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Les avocats s’opposent au projet de loi de programmation pour la justice

Le projet de loi fait l’unanimité contre lui au sein d’une partie de la profession. Une journée de mobilisation « Justice morte » est prévue ce mercredi. D’autres actions sont à venir, notamment une mobilisation des magistrats et des services judiciaires, programmée le 30 mars.

par Julien Mucchiellile 21 mars 2018

Le projet de loi de programmation pour la justice, qui doit être présenté ce mercredi 21 mars au Conseil d’État, a déjà été amputé de deux dispositions à la demande des instances représentatives des avocats. « Le Conseil national des barreaux obtient de la Chancellerie le retrait de la réforme des saisies immobilières et le retour de l’avocat dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) », était-il annoncé, vendredi 16 mars, sur le site du Conseil national des barreaux (CNB).

Mais cela n’atténue pas la « colère » d’une partie de la profession, qui, destinataire du projet de loi le 9 mars dernier, a immédiatement exprimé sa forte désapprobation quant à la méthode utilisée, celle des ordonnances, qui laisse peu de places à la concertation.

Sur le fond, le projet de loi contient de multiples dispositions contre lesquelles le CNB, mais aussi le barreau de Paris et de nombreux barreaux de France (représentés par la conférence des bâtonniers), formulent les plus vives critiques. Une journée d’action, baptisée « Justice morte », est prévue ce mercredi. Quelque 71 barreaux au moins ont répondu à l’appel, organisant localement leur grève.

Les principales inquiétudes portent sur deux aspects majeurs de la loi : la réforme des procédures civile et pénale (V. not., Dalloz actualité, 16 mars 2018, art. D. Goetz isset(node/189689) ? node/189689 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189689). « Tout est fait pour faciliter la tâche administrative, au mépris des citoyens et de l’humain », déplore Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris. « Cela ne correspond pas du tout aux chantiers de la justice », poursuit-elle, faisant référence notamment aux propositions faites dans le cadre de la mission confiée à Frank Natali, ancien bâtonnier de l’Essonne, et Jacques Beaume, magistrat honoraire, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature (V. Dalloz actualité, 18 janv. 2018, art. D. Goetz isset(node/188669) ? node/188669 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188669).

Pourtant, dans une lettre adressée le 16 mars au CNB, le ministère de la Justice « est convaincu que les objectifs poursuivis ne sauraient être atteints sans le concours des auxiliaires de justice ». « Le projet de loi poursuit l’objectif, écrit la Chancellerie, de simplifier le déroulement de la procédure pénale et de renforcer son efficacité. »

Le CNB et les institutions ordinales ont « regretté que les mesures de simplification prévues dans le projet de loi ne soient pas accompagnées d’une mise en place du contradictoire à tous les stades de l’enquête ». Dans sa délibération en assemblée générale, samedi 17 mars, le CNB dit opposer « un refus catégorique à des dispositions qui renforcent les pouvoirs du parquet et de l’enquête au détriment des droits des citoyens et portent atteinte aux libertés individuelles, aux droits de la défense et à la place des victime ». « Les négociations, avec la Chancellerie, sont en cours », affirmait lundi Marie-Aimée Peyron.

Simplification de la procédure pour les enquêteurs, au détriment du contradictoire

Le projet de loi contient de nombreuses dispositions visant à simplifier la phase d’enquête, et à diminuer le recours aux informations judiciaires, qui dépassent les capacités des pôles d’instruction. L’article 26, par exemple, prévoit de faciliter le recours aux interceptions par la voie de communications électroniques, tant au stade de l’enquête que de l’instruction, en les permettant pour les délits punis de trois ans d’emprisonnement (contre 5 auparavant). Les pouvoirs d’enquêtes sont globalement accrus, et la durée de l’enquête de Flagrance (art. 31) pourra être prolongée plus facilement. Elle est portée à seize jours pour les faits de délinquance ou de criminalité organisée.

Quant à l’article 34 de ce projet de loi, il « clarifie et étend les possibilités de recours à la visioconférence, qui sera possible pour l’interrogatoire de première comparution, et pour laquelle l’accord de la personne ne sera plus nécessaire en matière de détention provisoire, dès lors que seront respectées les garanties lui permettant de participer de manière personnelle et effective à l’audience », résume l’exposé des motifs du projet de loi. « Un texte qui répond aux seules demandes des forces de police et du parquet, sans garanties des droits de la défense », estime le CNB dans un communiqué.

Au sein du rapport Beaume et Natali, le barreau de Paris, par la voix notamment du vice-bâtonnier Basile Ader, avait pris le soin de formuler « 10 mesures d’amélioration et de simplification concernant différents stades de la procédure pénale » (V. document en pièce jointe). Parmi elles, la suppression de la détention provisoire en matière correctionnelle pour les primo délinquants, la fixation d’un délai maximum (2 ans) pour faire aboutir une enquête préliminaire, la création d’un parloir numérique, mais aussi l’accès au dossier pénal au cours de la garde à vue. Aucune de ces mesures n’a été retenue dans le projet de loi ; d’autres, en revanche, ont surpris la profession, en tant qu’elles ne figuraient nullement dans les discussions préalables, les travaux préparatoires, les missions chargées de tracer les lignes directrices de cette nouvelle réforme.

Le tribunal criminel pour désengorger les cours d’assises

Il y a le cas du tribunal criminel, qui focalise la critique. Cette nouvelle juridiction jugera, en première instance, les crimes punis de quinze et vingt ans de réclusion criminelle. Dépourvue de jury populaire, elle sera composée de cinq magistrats, et vise, selon la Chancellerie, à éviter les trop nombreuses correctionnalisations des crimes de viol. Ce tribunal sera expérimenté durant trois ans, au nouvel échelon du tribunal départemental, dans un nombre déterminé de départements. « Cela signifie que, pour des faits similaires, les mis en causes seront jugés par deux juridictions différentes », relève Marie-Aimée Peyron. Le but affiché de cette réforme est, avant tout, de diminuer la durée des audiences.

Le principe mis à mal (le projet dit « atténué ») est donc celui de l’oralité des débats – qui prend tant de temps. Les assesseurs prendront connaissance du dossier avant l’audience, dossier qui les suivra jusqu’au délibéré. Les délais maximums d’audiencement des accusés détenus réduits de deux à un an. Ces tribunaux criminels sont destinés à accueillir un flux conséquent d’audiences, et les cours d’assises s’en trouveraient grandement déchargées, car la plupart des crimes qu’elles jugent sont punis de vingt ans de réclusion au maximum, et les appels ne représentent que 16,6 % des affaires jugées (chiffres clés). Mais il s’agit là encore d’aller plus vite : l’article 40 du projet simplifie les dispositions relatives au jugement des crimes, afin principalement de réduire la durée des audiences, de permettre ainsi le jugement d’un plus grand nombre d’affaires à chaque session, et de limiter par voie de conséquence les délais d’audiencement.

Pour la profession, ces réformes se font dans une logique purement gestionnaire, au détriment des justiciables et, en premier lieu, des victimes. La « simplification » de la procédure mènera, pour Marie-Aimée Peyron, à « un parcours du combattant » pour les victimes, en portant notamment de trois à six mois le délai du procureur de la République pour répondre à une plainte simple, en exigeant un recours hiérarchique devant le parquet en cas de classement sans suite et autorisant le juge d’instruction à refuser la plainte avec constitution de partie civile lorsque la citation directe est possible.

La procédure civile simplifiée, les algorithmes consacrés

Le constat est le même s’agissant de la procédure civile. Le CNB dénonce « une déjudiciarisation qui aboutit à une véritable privatisation de la justice, en faisant primer une réduction de moyens qui aboutit à une justice sans juge, sans avocat et sans justiciable ». Il est, par exemple, prévu que les directeurs des CAF soient en charge du traitement des litiges portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Le projet envisage également le règlement des petits litiges par voie dématérialisée, sans audience même si une partie le demande, ainsi que la participation au service public de la justice de plateformes proposant une résolution des litiges sur le fondement d’un traitement algorithmique.

Cette journée de mobilisation, massivement suivie, a pour but de faire reculer le Gouvernement sur un grand nombre de dispositions, et d’associer la profession à l’élaboration de la réforme de la procédure pénale et de la procédure civile.

Une autre journée de mobilisation est prévue le 30 mars, cette fois-ci à l’initiative des syndicats de la justice (magistrats, greffiers, CPIP, etc.). Certains, invités à s’y joindre, ont d’ores et déjà décidés d’y participer.

Les projets de loi organique et de programmation seront présentés, en principe, en conseil des ministres le 18 avril.