demande une avocate. La présidente : « Et ces étudiants étrangers qui doivent attester d’une formation diplômante pour se maintenir sur le territoire ? »

« Je n’admettrai jamais d’être une “personnalité escroc” »

Laurent Montet plaide le malentendu. « Il y a probablement des gens qui ont surestimé ce qu’ils attendaient. Je comprends qu’il y a des faits et des manquements, et je veux être condamné, mais dire qu’ils ne savaient pas que ce n’était pas un diplôme de criminologie d’État… ». Laurent Montet joue sur l’ambiguïté : il ne dit pas être titulaire d’un doctorat français, mais il affirme être « docteur », sans autre précision. Il ne prétend pas que ses diplômes fussent officiels, lui se contentait de délivrer une formation. « Moi, dit la présidente, je suis dans le concret. Je vois un site qui dit pouvoir me faire accéder à un diplôme de type LMD, une appellation protégée. Un diplôme, c’est une reconnaissance pour permettre de justifier des compétences pour pouvoir exercer un métier. » Laurent Montet hausse le ton et ses indexes : « Je n’admettrai jamais d’être une “personnalité escroc”, mue par le seul désir de tromper les étudiants. Mais, acculé, il concède avoir « manqué de prudence ». Il dit : « Si je dois être condamné aujourd’hui (surplombant du regard, il laisse un silence), c’est de ne pas avoir dit de manière assez claire que mon diplôme n’était pas opposable. S’il y a une interdiction que l’on doit m’infliger (il se fait magnanime), c’est celle de gérer, je suis un très mauvais gestionnaire. Il faut me laisser enseigner – La justice l’a déjà fait ! » le coupe une présidente atterrée.

Le 2 juillet 2014, la cour d’appel de Paris condamnait Laurent Montet à dix-huit mois de prison avec sursis pour escroquerie et exploitation d’un établissement supérieur sans déclaration préalable, notamment, et assortissait la condamnation de l’interdiction d’une telle exploitation. Il est donc en récidive pour ces deux infractions. « J’ai l’arrêt de la cour d’appel, dit la présidente, vous affirmez que le mot de diplôme, que l’on vous reprochait d’avoir employé, n’était pas adapté. Comment pouvez-vous dire aujourd’hui que vous ne saviez pas ? » Laurent Montet est (réellement) titulaire d’une maîtrise en droit (carrières judiciaires), « et vous ne savez pas lire une décision de justice ? Ça me fait peur, car au-delà de l’escroquerie, on pourrait craindre que la qualité de l’enseignement n’était pas là », pique-t-elle. Sa bonne foi s’ébranle, Laurent Montet plaide la médiocrité. Mais il insiste : « Je ne reconnaîtrai jamais que j’ai voulu arnaquer les étudiants. Maintenant, que la situation prête à confusion, que j’oublie d’informer de certaines choses, oui. »

Laurent Montet, en revanche, n’a pas oublié de solliciter des paiements, des avances et même parfois des prêts auprès de ses étudiants. C’était parfois des SMS assez pressants. Il demandait aussi à être payé sur des comptes étrangers, par mandat cash ou Western Union et Moneygram. Il dit ne l’avoir fait qu’avec les étudiants étrangers, mais le dossier montre le contraire. Apparaît alors, dénudé, l’escroc dans toute son avidité. Mais il ne se laisse pas démonter, et raconte des déboires personnels, une ruine qui l’aurait conduit à agir ainsi.

« Il aurait aimé être Laurent le magnifique »

Et puis, il y a les autres délits : faux, usage de faux. Il a fabriqué et utilisé un tampon avec le logo de l’Institut national de la protection industrielle (INPI). Travail dissimulé : il n’a pas payé l’URSSAF et s’est déclaré sans emploi, alors qu’il employait des personnes intervenant dans son établissement. Laurent Montet s’est également prévalu de partenariats fictifs ou qui n’étaient plus, avec l’université catholique de Lyon, par exemple. Il présentait aussi sur son site une garantie de convention avec l’Unité médico-judiciaire de Lagny-sur-Marne et l’institut médico-légal de Compiègne. Ces entités n’existent plus depuis 2012. La prévention porte sur une période allant de début de 2016 à septembre 2018.

« Tout cela peut paraître un peu anecdotique, mais c’est un ensemble : on va tout mettre pour appâter, tout est fait pour qu’il y est un bel emballage de sérieux absolu », entame le procureur. « Dix-sept ans que ce type trompe des gens (la précédente condamnation porte sur une période courant à partir de 2001, NDLR). » Après avoir qualifié chacune des infractions, le procureur requiert trente mois « avec exécution immédiate », et la révocation des dix-huit mois de prison avec sursis (et d’un SME d’1 mois), 50 000 € d’amende (qui s’ajouteraient aux très nombreux dommages et intérêts demandés par les parties civiles), cinq ans d’interdiction des droits civiques et l’interdiction définitive d’enseigner.

A en croire son défenseur, « il aurait aimé être Laurent le magnifique, être le meilleur criminologue de France. » Alors il a tenté de mettre en place son rêve, et s’est laissé débordé : « Il faut dire que mon client a un peu rajouté des éléments : la reconnaissance, voilà tout le problème de Monsieur Montet, qu’est-ce qu’il aimerait fouiller dans les campagnes, à la recherche des plus grands tueurs en série de France. » Mais Laurent Montet s’est perdu dans ses illusions, et « lui-même déjà a du mal à comprendre qu’il est sa propre victime ». Il ne demande qu’une chose : que son client puisse continuer à enseigner.

Laurent Montet a été condamné à trente-six mois de prison avec mandat de dépôt, révocation du sursis de dix-huit mois et du SME d’un mois, cinq ans d’interdiction de gérer et d’enseigner et à une amende de 20 000 €.