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Avis du collège de déontologie placé auprès du Conseil national des tribunaux de commerce

Le fait de procéder systématiquement, pour toutes les audiences de fond, suivant les modalités de l’article 871 du code de procédure civile, est de nature, dans les tribunaux mixtes de commerce, à paraître contraire à une bonne pratique de la justice consulaire.

par Gaëlle Deharole 17 mai 2019

En conséquence, le conseil recommande à tout juge élu d’un tribunal mixte de commerce désigné pour participer, en qualité d’assesseur, à une audience de se faire un devoir d’y assister ou de s’y faire remplacer, si son absence est justifiée, en prévenant le président de la formation collégiale. S’en abstenant, il serait susceptible de manquer, suivant les circonstances, aux devoirs de son état et à son serment qui lui impose, notamment, de remplir fidèlement ses fonctions.

Selon le lexique des termes juridiques du professeur Guinchard, la déontologie regroupe, pour les personnes exerçant certaines activités publiques ou privées, les règles juridiques et morales qu’elles ont le devoir de respecter. Tel est le cas pour les fonctionnaires, les magistrats, les membres des professions libérales réglementées (avocat, officier ministériel, médecin, par ex.), mais aussi pour les juges consulaires.

La déontologie des juges consulaires est prévue et définie par les articles L. 722-18 à L. 722-21 et R. 722-22 à R. 722-27 du code de commerce issus de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle. Le décret n° 2016-514 du 26 avril 2016 relatif à l’organisation judiciaire, aux modes alternatifs de résolution des litiges et à la déontologie des juges consulaires, avait quant à lui inséré dans le code de commerce un article R. 721-11-1 qui confie au Conseil national des tribunaux de commerce la mission d’élaborer un recueil des obligations déontologiques des tribunaux de commerce et de le rendre public.

La bonne application des règles déontologiques relève d’un collège de déontologie placé auprès du Conseil national des tribunaux de commerce. Il faut cependant souligner qu’il ne s’agit pas d’une juridiction disciplinaire chargée d’apprécier la sanction des comportements fautifs des juges consulaires.

C’est à l’article 17 du décret du 26 avril 2016 qu’il faut se référer. Cette disposition a en effet ajouté au titre II (relatif au tribunal de commerce) du livre VII (relatif aux juridictions commerciales et à l’organisation du commerce) de la partie réglementaire du code de commerce une section 5 consacrée aux instances de déontologie des juges des tribunaux de commerce. Composée de trois articles, cette section prévoit qu’« un collège de déontologie, placé auprès du Conseil national des tribunaux de commerce, est chargé de favoriser la bonne application des principes déontologiques inhérents à l’exercice des fonctions des juges des tribunaux de commerce » (C. com., art. 721-20). Il revient à ce collège de « donner des avis sur toute question déontologique concernant personnellement un juge d’un tribunal de commerce, sur saisine de celui-ci, des présidents des tribunaux de commerce ou des premiers présidents des cours d’appel » et d’« émettre des recommandations de nature à éclairer les juges des tribunaux de commerce sur les obligations déontologiques et les bonnes pratiques qui s’appliquent à eux dans l’exercice de leurs activités ». Le collège de déontologie est notamment appelé à se prononcer sur les conflits d’intérêts (C. com., art. L. 722-20 et R. 722-22 à R. 722-27). Il avait à cet égard précisé qu’il ne peut donner d’avis général sur la conduite à tenir lorsqu’un juge consulaire est appelé à faire partie d’une formation de jugement, un possible conflit d’intérêts devant s’apprécier affaire par affaire (Collège de déontologie, avis n° 2018/1, 4 avr. 2018, 2°). Mais il s’était reconnu une compétence pour « attirer l’attention » et « appeler à une vigilance particulière » sur la relation de ce juge aux personnes mises en causes dans un litige dont il pourrait avoir à connaître.

Le collège de déontologie était en l’espèce appelé à se prononcer sur « la conduite à tenir » à l’égard des juges élus qui, désignés pour siéger à des audiences, s’abstiendraient d’y participer et sur le fait que toutes les audiences de fond sont tenues au tribunal de commerce sans la présence de juges consulaires qui seraient absents de ces audiences depuis des années.

Après avoir rappelé sa compétence pour « donner des avis » sur les situations personnelles (C. com., art. R. 721-20, 1°) et « émettre des recommandations » sur les obligations déontologiques et les bonnes pratiques (C. com., art. R. 720-21, 2°), le collège de déontologie souligne que le tribunal mixte de commerce statue, en principe, en formation collégiale et que ce n’est que par exception qu’il statue à juge unique. Ce n’est pas tant une question de régularité procédurale qu’une question déontologique qui est ici mise en exergue : la pratique en question ne contrevient pas aux dispositions procédurales et trouve même un fondement textuel dans l’article 871 du code de procédure civile. Il convient cependant de s’interroger sur sa conformité aux règles déontologiques.

À cet égard, le collège de déontologie souligne que « le fait de procéder systématiquement, pour toutes les audiences “de fond”, suivant les modalités de l’article 871 du code de procédure civile, est de nature, dans les tribunaux mixtes de commerce, à paraître comme contraire à une bonne pratique de la justice consulaire ». C’est, en effet, dans le cas soumis à l’analyse du collège de déontologie, toujours le juge professionnel qui tient l’audience, sans que les juges élus assistent aux débats.

Le collège de déontologie n’étant pas une juridiction disciplinaire, il ne lui appartient pas de statuer sur le caractère fautif du comportement individuel des juges. Il se reconnaît cependant le pouvoir de « rappeler » que « le juge consulaire doit, dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, s’interdire toute absence injustifiée et mettre le président du tribunal en mesure d’exercer les responsabilités qui sont les siennes dans l’organisation et la bonne administration de la juridiction ». Aussi, il en retire une bonne pratique à développer et recommande à « tout juge élu d’un tribunal mixte de commerce désigné pour participer, en qualité d’assesseur, à une audience de se faire un devoir d’y assister ou de s’y faire remplacer, si son absence est justifiée, en prévenant le président de la formation collégiale ». Le collège suggère même le fondement d’une faute susceptible d’être sanctionnée par la juridiction disciplinaire : « en s’en abstenant, il serait susceptible de manquer, suivant les circonstances, aux devoirs de son état et à son serment qui lui impose, notamment, de remplir fidèlement ses fonctions ».