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Audition libre des mineurs : non conformité totale à la Constitution

Le Conseil constitutionnel déclare l’article 61-1 du code de procédure pénale relatif au régime de l’audition libre des mineurs contraire à la Constitution.

par Dorothée Goetzle 14 février 2019

Cette question prioritaire de constitutionnalité ( QPC) porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 61-1 du code de procédure pénale. Selon ce texte, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut, au cours de l’enquête pénale, être entendue librement sur ces faits. A la différence de la garde à vue, l’audition libre suppose le consentement de la personne, ce qui signifie que l’intéressé ne peut pas avoir été conduit sous contrainte devant l’officier de police judiciaire. En outre, la personne ne peut être entendue qu’après avoir été informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction, du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue, du droit d’être assistée par un interprète, du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire, de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit et, si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition par un avocat. Elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat (Cons. const. 18 juin 2012, n° 2012-257 QPC, AJ pénal 2012. 602, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2012. 442, chron. A. Darsonville ; RSC 2013. 441, obs. B. de Lamy ; ibid. 842, obs. X. Salvat ; Cons. const. 18 nov. 2011, n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, D. 2011. 3034 , note H. Matsopoulou ; ibid. 3005, point de vue E. Vergès ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2012. 102, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2012. 185, obs. J. Danet ; ibid. 217, obs. B. de Lamy ).

En l’espèce, le requérant considère que ce texte est contraire au principe d’égalité devant la procédure pénale et au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs. Précisément, il est fait grief au législateur de ne pas avoir prévu, lorsqu’un mineur soupçonné d’avoir commis une infraction est entendu librement au cours d’une enquête pénale, des garanties équivalentes à celles prévues lorsqu’il est entendu dans le cadre d’une garde à vue. Ainsi, il est reproché au législateur de ne pas avoir prévu le droit, pour un mineur entendu librement, de bénéficier de l’assistance obligatoire d’un avocat et d’un examen médical. Dans le même esprit, il est fait grief au texte de ne pas avoir prévu l’information des représentants légaux de la mesure d’audition libre. En d’autres termes, le requérant reproche au législateur d’avoir prévu des droits de la défense identiques, en matière d’audition libre, pour les majeures et les mineurs, alors qu’en matière de garde à vue, les droits sont renforcés dès lors qu’un mineur est concerné.

Il est vrai que cette situation est surprenante, d’autant plus que si l’audition libre est en pratique souvent très brève, la loi ne prévoit aucune durée maximale (B. Chapleau, L’audition libre des mineurs à l’aune de la loi du 27 mai 2014, D. 2014. 1506  ; S. Pellé, Garde à vue : la réforme de la réforme (acte I)
A propos de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, D. 2014. 1508 ; J.-D. Perrier, La transposition tardive de la notification du droit du suspect libre à l’assistance d’un avocat; à propos de l’entrée en vigueur différée de l’article 61-1, 5°, du code de procédure pénale, D. 2014. 1160  ; M. Touiller, Le statut du suspect à l’ère de l’européanisation de la procédure pénale : entre « petite » et « grande » révolutions, RSC 2015. 127 ; Vergès, Le statut juridique du suspect: un premier défi pour la transposition du doit de l’Union européenne en procédure pénale, Dr. pénal 2014. Étude 15). Il faut toutefois préciser que la circulaire du 19 décembre 2014 de présentation des dispositions applicables à compter du 1er janvier 2015 de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales apporte une précision importante concernant le droit à la défense des mineurs durant une audition libre. Selon ce texte, « bien que ni l’article 61-1 du code de procédure pénale, ni l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ne le prévoient et afin de prendre en compte la situation particulière de minorité, si la personne soupçonnée est mineure, ses parents ou ses représentants légaux doivent être informés de la mesure et de ce droit et peuvent demander à ce que le mineur puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat ». Ainsi, et en application de la directive précitée, le droit applicable à l’audition libre des mineurs rejoint, dans les faits, celui de la garde à vue en incorporant une partie des dispositions de l’article 4-II de l’ordonnance du 2 février 1945 n° 45-174 relative à l’enfance délinquante, aux termes duquel « lorsqu’un mineur est placé en garde à vue, l’officier de police judiciaire doit, dès que le procureur de la République ou le juge chargé de l’information a été avisé de cette mesure, en informer les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur. »

Les Sages abondent pourtant dans le sens du requérant. En effet, ils considèrent que les garanties prévues par le législateur à l’article 61-1 du code de procédure pénale ne suffisent pas à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l’audition libre, ni à éviter qu’il opère des choix contraires à ses intérêts. Ils constatent en effet que l’audition libre d’un mineur se déroule selon les mêmes modalités – toutes prévues par l’article 61-1 du code de procédure pénale – quelque soit l’âge de l’intéressé.

Ce faisant, la disposition contestée est déclarée contraire à la Constitution.

Constatant que l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les garanties légales encadrant l’audition libre des personnes soupçonnées, majeures ou mineures, entraînant ainsi des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel reporte au 1er janvier 2020 la date de leur abrogation. Le législateur dispose donc environ d’un an pour réécrire le texte.