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Audience à la commission nationale de réparation des détentions

La commission nationale de réparation des détentions, commission juridictionnelle de la Cour de la cassation, examinait le cas de Fabienne Maestracci détenue à tort dans le cadre de l’affaire dite de « la piste agricole », pendant du dossier Erignac.

par Marine Babonneaule 29 mai 2019

Fabienne Maestracci a passé treize mois derrière les barreaux de Fleury-Mérogis entre mars 1998 et février 1999, date à laquelle elle a été placée sous contrôle judiciaire pendant seize ans. Elle sera entendue la dernière fois par un juge en 1999. En 2016, un non-lieu est prononcé. Elle fait partie des trente et un mis en examen, dits de « la piste agricole », sorte de protubérance judiciaire accolée au dossier de l’assassinat du préfet Claude Érignac dans une rue d’Ajaccio, le 6 février 1998. Le 6 novembre 2018, la cour d’appel de Paris confirmera la condamnation de l’État pour déni de justice et faute lourde.

De ses treize mois en détention, Fabienne Maestracci a fait un récit, écrit d’un trait, intitulé Les murs de vos prisons. Elle y raconte l’isolement, la répétition, la violence, la solitude, la terreur, la crasse et la mort. « Ils m’ont obligée à gommer ce qu’il y avait de bon en moi-même afin d’assurer ma propre survie ; c’est ça que je ne pardonnerai jamais », cingle-t-elle. « La prison est sans doute l’un des lieux où l’on est le plus seul. Et pourtant, il n’y existe aucune intimité », raconte-t-elle encore. En avril 2018, cette femme d’une cinquantaine d’années obtient 18 000 € au titre du préjudice moral. Son avocat, Emmanuel Mercinier, décide de former un recours contre la décision qu’il juge insuffisante.

L’audience s’est déroulée devant la Commission nationale de réparation des détentions. Cette dernière se situe au premier étage d’un préfabriqué posé dans l’une des cours du vieux palais de justice Paris. La salle est petite, quelconque, ôtant toute solennité à un moment qui le mérite peut-être davantage. Ici, un conseiller rapporteur rappelle les faits. Puis tout va très vite. L’avocate de l’État ouvre son dossier, ce n’est ni le premier ni le dernier de la journée. Fabienne Maestracci a subi deux détentions provisoires qui se sont chevauchées : la première allant du 28 mars 1998 au 5 février 1999, la seconde allant du 15 octobre 1998 au 13 avril 1999. L’avocat n’a saisi la commission que pour la première période de détention.

La situation interpelle la commission. « Pourquoi ? » Il y a deux détentions, A et B. La détention B va aboutir à un non-lieu assez rapidement. À ce titre, il n’était pas possible de demander une indemnisation pour la détention B injustifiée car la procédure de la détention A a abouti à un non-lieu beaucoup plus tard, en 2016. « Or il est constant que, si A aboutit à une condamnation, la détention B n’est pas indemnisable, quoique B ait abouti à un non-lieu », explique l’avocat. Reste qu’il faut délimiter la période indemnisable, car A et B se chevauchent : Me Mercinier demande que soient pris en compte dix mois et treize jours, soit 319 jours de prison, soit toute la période A. Et ce contrairement à la décision de la cour d’appel de Paris qui a jugé, en application de l’article 149, alinéa 1er, du code de procédure pénale, que devait être retranchés de la période indemnisable les jours communs aux détentions A et B car « aucune réparation n’est due […] lorsque la personne était dans le même temps détenue pour autre cause ». Cela n’a aucun sens pour l’avocat. « Considérer que la personne ayant subi une détention provisoire injustifiée doit être privée du droit à indemnisation dès lors qu’elle a dans le même temps fait l’objet d’une seconde détention provisoire injustifiée, quoique cette dernière n’ait pas donné lieu à indemnisation, serait absurde puisque, symétriquement, cette personne serait alors privée du droit à indemnisation au regard de la seconde détention provisoire, en sorte que deux détentions provisoires injustifiées concomitantes ne seraient jamais indemnisables tandis qu’une seule l’est nécessairement », explique-t-il. « C’est logique : Fabienne Maestracci doit être indemnisée de son incarcération sans cause, subie du 23 mars 1998 au 5 février 1999. » Voilà pour l’aspect technique.

Le préjudice moral et matériel. Le choc carcéral, l’angoisse face à la peine encourue, les mauvaises conditions de détention – celles de Fleury-Mérogis ne sont plus à démontrer –, l’atteinte à l’honneur et à la considération. Emmanuel Mercinier égrène les exemples. Fabienne Maestracci a été victime et témoin d’agressions « extrêmement violentes » en détention, l’affaire Érignac « a donné lieu à des milliers d’articles, la fausse “piste agricole” également. Fabienne Maestracci fait partie des cinq figures emblématiques de ce dossier. Certains articles de presse en font encore état aujourd’hui de son incarcération, alors que le sujet du reportage est sa production d’huile d’olive. Plus de quinze ans après… C’est bien la preuve d’une atteinte à l’honneur tout à fait singulière ». « Il apparaît raisonnable d’indemniser Mme Maestracci à hauteur de 300 € par jour d’incarcération subie, soit la somme de 95 700 € pour 319 jours. » « On ne répare jamais le préjudice, on compense un tant soit peu », ajoute Me Mercinier.

Quant au préjudice économique, « toutes les pièces produites ont été rejetées car jugées insuffisantes. Fabienne Maestracci était restauratrice lorsqu’elle a été placée en détention. Une EURL. Elle exploitait un restaurant dans l’extrême sud de la Corse, dont elle était la cheffe. Dix mois et demi après, il est évident que le restaurant avait parfaitement périclité. […] Le premier président de la cour d’appel a considéré que la preuve n’était pas faite que c’était la détention provisoire qui lui avait fait perdre son restaurant. […] Vingt après, il est difficile de produire des pièces […] mais nous avons retrouvé le rapport de l’administrateur judiciaire au tribunal de commerce qui l’affirme clairement : la fermeture est due à l’incarcération et à la non-restitution de pièces comptables », détaille la défense. Avant Fleury, elle percevait 2 135 € par mois, soit « une perte de 22 275 € au total » et 152 000 € pour le fonds, dont 76 731 € d’emprunt qu’elle remboursera jusqu’en 2015.

Pour l’avocate de l’État, « il n’est pas possible d’augmenter la demande à hauteur d’appel ». Concernant la durée d’indemnisation, il y a « une complexité dans cette situation », reconnaît-elle, mais, « comme il n’y a pas eu de demande pour la seconde détention provisoire, on ne sait pas ce qui aurait été décidé ». Par ailleurs, l’agent judiciaire de l’État a admis les violences subies lors de l’incarcération et a même alloué « une augmentation légère et raisonnable » de l’indemnité. L’atteinte à l’honneur ? « Au-delà de la détention provisoire, c’est l’affaire Érignac dont il est essentiellement question. » Pas de Fabienne Maestracci, donc. Pour le préjudice matériel, « nous avons vu les pièces, nous avons un doute sur la perte de revenus au-delà des bilans fournis. Nous n’avons pas eu de documents précis. Or ses revenus ont bien dû être déclarés. N’était-il pas possible de produire des avis d’imposition. […] Je ne constate pas objectivement les pertes de revenus. […] Avant la détention provisoire, la situation économique était déjà délicate », ânonne l’avocate. Rejet des demandes, selon elle.

« Je suis perturbé, je suis assez séduit par l’argumentation orale du conseil de Mme Maestracci s’agissant de la période indemnisable », avoue l’avocat général, surpris lui-même. « On retire d’une détention provisoire une autre détention provisoire qui n’est pas indemnisée. C’est la double peine. Il y a ici un hiatus. » « C’est un conflit négatif, comme l’on appelle cela en droit administratif », interrompt le président. Pour le reste, le parquet rejette les demandes.

C’est allé vite dans cette petite salle, sans bancs pour le public, où chaque intervenant est à portée de bras de l’autre. Le président demande à l’intéressée si elle a quelque chose à ajouter. Elle se lève, un peu nerveuse. « Quand vous êtes en prison, que vous n’avez rien fait, vous n’avez pas de barème, vous ne savez pas combien de temps vous allez rester. J’ai même commencé à apprendre le japonais, c’est vous dire… Et quand on est un prisonnier politique, on a la pastille rouge. Ça interdit certaines activités : pour aller à la bibliothèque, ça a été l’enfer, toutes les deux heures on tape à votre porte. Pendant des années, je me suis réveillée toutes les deux heures. J’ai dû attendre trois mois mon premier parloir. Les escaliers de la souricière, je peux les monter les yeux fermés. […] J’avais un restaurant, j’ai arrêté la restauration après ça, je voulais être tranquille. […] Mon compagnon, qui était incarcéré aussi, à l’isolement, avait deux fils. L’un d’entre eux n’a pas supporté, il a été interné. On n’a rien pu faire pour l’aider. Il en est mort. C’est vrai qu’on n’a pas demandé tout de suite… c’est très dur de me retrouver ici ».

Décision le 18 juin.