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Au procès de Georges Tron, un complot et beaucoup de fumée

Le procès de l’ancien secrétaire d’Etat et maire de Draveil pour viol et agression sexuelle en réunion s’est attardé, mardi 6 novembre, sur les opposants politiques à Georges Tron. La défense prétend qu’ils sont au centre d’une cabale politique contre l’actuelle majorité à la mairie de Draveil, et, alliés aux plaignantes dans cette procédure, ils travaillent à la chute de Georges Tron.

par Julien Mucchiellile 6 novembre 2018

La défense de Georges Tron, à qui on ne fera pas avaler que les relations entre deux frères jumeaux d’extrême droite et les deux femmes qui accusent le maire de Draveil sont le fruit du hasard, a tenté, en vain, de démontrer l’existence d’un complot. En matière de machination, rien de très élaboré n’a jailli des témoignages des deux frères de 57 ans, Jacques et Philippe Olivier, qui ne sont ni des oracles, ni des Machiavel. Depuis le début du procès pour viol en réunion et agression sexuelle (Georges Tron) et complicité (Brigitte Gruel), l’intime conviction de la cour et des jurés de Bobigny se fonde, au mieux, sur des ressentis et observations convergents, au pire sur des rumeurs avilissantes. Ce mardi 6 novembre, en quête de la conjuration anti Tron, la défense s’est heurtée aux Olivier.

Jacques Olivier a été membre du Front national (FN) jusqu’en 1 999, après quoi, aux yeux du parti, il est devenu un traître – au FN, on ne plaisante pas avec les apostats. Il en est semble-t-il parti avant tout pour causes de divergences stratégiques avec l’appareil de parti. Après avoir craché dans la tambouille frontiste, donc, Jacques Olivier est demeuré un draveillois vigilant, jusqu’à l’irruption du projet Joffre. « Joffre, c’est quoi ? C’est l’hôpital Necker à 20 kilomètres de Paris », plante Jacques Olivier. Georges Tron soutient le projet d’un nouveau quartier, en lieu et place de cet établissement, et les Olivier, en tant que riverains, sont opposés au projet. L’association Draveil-village émane d’une précédente association, milite contre ce projet immobilier. « Déjà, pas d’appel d’offres, ensuite : il y a deux millions d’écart entre le prix annoncé par le contrat, et les 4 millions soit disant reçus par l’APHP. Où sont-ils passés ? » Ce n’est pas tout : « Le directeur de l’établissement acquéreur était auparavant fonctionnaire à l’APHP. » Coïncidence ? Il faut croire que Jacques Olivier, lui aussi, aime bien les complots.

Fin 2009, la rupture avec Georges Tron est total. La lutte autour de la réalisation du projet est féroce, Draveil-village s’organise autour de ses 30 membres actifs, de tous les bords, et de 200 militants. Sous sa bannière, deux candidats, Fabienne S. et Philippe B. (largement cités dans cette procédure) se présentent aux cantonales, perdent, mais la lutte continue, jusqu’à se mêler à la présente affaire, à la présente audience, jusque sur les bancs du publics : à droite, la tribu Tron, à gauche près des parties civiles, les soutiens des frères Olivier.

Les plaignantes et les frères Olivier

Jacques a connu Eva Loubrieu lors de soirées littéraires, lorsqu’elle était au service du maire. « Pour moi, ce n’était qu’une fonctionnaire parmi d’autres, que je connaissais juste un peu mieux que les autres. » Il ne la fréquente plus à partir de 2009, jusqu’en février 2011 : « Elle passe chez moi », en compagnie de François-Joseph R. (le fonctionnaire à bacchantes, ami d’Eva Loubrieux qui « n’a rien contre Georges Tron, bien au contraire »), lui raconte qu’elle a été maltraitée par le maire. Le président : « A-t-elle évoqué des détails sexuels ? – Oui, mais je l’ai arrêtée – C’est effectivement ce que vous aviez dit à l’époque – Ca ne m’étonne pas de moi », conclut le témoin, car Jacques est pudique. Quant à Virginie Ettel, il l’a rencontrée début mai 2011, lors d’une soirée d’anniversaire de Fabienne S. Il se souvient d’une femme « en rage », qui lui a fait des confidences sur les faits vécus. La plainte sera déposée le 24 mai 2011.

C’est ainsi que sitôt l’affaire débutée, Georges Tron soupçonne une collusion entre les plaignantes et ses opposants politiques. Il est même fait état d’intérêts pécuniaires : Jacques possède huit biens immobiliers, ce serait un magnat richissime qui veut faire main basse sur des terrains. Mais le témoin explique qu’il loue six de ces biens, qu’il en tire 2 000 euros de bénéfice par mois, a donné un terrain à la municipalité pour agrandir la cour de l’école primaire et fait des baux HLM à ses locataires.

La théorie du complot politique est alors avancée. Un repas cristallise les attaques de la défense. Son récit est fait dans un article des Inrocks : au domicile des Olivier, en décembre 2012, un dîner autour d’une omelette de pommes de terre réunit les époux Mignon, François-Joseph R., Philippe B. et Virginie Ettel. Jacques Olivier aurait tenté d’unir Lucile Mignon contre un « ennemi commun », Georges Tron. À l’audience, Jacques Olivier dit aujourd’hui qu’il s’était contenté de donner un « conseil de com’».

En outre, dans ce lieu (qui est une verrière), un ordinateur de Jacques Olivier a été utilisé par virginie Ettel. C’était en janvier 2012, elle avait écrit un Brigitte Gruel avec une adresse de courriel créée au nom d’Eva Loubrieu – elle ne l’explique pas aujourd’hui. Avant que les enquêteurs ne s’en saisisse, l’ordinateur avait disparu, gelé un soir de tempête. Le témoin assure que l’ordinateur était en libre service, et qu’il n’entendait rien à l’informatique.

« On va parler du FN »

« Le problème que la défense a avec vous, entame Me Dupond-Moretti, c’est que vous êtes partout. On va parler du FN. » Alors l’avocat étale dans le prétoire toutes les relations que Jacques Olivier entretient encore aujourd’hui avec l’extrême droite. Son appartement a servi de boîte aux lettres à une association qui soutenait la candidature de Marine Le Pen. Le nom est celui d’un certain M. Ottavioni, militant radical. « J’ai des amis de partout, ça me va comme ça », répond le témoin. Eric Dupond-Moretti dégaine alors la page Facebook d’Olivier, jonchée de commentaires et photos de ses amis identitaires ; Il ironise bruyamment sur l’idéologie évidemment extrémiste du témoin – qui l’assume pleinement – afin d’insinuer qu’il est dans son intérêt politique d’ourdir un complot.

Un élément va en ce sens. Eva Loubrieu a confié un jour, à un certain Thomas N., qu’elle avait « toute la machine FN derrière elle » (ce que Jacques Olivier réfute pouvoir lui apporter). Ce Thomas N., militant anti FN, a raconté avoir voulu piéger Eva Loubrieu, persuadée qu’elle était en cheville avec le FN local. C’est la démonstration que voudrait bien pouvoir achever la défense, mais elle ne parvient pas à mettre en lumière une quelconque entente politique entre les plaignantes et les représentants de l’extrême droite à Draveil. Elle tentera de le faire mercredi 7 novembre, en interrogeant Eva LOubrieu sur ce point.

La deuxième tête de ce complot, qui est identique à la première puisqu’ils sont jumeaux, tient sur un ton de conférencier mondain un réquisitoire politique contre le « système Tron », qu’il peint en potentat mégalo en cheville avec le commissariat de sa ville, insistant sur son fétichisme des pieds connu de tous. Sur le complot, Philippe Olivier se gausse : « Georges Tron est le maire d’une petite ville, il est un député sans bilan et est un ministre technique, qui n’est pas connu du public. Marine Le Pen ne savait même pas qui il était, avant l’affaire. » L’accusé est très agité sur sa chaise, tout comme Me Dupond-Moretti souffle et bouge de son banc au pupitre. L’avocat : « Combien de fois il vous a battu aux élections Georges Tron ? » Le témoin semble indifférent, l’avocat repose plusieurs fois la question. « Deux fois, finit-il par dire. Est-ce que vous vous souvenez du score ? » Le témoin bredouille, Eric Dupond-Moretti prétend qu’il pourrait nourrir quelque rancoeur contre celui qui l’a tant de fois défait.

Contre Philippe Olivier, la défense brandit, comme à son frère, les preuves criantes de son appartenance à l’extrême droite. Le témoin ne s’en cache pas. Il prétend s’engager pour ses idées, et s’il a quitté le FN en décembre 1998, c’est pour des raisons de politique politicienne. Il demeure avant tout un citoyen draveillois engagé, comme pour la défense de l’hôpital contre le projet de la mairie. Un projet qui, coïncidence ? n’a jamais abouti.