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Autorisation administrative de rupture de CDD à son terme, demande de requalification et de nullité du licenciement

Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de rupture d’un contrat à durée déterminée arrivé à son terme devenue définitive, en application des articles L. 2412-1, L. 2421-8 et L. 2421-13 du code du travail, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, ni prononcer la nullité du licenciement en violation du statut protecteur.

Bien que pouvant paraître contre intuitif, un salarié recruté en CDD qui serait par ailleurs titulaire d’un mandat de salarié protégé impose à l’employeur de saisir l’inspecteur du travail avant l’expiration dudit CDD, faute de quoi il a pu être jugé que le contrat n’est pas rompu (Soc. 16 oct. 2001, n° 98-44.269 P, D. 2002. 772 , note C. Puigelier ; ibid. 772, obs. F. Signoretto ; Dr. soc. 2002. 124, obs. C. Roy-Loustaunau ). Il en va de même lorsque l’inspecteur saisi, refuse à l’employeur le droit de ne pas renouveler le CDD, le contrat se transformant alors en CDI sans toutefois ici que ne soit due l’indemnité de requalification (Soc. 27 sept. 2007, n° 06-41.086 P, D. 2007. 2609 ; Dr. soc. 2008. 760, obs. C. Roy-Loustaunau ).

L’intervention de l’autorité administrative pose par ailleurs la question du périmètre de l’(in)compétence du juge judiciaire, ayant été jugé qu’il ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée (Soc. 9 mai 2018, n° 16-20.423 P, D. 2018. 1080 ; Dr. soc. 2018. 674, obs. J. Mouly ; RJS 7/2018, n° 489 ; JCP S 2018. 1221, obs. Kerbourc’h.). Et c’est précisément sur cette toile de fond que l’arrêt du 19 janvier 2022 vient apporter ses éclairages.

En l’espèce, un salarié avait été engagé en contrat de travail à durée déterminée saisonnier durant les vendanges tardives pour une durée minimale d’un jour, en qualité de coupeur. Deux jours plus tard, il informa par lettre l’employeur de sa qualité de conseiller du salarié qui sollicita de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), l’autorisation de mettre un terme au contrat à l’issue des vendanges. Or le directeur adjoint du travail saisi s’est déclaré incompétent au motif que le salarié ne bénéficiait d’aucun statut protecteur ; par suite de quoi l’employeur mis fin au contrat de travail.

À la suite d’un recours gracieux infructueux, le salarié a formé un recours hiérarchique devant le ministre du travail, lequel a annulé la décision du directeur adjoint et autorisé la rupture du contrat de travail à durée déterminée au terme des vendanges, prenant pour motif que le contrat établi et transmis conformément à la législation applicable n’avait pas à être regardé comme un contrat à durée indéterminée, d’autre part, que la rupture sollicitée résultait de l’arrivée du terme du contrat et ne procédait d’aucune mesure discriminatoire à l’encontre du salarié.

L’intéressé a ensuite saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la requalification du CDD en CDI, le versement d’indemnités liées à cette requalification, de dommages-intérêts pour la violation du statut protecteur, d’indemnité pour licenciement nul, d’indemnité compensatrice de congés payés et de rappel de salaire.

Les juges du fond firent droit à la demande du salarié en requalifiant le contrat en CDI, de sorte que l’employeur forma un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation saisie va casser l’arrêt d’appel à un double titre.

L’impossible requalification en CDI par le juge judiciaire

Elle va d’abord rappeler, au visa combiné de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de séparation des pouvoirs et des articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 , le principe selon lequel le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de rupture d’un contrat à durée déterminée arrivé à son terme, en application des articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail, devenue définitive, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée

Or la cour d’appel avait ici statué (favorablement) sur la demande de requalification sur le fondement de l’article L. 1243-11 du code du travail, en dépit de l’existence d’une décision administrative du ministre autorisant la rupture du contrat de travail.

La solution posée par l’arrêt du 19 janvier 2022 vient ainsi solidement rappeler et confirmer la ligne jurisprudentielle précédemment esquissée, en particulier par l’arrêt du 9 mai 2018, qui déjà affirmait que le juge judiciaire ne peut « sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée » (Soc. 9 mai 2018, n° 16-20.423 P, préc.). Le fondement du raisonnement reposant sur le principe de séparation des pouvoirs, il faut comprendre que la question ne peut dès lors relever que de l’autorité administrative, seule à même d’apprécier - dans ce contexte particulier - la régularité du terme du CDD et partant sa non évolution vers un CDI. La solution pourra toutefois laisser craindre que le justiciable se retrouve dans une situation de déni de justice, le Conseil d’Etat ayant quant à lui par le passé décidé qu’« il appartient à l’administration d’exercer son contrôle uniquement sur le point de savoir si le non-renouvellement de leur contrat présentait un caractère discriminatoire » (CE 10 juin 1992, n° 94626, Société nationale de radiodiffusion Radio-France, Lebon ). Ce risque méritera d’être écarté, puisqu’il s’agira ici – non véritablement d’une hypothèse de rupture d’un contrat s’adossant à un motif particulier – mais simplement de la fin - déjà programmée ab initio - d’un contrat à durée déterminée dont il convient de s’assurer que son absence de prolongation/renouvellement ne revêt pas un caractère discriminatoire, le cas échéant fondé sur la qualité de salarié protégé de l’intéressé. L’on notera en effet en outre que cette solution n’interdit pas au salarié de contester le motif (initial) de recours au CDD ou sa régularité sur la forme, la procédure d’autorisation administrative étant ici centrée sur l’arrivée du terme du contrat.

L’impossible qualification de licenciement nul par le juge judiciaire

La Haute juridiction va par ailleurs constater une autre violation, toujours au visa de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, et du principe de séparation des pouvoirs auxquels s’adjoint l’article L. 2412-1 du code du travail.

La chambre sociale va en effet préciser qu’en l’état d’une décision d’incompétence de l’inspecteur du travail, intervenant après la demande d’autorisation de ne pas renouveler le CDD d’un salarié protégé, au motif que celui-ci ne bénéficiait d’aucune protection, et d’une autorisation administrative de non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée en application des articles L. 2412-13 et L. 2421-8 du code du travail devenue définitive, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, analyser la rupture de la relation de travail du fait de la survenue du terme du CDD en un licenciement nul intervenu en violation du statut protecteur.

Or les juges du fond avaient analysé en un licenciement nul la rupture du contrat, estimant qu’elle était intervenue en violation du statut protecteur de conseiller du salarié, car selon eux la décision d’incompétence de la DIRECCTE ne pouvait s’analyser en une autorisation de rupture et était susceptible de recours à la date à laquelle le contrat a pris fin, la procédure administrative subséquente ayant donné lieu à une décision ministérielle annulant cette première décision d’incompétence et lui substituant une autorisation de rupture. Mais cette dernière ne valant, aux yeux du juge d’appel, autorisation de licencier qu’à compter de sa notification plusieurs mois après, la rupture intervenue antérieurement devait s’analyser en un licenciement nul.

Mauvaise interprétation pour les hauts magistrats, pour qui la rupture du contrat de travail à l’arrivée du terme avait été autorisée par la décision du ministre, fusse-t-elle intervenue ultérieurement.

La chambre sociale va enfin, après avoir prononcé la cassation sur ces deux motifs, statuer au fond sur le fondement de l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire, et débouter le salarié de ses demandes au titre de la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, de la nullité de la rupture du contrat de travail et de ses demandes subséquentes en paiement de diverses sommes.

Ce dernier raisonnement vient éclairer la situation particulière et non moins délicate d’une rupture de contrat intervenue dans l’entre deux où se sont succédées deux décisions administratives, la première déclarant l’autorité administrative incompétente, la seconde revenant sur la première et autorisant la rupture.

Rappelons dans ce contexte qu’il est classiquement jugé que l’annulation de l’autorisation rend le licenciement nul (Soc. 30 juin 2004, n° 02-41.687 P), lequel peut – a priori – être constaté par le juge judiciaire. Tel n’a pourtant jamais été le cas dans l’espèce, puisqu’à une décision administrative d’incompétence a succédé une décision d’autorisation. La solution retenue par le juge d’appel conduisait ainsi à vider de sa substance la décision administrative intervenue sur recours ministériel, faisant ainsi fi du mécanisme de nullité à l’encontre de la première, dont il faut rappeler le caractère pourtant rétroactif. En présence d’une telle décision, la première doit être considérée comme anéantie rétroactivement et substituée par la seconde.