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Autonomie de l’instance en référé et de l’instance au fond

De la manière de contester une décision de justice… par le seul exercice des voies de recours, mais sans empêcher le juge du fond de remettre en cause une décision préalable rendue en référé, dans le même litige.

par François de La Vaissièrele 8 mars 2019

Promis à une grande diffusion en raison de sa cotation, l’arrêt commenté présente un intérêt doctrinal et pratique manifeste en ce qu’il éclaircit la coexistence d’une décision de référé, première en date, et d’une décision ultérieure du juge du fond en sens opposé et à propos du même litige.

Il s’agit d’une situation contentieuse assez fréquente, puisque l’on sait que l’ordonnance de référé n’est pas assortie de l’autorité de chose jugée au principal, étant (sauf exception) une décision de nature provisoire, et qu’il est donc loisible à la partie qui a succombé en référé de tenter de contrarier ce qui lui nuit en saisissant le juge du fond dont la décision exécutoire ne présentera pas cet inconvénient. Ce peut être aussi la volonté de la partie qui a fait prospérer sa thèse devant le juge des référés civils de consolider la solution obtenue en sollicitant du juge du fond qu’il statue à son tour, évidemment dans le même sens. Une troisième configuration qu’on rencontre souvent, du fait de la célérité avec laquelle le juge des référés statue la plupart du temps, consiste à saisir concomitamment juge du fond et juge des référés pour obtenir de ce dernier qu’il évacue les questions urgentes (expertise, provision, mesures de remises en état, etc.) que présente un conflit, tout en saisissant de sa plénitude de juridiction la juridiction ordinaire, juge unique ou formation collégiale, qui pourra trancher au principal les questions résiduelles ou complémentaires et celles pouvant, par leur étendue, mettre un terme définitif au litige.

Nulle complication procédurale ne survient lorsque les deux types de décisions concordent, ou simplement se complètent parce qu’elles ne relèvent pas initialement du même degré d’évidence ou d’urgence. Il en est autrement lorsque, comme en l’espèce, on se propose de faire – le plus légalement du monde – du juge du fond une sorte de réformateur de la décision provisoire, puisqu’il s’agit alors de solliciter, mais sans le dire explicitement, qu’il fasse échec au premier examen qui a été fait du dossier (à la condition toutefois qu’il entre dans les pouvoirs multiples, mais non extensibles, du juge des référés).

L’écueil est à ce stade que le juge saisi en second lieu, et qui n’est aucunement une juridiction d’appel du premier, sorte de son rôle – qui est d’affirmer une solution autonome pouvant même être contradictoire – en condamnant plus ou moins directement ce qui a été décidé avant lui. C’est exactement ce qu’illustre l’affaire soumise ici à la Cour de cassation et qui se traduit logiquement par une censure partielle au visa de l’article 460 du code de procédure civile énonçant que « la nullité d’un jugement ne peut être demandée que par les voies de recours prévues par la loi », ce qui sous-entend nettement que si le juge du fond peut contrarier la solution dépourvue d’autorité de chose jugée apportée par le juge des référés, dont l’office est institutionnellement distinct, il ne peut sous aucun prétexte dans le dispositif de sa décision se saisir du contenu de l’ordonnance pour le confirmer ou pour l’infirmer.

Cela demeure cependant paradoxal car, ce faisant, le juge du fond va nécessairement porter, à travers sa propre motivation, une appréciation sur la décision distincte de référé, la rendant compatible avec la sienne ou au contraire s’en éloignant… au point d’apparaître comme la censurant ou en l’approuvant, même implicitement, à la manière de ce que ferait un juge d’appel saisi par l’effet dévolutif d’un recours.

Il y a donc là un flou possible sur l’effet du jugement rendu au fond s’il s’écarte de la décision de référé, alors qu’il se peut que les motivations respectives soient tellement antinomiques que l’une présente les apparences d’un recours de l’autre. On doit donc veiller au vocabulaire employé afin d’éviter de s’exposer au franchissement des limites procéduralement admissibles dans la présentation formelle de la décision qui prévaudra.

En l’occurrence, il s’agit d’un syndicat de copropriétaires qui prétendait interdire à une société civile immobilière (SCI) de diviser son appartement afin de le louer en meublé (touristique ?), réalisant à cette fin des branchements illicites d’eaux usées.

Or, par une ordonnance devenue irrévocable, faute de recours direct, le juge des référés a condamné ce bailleur à remettre les lieux dans leur état initial et à supprimer les modifications sanitaires. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a cru devoir, sur appel du jugement au fond requis par la SCI qui a ensuite assigné le syndicat pour voir déclarer prescrite son action et non fondées les condamnations mises à sa charge, retenir la fin de non-recevoir tirée de la prescription décennale de l’article  42 de la loi du 10 juillet 1965.

Mais, manifestement, une telle fin de non-recevoir, qui est recevable en tout état de cause en vertu de l’article 122 du code de procédure civile, n’avait pas été soulevée devant le juge des référés, pas plus que son ordonnance n’avait été frappée d’appel, ce qui eût alors permis au second degré de juridiction de constater cependant la prescription en dépit du fait qu’elle n’avait pas été invoquée en première instance.

C’est donc pour la première fois en appel du jugement sur le fond que, sur la demande de la SCI bailleresse, cette prescription décennale propre aux actions personnelles en matière de copropriété a été déclarée fondée et que la mesure de remise des lieux en leur état initial a été transformée.

Certes, rien n’interdisait aux juges d’appel de procéder ainsi, d’autant que le syndicat n’avait pas formé en cause d’appel de demandes reconventionnelles en condamnation du copropriétaire concerné ; mais, les motifs de l’arrêt aixois comportant mention que « le juge du fond saisi après intervention du juge des référés doit vérifier le bien-fondé de la décision prise par celui-ci […] », la cour d’appel se voyait à bon droit reprocher par le pourvoi du syndicat représenté par son syndic de sacrifier aux errements ci-dessus stigmatisés, en se présentant comme un censeur du juge des référés, ce qu’elle ne pouvait être à l’égard d’une décision devenue définitive du double chef de la suppression du branchement des eaux usées et de la suppression matérielle des chambres meublées et la remise des lieux en leur état initial.

En effet, au vu des débats tenus devant elle et des pièces nouvelles produites (dont une attestation du vendeur du logement selon laquelle le branchement litigieux remonterait à plus de dix ans), la cour d’appel saisie du fond a estimé que l’action du syndicat relative à la suppression du branchement était prescrite, tandis que c’est à tort que le juge des référés avait ordonné la suppression matérielle des chambres meublées, après division des locaux, et la remise en état des lieux, alors qu’au vu du règlement de copropriété donnant licence au copropriétaire d’aménager comme il l’entend son logement, le juge des référés ne pouvait qu’ordonner la cessation de la location de chambres meublées, et rien de plus.

Sur la réunion des premier et troisième moyens du pourvoi, la censure était donc inévitable puisque la modification des condamnations prononcées en référé, sur la base de moyens nouveaux, s’apparentait à l’exercice d’une voie de recours contre une ordonnance irrévocable. La cassation intervient donc à hauteur des réformations implicites alors qu’elle n’aurait pu intervenir si la cour d’appel s’était bornée à retenir la même solution mais sans référence à l’ordonnance de référé ayant adopté sur ces points la solution inverse.

Ceci étant, on conçoit que la complète dissociation des deux procédures parallèles ne soit pas intellectuellement satisfaisante, puisqu’en définitive, il subsiste une contrariété de jugement, proscrite par nos codes. Mais cette contradiction subsistante se résout par la seule circonstance que la décision de fond doit prévaloir sur la décision simplement provisoire de référé, qui, tout en subsistant en tant que telle puisqu’elle n’est plus susceptible de recours, n’est plus d’actualité, et surtout qu’elle n’a pas elle-même autorité de chose jugée.

Un esprit cartésien jugera qu’il y a là une ambiguïté dommageable, mais après tout l’enseignement de l’arrêt commenté n’est-il pas qu’en présence de cette curiosité, il est à la portée des juges de s’appuyer sur une rédaction inattaquable, échappant ainsi à une cassation disciplinaire, pourvu que ne soient pas malmenés les grands principes du droit processuel ?