Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Au procès Tapie, les absences se multiplient

Bernard Tapie est jugé depuis le 11 mars pour détournement de fonds public et escroquerie en bande organisée en rapport avec l’arbitrage Adidas qui lui avait octroyé 403 millions d’euros, dont 45 millions de préjudice moral.

par Marine Babonneaule 18 mars 2019

Bernard Tapie n’est pas seul sur le banc des prévenus. À ses côtés, son ancien avocat Maurice Lantourne, l’un des trois arbitres Pierre Estoup, l’ex-patron du consortium de réalisation (CDR) Jean-François Rocchi, l’ex-président de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR) (qui assurait le financement du CDR) Bernard Scemama et Stéphane Richard à l’époque directeur de cabinet de la ministre de l’économie Christine Lagarde.

Dès l’ouverture du procès, trois témoins clés ont fait savoir qu’ils ne se présenteraient pas devant la 11e chambre correctionnelle. Jean-Denis Bredin et Pierre Mazeaud, deux des trois arbitres. Ils sont âgés et malades. Gilles August, à la tête du cabinet August Debouzy et avocat du CDR, ne viendra pas non plus. Il est lié par le secret professionnel, a-t-il fait valoir au tribunal dans une lettre. « Tiens, c’est nouveau, ça. Le tribunal appréciera », avait piqué l’avocat de Bernard Tapie, Hervé Temime (v. Dalloz actualité, 13 mars 2019, art. M. B. isset(node/194918) ? node/194918 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194918).

Lundi 18 mars, la défense de Pierre Estoup a fait savoir que ce dernier, âgé de 92 ans, avait eu un accident cardiaque pendant le week-end et qu’il n’était pas certain qu’il puisse revenir à son procès.

En somme, les arbitres ne sont pas là et seul un avocat des parties à l’arbitrage est présent. L’attelage judiciaire est pour le moins bancal mais la présidente a décidé de poursuivre les audiences. La semaine dernière, déjà, Bernard Tapie avait évoqué ses relations supposées avec Pierre Estoup sans que l’intéressé puisse intervenir. Il n’était déjà plus là. « Il est impossible que l’affaire soit jugée sans Pierre Estoup, et ce d’autant plus qu’il n’y a pas eu de confrontation pendant l’instruction. C’est un problème sérieux, tout de même… comment soutenir l’accusation de Bernard Tapie dans ce contexte ? Par souci d’honnêteté à l’égard du tribunal, il faudrait ordonner une expertise médicale ! Et quid de la venue de Pierre Mazeaud ? Tout cela, c’est le cœur du procès », a interrogé Me Temime. La magistrate veut un certificat médical. « Le tribunal n’a pas besoin d’un certificat pour demander une expertise médicale », enchaîne Me Paul-Albert Iweins, conseil de Maurice Lantourne. Le tribunal le décidera ainsi : une expertise sera éventuellement ordonnée après réception du certificat médical. Et si Pierre Estoup ne revenait pas ?

L’audience se poursuit. Maurice Lantourne, dont l’audition avait débuté jeudi 14 mars, évoque l’entrée en arbitrage de 2008. Il est redoutablement précis et n’hésite pas à cingler le parquet lorsque celui-ci ne l’est pas suffisamment. Le tribunal s’intéresse aux relations Lantourne-Estoup qui pourraient mettre à mal l’impartialité du tribunal arbitral (la sentence arbitrale a été annulée le 30 juin 2016 par la Cour de cassation). L’avocat a fait appel au magistrat Estoup à plusieurs reprises, notamment en 1999, 2000, 2001 et 2002. « On se situe en 1999, soit huit avant l’arbitrage Adidas. Il s’agit de quatre arbitrages et d’une médiation. Pendant les six années suivantes, il n’y a eu aucun autre arbitrage. J’ai généré en recettes pour le compte de Pierre Estoup 0 % les cinq années avant l’arbitrage Adidas. Sur les dix ans, c’est 6 % de ses recettes du fait de ces arbitrages, qui n’ont rien à voir avec Bernard Tapie et qui n’ont rien à voir avec la matière », détaille Me Lantourne. Logique, il ajoute : « On ne va pas reprocher à un arbitre d’être conflicté sur un dossier dans lequel il n’est pas encore désigné ». D’ailleurs, il « n’est pas l’obligé » de Pierre Estoup, la preuve, il a refusé trois dossiers qu’ils avaient en commun. Pour le prévenu, c’est « le climat de l’enquête » qui pose problème. On établit « un faisceau d’indices avec des éléments qui n’ont rien à voir avec le dossier Tapie ». Bernard Tapie, assis, acquiesce.

« Ces trois arbitrages n’ont pas été déclarés très spontanément mais seulement après la découverte d’une note d’honoraires », rappelle le parquet. « Il n’y avait aucune obligation de déclarer des arbitrages vieux de six ou sept ans, rétorque Maurice Lantourne. Pour le CDR, Gilles August n’avait pas déclaré l’état de ses relations avec Jean-Denis Bredin et ça n’a pas eu l’air de vous choquer. » Il balaie aussi les soupçons autour d’autres rendez-vous avec Pierre Estoup, qu’avance l’accusation. « Il faut être magicien pour tirer des conclusions pénales d’un arbitrage qui n’a pas eu lieu », ironise-t-il. Aucune facturation d’autres supposés arbitrages n’a d’ailleurs été retrouvée chez monsieur Estoup, « qui est bien mieux organisé que moi », ajoute le prévenu.

Maurice Lantourne connaît donc Pierre Estoup. Et, comme le rappelle Hervé Temime, Gilles August a des liens avec Jean-Denis Bredin mais également avec Pierre Mazeaud. « Ces liens étaient problématiques pour vous ? » « À l’époque, je ne crois pas l’avoir su. Mais ça ne me posait pas problème car ces trois arbitres sont indépendants, prestigieux et intellectuellement remarquables. Pour moi, ce n’était pas un problème car il s’agissait de personnalités très fortes. » Bernard Tapie trépigne, maugrée. Il veut parler, il souffle : « J’avais juste une réflexion. Je suis sidéré par l’audience. » « On n’est pas sur la même planète, là ! Dans un arbitrage, chaque partie choisit un arbitre, qu’elle ne déteste pas en principe. […] Après, la qualité de la personne suggère qu’on peut lui faire confiance. Moi, je savais que Bredin avait des relations avec le Lyonnais. C’était les avocats de la banque depuis vingt ans ! La seule chose importante, c’est qu’il n’y ait plus de contact dès que l’arbitrage commence. C’est ça qui suggère l’indépendance. »

L’audience se poursuit demain avec la suite de l’audition de Maurice Lantourne.