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Avis de fin d’information et prescription de l’action publique : des précisions bienvenues

Si la prescription de l’action publique est interrompue par l’avis de fin d’information donné par le juge d’instruction aux parties, elle est en outre suspendue pendant les délais prévus à l’article 175 du code de procédure pénale, le juge d’instruction estimant l’information achevée. 

par Dorothée Goetzle 11 avril 2019

En matière pénale, l’action qui n’est pas exercée dans un certain délai ne peut plus l’être après l’expiration de ce délai. La prescription de l’action publique est en effet une institution visant à priver le titulaire d’un droit d’agir lorsqu’il est resté trop longtemps inactif. Ainsi, il s’agit d’une « prescription extinctive », à la différence des prescriptions acquisitives, pour lesquelles l’écoulement d’un délai provoque l’ouverture de droits (par exemple, la majorité). En conséquence, lorsque l’action publique n’est pas exercée dans les délais fixés par la loi, elle s’éteint : le délinquant ne peut plus être poursuivi et l’infraction commise reste impunie. Les délais de prescription, qui varient selon la nature de l’infraction poursuivie, ont été modifiés par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 (Dalloz actualité, 17 févr. 2017, obs. C. Fleuriot ;D. 2017. 713, note J.-B. Perrier ). Depuis cette réforme, les délais de prescription de droit commun ont été portés à vingt ans pour les crimes (C. pr. pén., art. 7, al. 1er) et six ans pour les délits (C. pr. pén., art. 8, al. 1er). En l’espèce, tout l’intérêt du pourvoi est de savoir si la prescription avait été acquise antérieurement à la réforme. 

Précisément, dans la cadre d’une information relative à des faits de nature délictuelle, deux individus étaient mis en examen. Le juge d’instruction notifiait le 6 novembre 2013 les avis de fin d’information aux parties. Le magistrat instructeur apprécie en effet souverainement le moment où l’information est terminée. À cet égard, il a le droit et l’obligation de clore l’information lorsqu’il estime que celle-ci est complète (Crim. 23 nov. 1965, n° 65-92.493 P ; 3 oct. 1968, n° 68-92.124 P). Le réquisitoire définitif du procureur de la République était ensuite daté du 12 février 2014. Le 24 septembre 2014 le juge d’instruction rendait une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, de non-lieu partiel et de maintien sous contrôle judiciaire. Cette ordonnance était annulée par un jugement rendu le 6 mars 2017 par le tribunal correctionnel. Par arrêt du 8 novembre 2017, rectifié par un arrêt du 13 décembre de la même année, la chambre de l’instruction annulait ensuite le réquisitoire définitif, ainsi que les ordonnances de maintien sous contrôle judiciaire. Le 28 décembre 2017, un des mis en examen saisissait le juge d’instruction d’une requête tendant à ce que soit constatée la prescription de l’action publique. Le second mis en examen présentait le 8 janvier 2018 une requête similaire. Suite à l’ordonnance de ce magistrat refusant de constater l’extinction de l’action publique, les intéressés relevaient appel. Les seconds juges confirmaient la position du juge d’instruction. 

Pour expliquer son choix, la chambre de l’instruction commence par rappeler qu’à la date des faits, le délai de prescription de l’action publique était, en matière délictuelle, de trois années. Or, le 6 novembre 2013, les avis de fin d’information, qui sont interruptifs de prescription, avaient été délivrés aux parties. S’il est certain que les actes ayant été annulés ne peuvent pas interrompre le délai de prescription, la prescription de l’action publique est toutefois suspendue lorsqu’un obstacle de droit met la partie poursuivante dans l’impossibilité de mettre en mouvement ou d’exercer l’action publique. Pour la chambre de l’instruction, le délai prévu par l’article 175 du code de procédure pénale doit précisément être considéré comme un obstacle de droit pendant lequel la prescription de l’action publique est suspendue. En effet, pendant que ce délai court, le ministère public est dans l’impossibilité juridique de se substituer au juge d’instruction.

En l’espèce, les avis de fin d’information ont été délivrés le 6 novembre 2013. La prescription de l’action publique a donc été suspendue pendant un délai de quatre mois (délai initial de 3 mois auquel s’ajoute un délai d’un mois aux fins de réquisitions et observations complémentaires), soit jusqu’au 6 mars 2014. En conséquence, le point de départ du délai de prescription triennale devait donc être reporté au 6 mars 2014. Or, le 1er mars 2017 est entrée en vigueur la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription. À cette date, la prescription de l’action publique n’était pas acquise. D’application immédiate, l’article 8 du code de procédure pénale modifié par la réforme de 2017 dispose que « l’action publique des délits se prescrit par six années révolues ». La chambre de l’instruction conclut que les délits pour lesquels les requérants ont été mis en examen ne sont pas prescrits.

Pour remettre en cause ce raisonnement, les requérants soulignent, dans leur pourvoi en cassation, qu’aucun obstacle de droit, de nature à justifier la suspension du délai de prescription de droit commun des délits, ne résulte des délais prévus par l’article 175 du code de procédure pénale qui doivent être respectés avant que le juge d’instruction ne puisse rendre son ordonnance de règlement. Ensuite, ils observent que la suspension ne fait qu’arrêter le cours de la prescription. Ainsi, le délai recommence à courir, au point où il en était, dès la disparition de la cause de suspension. Selon eux, à supposer même que le principe selon lequel la prescription de l’action publique est suspendue à partir du moment où le juge d’instruction estime que l’information est achevée et pendant les délais prévus par l’article 175, soit applicable aux délits soumis à la prescription de droit commun, la chambre de l’instruction ne pouvait, à compter de la date d’envoi des avis de fin d’information du 6 novembre 2013, considérer qu’un nouveau délai de prescription de trois ans s’appliquait tout en étant immédiatement suspendu pendant quatre mois. Il est vrai que contrairement à l’interruption, la suspension de la prescription de l’action publique ne fait qu’arrêter le cours de la prescription. Le délai écoulé jusqu’à la survenance de la suspension entre donc en ligne de compte lorsque la prescription se remet à courir.

Pourtant, la Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve le raisonnement emprunté par les juges du fond. Sans surprise, elle place l’article 175 du code de procédure pénale au cœur de son analyse. À ses yeux, selon ce texte, la notification de l’avis de fin d’information constitue à la fois une cause d’interruption et de suspension de la prescription. Les hauts magistrats apportent deux précisions importantes. Premièrement, ils indiquent que « la prescription de l’action publique est interrompue par l’avis de fin d’information donné par le juge d’instruction aux parties, en application de l’article 175 du code de procédure pénale ». Cette précision confirme une jurisprudence connue selon laquelle constitue un acte interruptif de prescription l’avis de fin d’information donné par le juge d’instruction aux parties, en application de l’article 175 du code de procédure pénale (Crim. 24 nov. 1999, JCP 2000. IV. 501 ; 11 janv. 2000, BICC 511, n° 401). Deuxièmement, les hauts magistrats ajoutent que « la prescription de l’action publique est suspendue pendant les délais prévus audit article, le juge d’instruction estimant l’information achevée ». En d’autres termes, - et comme l’avait déjà souligné la chambre de l’instruction - après l’envoi de l’avis de fin d’information, le délai prévu par l’article 175 du code de procédure pénale doit être considéré comme un obstacle de droit pendant lequel la prescription de l’action publique est suspendue. Ainsi, la prescription est suspendue à partir du moment où le juge d’instruction estime que l’information est achevée et pendant les délais prévus par l’article 175. Ce raisonnement, qui fait de la notification de l’avis de fin d’information à la fois une cause d’interruption et de suspension de la prescription n’est pas nouveau (Crim. 25 oct. 2011, n° 11-80.017, Dalloz actualité, 15 nov. 2011, obs. S. Lavric ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; BICC 2012, n° 188. Confirmation de Crim. 11 janv. 2000, n° 98-86.269, Bull. crim. n° 12). En outre, le même cheminement intellectuel se retrouve dans une jurisprudence rendue avant l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription à propos du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile. En effet, la chambre criminelle a considéré que la prescription de l’action publique, qui est interrompue par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile lorsque la consignation prévue par l’article 88 du code de procédure pénale est effectuée dans le délai imparti, est entre-temps suspendue, de la date du dépôt de la plainte à celle du versement (Crim. 7 sept. 1999, n° 98-86.219, Bull. crim. n° 181 ; D. 2001. 160 , note O. Mouysset ; RSC 2000. 217, obs. A. Giudicelli ).