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Au procès de policiers de la BAC du XVIIIe, indics véreux et blanchiment

Karim M…, policier de la BAC du XVIIIe arrondissement, est renvoyé auprès de sept autres prévenus, dont cinq policiers pour des faits de corruption, trafic de stupéfiants, faux en écriture publique, et d’autres délits, dans le cadre de leur activité de policier. L’audience, ouverte mercredi, doit s’achever jeudi 11 février.

par Julien Mucchiellile 5 février 2021

À la 16e chambre correctionnelle, d’ordinaire dédiée au grand banditisme et au terrorisme, six policiers ont pris la place des prévenus, et la foule emplie l’immense salle – toutes les places sont prises – pour apercevoir « Bylka » (Kabyle en verlan), Karim M… à l’état civil, 47 ans, petit baraqué avec la tête rasée et des plis dans le cou, qui parle d’une voix éraillée depuis son box. Les autres policiers sont assis sur des chaises disposées de part et d’autre du prétoire, ainsi qu’un autre prévenu, tandis qu’un dernier prévenu, Ahmad M…, partage le box avec Bylka, chef adjoint du groupe 2 de la brigade anticriminalité (BAC) du XVIIIe, ripou notoire dit la rumeur, prévenu d’une ribambelle de chefs d’infraction, dont corruption, trafic de stupéfiants, faux en écriture publique, blanchiment, dit la justice.

En juin 2018, à la suite de renseignements qui ont permis l’ouverture d’une enquête et des écoutes, des policiers de la BAC sont interpellés. Karim M… est le principal mis en cause, Aaron B… est soupçonné d’être son bras droit. Karim M… et ses complices sont suspectés de racketter des dealers (leur faire « souscrire une assurance »), pour leur garantir un trafic sans encombre, et, a contrario, de faire tomber la concurrence (qui ne paie pas l’assurance). Dans la présente procédure, plusieurs personnes ont été interpellées et condamnées sur la base de produits stupéfiants dont la justice pense qu’ils ont pu être placés là par les policiers. On reproche également à Karim M… d’avoir blanchi de l’argent par le biais de bars et hôtels dont il était gérant de fait.

Karim M… réglait l’intégralité de ses dépenses en espèces. Ses gains aux jeux, dit-il, et 800 € par mois d’argent de poche donné par ses parents. Néanmoins, des achats immobiliers en Algérie laissent penser qu’il avait d’autres sources de revenus, tirés de ses divers trafics, issus des rues du quartier de la Goutte d’Or.

L’affaire, déjà, c’est une ambiance. Dans le XVIIIe arrondissement : beaucoup de délinquance de rue. Les trafics en tout genre, vols et recels occupent le quotidien des policiers. Karim M… a apprécié cette diversité ; quand la présidente Isabelle Prévost-Desprez lui demande : « Pourquoi avoir intégré la BAC, qu’est-ce qui vous intéresse ? » Le prévenu répond :

— Travailler en civil, ainsi que la diversité des missions.

— Vous avez une formation en procédure pénale ?

— Pas forcément.

— Vous êtes agent de police judiciaire, comment vous comprenez vos missions ?

— On apprend sur le tas, auprès des plus anciens.

— Et s’ils ne connaissent rien, eux non plus ?

Mais c’est l’action plus que le droit, « combattre l’injustice », qui intéresse Karim M…, quand il intègre l’effectif de la BAC du XVIIIe en 2005. Rapidement, il prend la direction de fait du groupe 2 de la BAC auquel il est intégré, le chef officiel étant souvent absent, et très désagréable avec ses effectifs, comprend-on de la bouche des prévenus. Quant au chef de la BAC (qui chapeaute les trois groupes), c’était un ami proche de Karim M….

Pour comprendre l’affaire, il faut savoir comment le groupe fonctionnait. « Chaque mois, il y avait un compte rendu d’activité à faire, et nous devions faire trente mises à dispositions » de personnes interpellées. La présidente veut tout savoir dans le détail :

— Qui mettait en place les dispositifs de surveillance et d’interpellation ?

— C’est moi qui décide de l’endroit où on va se placer, ensuite, on répartit les rôles.

Cela étonne la présidente, mais Karim M… répond avec assurance que c’était une façon normale de fonctionner. Tout comme le ramassage des téléphones portables abandonnés par les choufs (guetteurs) détalant à l’arrivée des policiers.

— On a retrouvé neuf téléphones prépayés chez vous en perquisition.

— C’est quand je passe sur les lieux de deal, c’est là que je les ramasse.

— Et vous en avez utilisé certains aussi.

Leurs méthodes étaient connues, tout le monde savait qu’ils « prenaient des enveloppes », au sein du commissariat. Ceux qui comparaissent devant le tribunal – la plupart nient une partie des faits qui leur sont reprochés – ne croyaient pas aux rumeurs, ou ne voulaient pas y croire. L’un d’eux dit tout de même : « J’essayais de me désolidariser au maximum de Karim M… et Aaron B…, je ne voulais pas être mêlé à eux », l’air désolé.

Karim M… travaillait avec beaucoup d’informateurs. « Un informateur, un interlocuteur », dit-il. « C’est moi qui les gérais », après les avoir dégotés dans la rue. Karim M… était le seul à travailler avec des indicateurs à la BAC, qui ne disposent pas des ressources d’autres services de la police pour déclarer et rémunérer des informateurs. La présidente s’étonne de cette pratique, Karim M… explique : « J’avais baigné dans cette ambiance toute ma carrière, j’ai vu les anciens travailler avec des informateurs, j’ai cru que c’était légal. » Les indics de Karim M… qui intéressent l’affaire ont été présentés au SDPJ 93, pour qui ils sont devenus des informateurs officiels. « Et ils ont continué à nous donner des petites affaires », gratuitement.

— Quel intérêt pour les informateurs s’ils ne sont pas rémunérés ?

— Le deal, c’était que je leur donne accès aux services pour qu’ils puissent être référencés.

Et toucher une rémunération de la part d’autres services.

Le premier volet de l’affaire concerne deux interpellations « données » par des informateurs, et voici Ahmad M…, un Pakistanais grisonnant surnommé « l’Hindou », qui dit avoir rencontré Karim M… en 2012, et le chef de la BAC du XVIIIe en 2017. Ahmad M… travaillait gratuitement et, pour un homme d’affaires (l’homme a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour des faits d’escroquerie), « l’explication a ses limites », dit la présidente. Idem pour monsieur D…, l’autre informateur concerné, prévenu comparaissant libre. Il était un ami d’enfance de Karim M…, et il est devenu son indic (ainsi que celui d’autres services, auprès desquels il était déclaré). Gratuitement. « Tout ce que je donne en affaires, c’est gratuit, c’est pour un ami. »

Aymen I. connaît monsieur D… et Ahmad M…. Le 17 avril 2017, Ahmad M… lui donne rendez-vous dans un café, lui remet 500 €. Ayamen I… s’en va en voiture et se fait arrêter par la BAC en passant dans le XVIIIe. Tandis qu’Aaron B… le contrôle, Karim M… sort un sachet rempli de poudre blanche de sous le siège passager et dit : « C’est quoi, ça ? » Aymen I… sera condamné à dix mois de prison, et les 500 € ne seront pas retrouvés dans sa fouille.

Aymen I… ne sait pas qui de Karim M… ou d’Ahmad M… a planqué la cocaïne. Ce dernier dit avoir donné Aymen I… à la police, car celui-ci ne s’était pas acquitté de sa tâche dans de précédentes affaires (faux papiers). Karim M… dit avoir aperçu la cocaïne sur le plancher côté passager, visible de l’extérieur, alors qu’Ahmad M… lui avait signalé qu’elle se trouvait sous le siège du conducteur.

Deux jours plus tard, Karim M… interpelle Nazim B…, sur un renseignement d’Ahmad M…, encore une fois lors d’un contrôle routier, pour une quantité similaire de cocaïne (environ 25 g). L’affaire qui mène à cette interpellation est plus complexe.

Nazim B…, pour le compte de Lofti B…, cherchait à convertir 245 000 € en espèces en chèques de banque, pour acheter des véhicules et les envoyer en Algérie. Une façon de blanchir l’argent, mais Nazim B… le jure, cet argent n’était pas le produit d’un commerce illicite. Moyennant une commission, Nazim B… devait acheter les chèques avec les espèces. Il va voir l’Hindou (Ahmad M…), qui lui fait un premier chèque de 26 000 € au nom de sa société, puis un autre de 35 000 €, au nom d’une société d’un proche. Nazim B… revient avec le reste mais, cette fois-ci, Ahmad M… lui donne de faux chèques. « Pour quelle raison décidez-vous d’arnaquer ces gens ? », demande la présidente. Ce dernier explique que, le deal, c’est d’interpeller Nazim B… pour voler les espèces et les partager. 80 000 € devaient revenir à Karim M…. Ce dernier commente naïvement : « Ahmad M… me propose une affaire de cocaïne, une information qui tient la route, vu la quantité annoncée. » Les autres policiers impliqués, dont Aaron B…, savaient qu’ils devaient procéder à une interpellation, sans plus de détail. Il nie le deal énoncé par Ahmad M…. « Ce qu’il avait derrière la tête, je n’étais pas au courant de tout cela. Je conteste, c’est absolument faux, il ne m’a jamais remis 80 000 €, c’est un menteur. »