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Aux procès pour terrorisme de la 16e chambre correctionnelle

Au second plan médiatique derrière les procès devant les cours d’assises spécialement composées, une part importante des affaires de terrorisme est jugée par la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Récit d’une semaine d’audience.

par Gabriel Thierry, Journalistele 16 décembre 2022

Amel s’avance devant les trois magistrats. L’élégante jeune femme de 38 ans est rejointe à la barre par Karim, un quinquagénaire vêtu d’un sweat à capuche, avec une genouillère sur un genou que l’on devine fragile. Il est 13 h 50, ce mardi 29 novembre, et la présidente du tribunal correctionnel ouvre les débats. Tout commence dans ce dossier en décembre 2014, avec le signalement du départ d’une jeune femme pour la Syrie, pour « mieux vivre sa religion ». Soit pour les autorités judiciaires une disparition inquiétante vers un pays plongé dans la guerre civile dont des pans entiers de son territoire sont contrôlés par l’organisation terroriste Daech. Ce qui conduira quelques mois plus tard à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour association de malfaiteurs terroristes, et, bien plus tard, au renvoi des deux prévenus devant la juridiction.

Bienvenue à la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, chargée de juger les délits relatifs au terrorisme. C’est ici qu’est jugé le gros des affaires de terrorisme. Selon un décompte récent de l’Obs, cela représente 891 affaires sur le millier de procès pour terrorisme comptabilisés par l’hebdomadaire en dix ans en France. Des affaires nécessairement moins médiatisées que les procès les plus attendus, des attentats du 13 novembre 2015 à celui de Nice le 14 juillet 2016. Ce mardi, la salle d’audience est d’ailleurs quasiment vide. Une situation classique, avait relevé dans un rapport une équipe de recherche de la mission de recherche Droit et Justice, ces audiences se déroulant bien souvent sans public – et encore plus dans le cas des « présumés morts », ces personnes jugées dans le cas d’un éventuel retour.

Reflet de la dernière décennie, une grande part des dossiers jugés par la 16e chambre sont liés au terrorisme djihadiste. Ce sont essentiellement des affaires de financement d’une entreprise terroriste, comme le financement d’un départ vers la Syrie ou l’envoi de fonds à un proche sur place, ou également des dossiers d’association de malfaiteurs terroristes, des personnes étant parties ou cherchant à se rendre dans cette zone en guerre. Avec un aiguillage judiciaire centré sur l’année 2015, marquée par deux vagues d’attentats majeurs en France. Avant, cela relève généralement du tribunal correctionnel. Après, c’est la cour d’assises spécialement composée qui est privilégiée.

Vocabulaire spécifique

Un cadre qui n’est pas sans exception, comme Amel. Cette jeune femme du Val-de-Marne est d’abord partie vers les terres de l’État islamique en janvier 2015, avant de revenir en France à l’été. Puis en juin 2016, elle a tenté avec son oncle Karim un improbable voyage en voiture vers la Syrie à travers l’Europe. Ils seront refoulés à la frontière bulgare. Trois ans plus tard, ils sont mis en examen, une judiciarisation tardive, conviendra le parquet. Au-delà de ce retard à l’allumage, la plupart des affaires poursuivies devant la chambre sont jugées bien longtemps après les faits.

Le procès d’Amel et de Karim est prévu pour trois jours. Les magistrats – pour leur protection, leurs noms ne sont pas précisés sur le rôle d’audience – commencent d’abord par Amel. Interrogée sur son rapport à l’Islam, la jeune femme veut clarifier les choses. « Non, je ne pratique pas, précise-t-elle. Je n’ai jamais réellement pratiqué, je n’adhère pas du tout à cette religion, tout ce qui tourne autour du bien, du mal, et du jugement dernier ». Même si, ajoute-t-elle, elle croit « en une force céleste ». Pour les magistrats, il ne s’agit bien sûr pas de la juger sur sa religion, mais d’appréhender le degré de radicalisation de la prévenue.

La 16e chambre a d’ailleurs son vocabulaire spécifique. On parle ainsi de la « taqiya » pour évoquer la méthode visant à masquer sa radicalisation. À l’audience, les magistrats évoquent la « hijrah » , ce terme détourné renvoyant aux départs pour rejoindre l’État islamique, les « koufars » , ce mot péjoratif désignant les incroyants, avant de mentionner les « madafas » , ces sinistres maisons de l’État islamique où étaient cloîtrées les femmes non mariées et leurs enfants.

Mais pour comprendre le cheminement spirituel d’Amel, il faut d’abord parler de violences sexuelles. « On me disait que la sexualité avant le mariage, c’était de l’impur, raconte la jeune femme à la barre. Or j’ai été abusée dans mon enfance, et pour moi, la pureté passait...

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