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Autorité de chose jugée au pénal sur le civil : conséquences d’une décision de relaxe sur l’indemnisation

L’autorité de la chose jugée ne pouvant être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, c’est à bon droit qu’une cour d’appel a, en raison de la décision postérieure du juge pénal prononçant la relaxe du prévenu, écarté l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de condamnation initiale fondant le droit à indemnisation de la plaignante.

par Mehdi Kebirle 19 février 2019

Voici un nouvel arrêt rendu par la Cour de cassation au sujet de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (v. not. Civ. 2e, 5 juill. 2018, n° 17-22.453, Dalloz actualité, 11 sept. 2018, obs. M. Kebir ).

Dans cette affaire, une femme se disait victime de violences conjugales de la part de son conjoint. Les violences invoquées auraient eu lieu les 20 janvier, 17, 18 et 20 avril 2005. Plusieurs décisions avaient été rendues sur ces faits :

• le 14 mai 2008, une cour d’appel l’a reconnue victime, pour les faits du 20 janvier et du 17 avril, ce qui lui a permis de prétendre à une indemnisation ;

• le 4 juin 2013, un tribunal correctionnel a relaxé l’époux du chef des violences volontaires commises sur la personne de son épouse, pour les faits du 20 janvier, 17 avril et 20 avril. Il a débouté la requérante de ses demandes formées en qualité de partie civile ;

• le 17 septembre 2014, un arrêt rendu sur intérêts civils a confirmé cette décision, le pourvoi contre cet arrêt ayant été déclaré non admis le 4 mars 2015.

L’épouse a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour obtenir réparation des préjudices subis ainsi que la désignation d’un médecin expert aux fins d’évaluation et le paiement d’une somme provisionnelle. Elle invoquait les dispositions de l’article 706-3 du code de procédure pénale qui prévoit que toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne lorsque les conditions textuelles sont réunies.

La requérante a été déboutée de ses demandes, ce qui justifiait un pourvoi en cassation. Devant la Cour de cassation, elle soulignait que l’article précité institue un régime autonome de réparation qui répond à des règles propres. Selon elle, il importait peu que l’auteur de l’infraction soit resté inconnu ou qu’une personne poursuivie ait pu être relaxée.

En l’occurrence, l’arrêt du 14 mai 2008 avait définitivement consacré le droit à indemnisation en reconnaissant qu’elle avait été victime d’agressions lui permettant de prétendre à une indemnisation. Une expertise avait même été ordonnée pour évaluer les conséquences médico-légales de l’agression. À la suite du dépôt du rapport d’expertise, elle avait obtenu une telle indemnisation de la CIVI pénales près le tribunal de grande instance compétent.

La cour d’appel s’est appuyée sur le jugement de relaxe rendu le 4 juin 2013 et sur l’arrêt rejetant l’action civile de la victime rendu le 17 septembre 2014, pour considérer que la matérialité des faits allégués à l’encontre de son époux n’était pas établie. Pour elle, en statuant ainsi, alors que la matérialité des faits n’a jamais été contestée, la cour d’appel aurait méconnu l’autorité de la chose jugée. En d’autres termes, elle arguait que la décision du 14 mai 2018 avait définitivement consacré son droit à indemnisation en reconnaissant qu’elle avait été victime d’agressions.

La Cour de cassation rejette pourtant l’argumentation. Elle relève, d’une part, que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice. Elle énonce, d’autre part, que, les décisions pénales ayant au civil autorité absolue à l’égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l’existence du fait incriminé et la culpabilité de celui auquel ce fait est imputé, c’est à bon droit que la cour d’appel a, en raison de la décision postérieure du juge pénal prononçant la relaxe du conjoint, écarté l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du 14 mai 2008 reconnaissant le droit à indemnisation de la requérante. Elle l’approuve en outre d’avoir relevé que ce dernier avait été désigné par cette décision comme le seul auteur des agressions qu’elle avait dénoncées, de sorte que les faits ne présentaient pas le caractère matériel d’une infraction.

La décision rapportée est une illustration intéressante de l’autorité de la chose jugée. Elle provient à l’analyse de la combinaison de deux règles tenant, pour la première, aux conditions de l’autorité de chose jugée entendue globalement et, pour la seconde, à la portée de l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil.

Le principe d’autorité de la chose jugée sur lequel se fonde l’arrêt commenté est régi par l’association des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile. Ce dernier limite l’autorité de chose jugée à ce qui a fait l’objet de la décision. Aux termes du premier, l’autorité de chose jugée est érigée au rang de présomption légale. C’est une présomption de vérité judiciaire. Elle s’oppose au renouvellement des procès en privant la partie qui saisit le juge de son droit d’agir dès lors qu’une précédente décision a été rendue. Le champ de cette autorité est circonscrit. Elle est soumise à une exigence de triple identité : identité de parties, de cause et d’objet. L’identité de cause concerne les faits du litige. Il faut que, dans le litige ayant donné lieu au jugement et dans le litige nouvellement introduit, les faits en cause soient les mêmes pour qu’une fin de non-recevoir tirée de la chose jugée puisse être efficacement opposée (C. pr. civ., art. 122). Il en résulte classiquement que, lorsque, postérieurement à la décision, un fait nouveau est apparu, la cause du litige est différente, de sorte que l’autorité de chose jugée ne peut être efficacement invoquée (v. not Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280, Dalloz actualité, 4 mai 2015, obs. M. Kebir ; Civ. 3e, 25 avr. 2007, n° 06-10.662, AJDA 2007. 1374 ; D. 2007. 1344 ; ibid. 2427, obs. N. Fricero ; AJDI 2007. 590 ; ibid. 671 , obs. R. Hostiou ; ibid. 2013. 100, chron. S. Gilbert ; Procédures 2007, n° 158, obs. R. Perrot ; JCP 2008. I. 155, n° 18, obs. Huyghe ; Civ. 2e, 10 juill. 2008, RDC 2008. 1289, obs. Sérinet). En l’occurrence, cet élément nouveau avait la particularité d’être une décision de justice postérieure à la première ayant condamné le défendeur et consécutivement reconnu le droit à réparation de la victime.

Or, comme le relève la Cour de cassation dans cet arrêt, les décisions rendues au pénal ont au civil autorité absolue à l’égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à « l’existence du fait incriminé » et « la culpabilité de celui auquel le fait est imputé » (v. not. Civ. 2e, 3 mai 2006, n° 05-11.339, Bull. civ. II, n° 112 ; D. 2006. 1400  ; 21 mai 2015, n° 14-18.339 P, Dalloz actualité, 9 juin 2015, obs. F. Mélin ). Il en résulte que, lorsque le juge pénal établit la culpabilité de la personne poursuivie, le juge civil ne peut que s’aligner en reconnaissant le droit à réparation. À défaut, il méconnaîtrait l’autorité attribuée à la chose jugée au pénal. La culpabilité d’un individu définitivement jugé par le juge pénal et l’existence du fait condamné ainsi que sa qualification s’imposent au juge statuant sur les intérêts civils (v. not. Civ. 1re, 2 mai 1984, n° 83-10.264). Cela interdit au juge statuant sur les intérêts civils de refuser le droit à réparation de la victime lorsqu’a été reconnue la faute ayant conduit à la condamnation de l’auteur (Civ. 2e, 17 déc. 1998, n° 96-22.614, D. 1999. 23 ). Au regard de cette jurisprudence, l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil est également absolue lorsque le juge pénal rejette la responsabilité pénale de la personne poursuivie. Dans ce cas, le juge statue bien sur la culpabilité puisqu’il l’écarte et décide qu’il n’y a pas lieu de prononcer une peine à l’égard du mis en cause.

En l’occurrence, c’est la chronologie des décisions rendues sur les faits en cause qui permet de comprendre la spécificité de l’espèce jugée. La relaxe de l’époux a été prononcée par le juge pénal postérieurement à la décision d’appel reconnaissant la culpabilité et, par voie de conséquence, le droit à réparation de la victime. L’autorité de la chose jugée initialement ne pouvait être opposée puisqu’un événement postérieur, à savoir une décision de relaxe devenue définitive, a modifié la situation antérieurement reconnue en justice. Il ne pouvait être fait abstraction de cette décision sur le terrain civil au motif qu’un juge avait précédemment reconnu le droit à l’indemnisation.

Si elle peut se lire (et se comprendre) à l’aune des conditions classiques de l’autorité de la chose jugée, notamment en ce qui concerne l’élément postérieur nouveau visé par la Cour de cassation, la solution présente tout de même quelque chose de surprenant. La décision de relaxe a ici supplanté la décision de condamnation initiale, pourtant rendue par une juridiction du second degré et elle-même revêtue de l’autorité de chose jugée. La décision de relaxe a cependant fait disparaître la matérialité des faits qui avait été admise par la décision du 14 mai 2008. En bref, elle a fait disparaître l’infraction et donc, en toute logique, le droit à réparation auquel pouvait initialement prétendre la victime sur le terrain civil. Sans doute faut-il y voir une illustration du caractère « absolu » de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. On n’en arrive pas moins à une forme de paradoxe où l’autorité de la chose jugée n’emporte pas nécessairement l’immutabilité de ce qui a été décidé, de façon « définitive », par le juge initialement saisi.