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Banalisation des mesures issues de l’état d’urgence

Après le Sénat en décembre, le gouvernement vient de remettre son rapport sur l’application de la loi SILT qui visait à intégrer dans le droit commun des outils de l’état d’urgence. L’occasion de constater une banalisation des outils de police administrative.

par Pierre Januelle 22 février 2019

La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (loi SILT) fait l’objet d’un important contrôle parlementaire (v. Dalloz actualité, 19 sept. 2018, art. P. Januelpublication mensuelle de statistiques. Si les chiffres du rapport annuel du gouvernement sont moins récents, il contient des données sur d’autres mesures de police administrative.

Les périmètres de protection restent l’outil le plus utilisé. Au 8 février, 270 ont été mis en place par les préfets. Souvent complétés d’autres mesures (objets dangereux), dans 80 % des cas, des agents privés ont été recrutés pour réaliser des contrôles aux entrées de ces périmètres. Le rapport sénatorial relève une important disparité géographique, avec une concentration sur quelques départements (Nord, Paris, Loiret, Alpes-Maritimes). « L’analyse des arrêtés préfectoraux ne permet pas d’apprécier réellement les raisons de cette disparité. »

Le gouvernement souligne que « ces mesures n’ont donné lieu à aucun contentieux, situation peu banale s’agissant d’une mesure novatrice et encadrant l’exercice de la liberté d’aller et venir ». Pourtant les sénateurs relèvent plusieurs cas litigieux, comme des périmètres de protection permanents à la gare Lille Europe et au port de Dunkerque (ils n’ont d’ailleurs plus été prolongés) ou un périmètre lié à Notre-Dame-des-Landes, sans lien avec le terrorisme. L’utilisation de périmètres pour la sécurisation de visites ministérielles sans critère d’affluence pourrait aussi être contestée.

Au 8 février, sept fermetures temporaires de lieux de cultes ont été prononcées. Aucun n’a rouvert à l’échéance des six mois, pour différentes raisons (résiliation du bail, dissolution administrative de l’association). Saisi, le juge administratif a à chaque fois donné raison à l’état.

Une mise en œuvre progressive des mesures individuelles

Créées pour remplacer les assignations à résidence, 106 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) ont été prononcées, à 85 % envers des hommes. Le rapport gouvernemental détaille les motifs, mais les MICAS visent de plus en plus les sortants de prison (un tiers) ou complètent un contrôle judiciaire. Au moins vingt-quatre personnes « présentaient des troubles psychiatriques plus ou moins lourds à l’origine de leur dangerosité ». Saisi quarante-sept fois, le juge administratif n’a suspendu que trois mesures.

La possibilité d’un placement sous bracelet électronique mobile est opérationnelle (une convention a été signé avec l’administration pénitentiaire) mais n’a pas encore été utilisée. Huit peines de prison ont été prononcée contre des personne n’ayant pas respecté leurs obligations et six sont actuellement détenues (avec des peines fermes autour de six mois).

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Concernant les visites domiciliaires, les préfets ont adressé 121 requêtes à l’autorité judiciaire. Le juge des libertés et de la détention en a accordé 93. Les visites ont conduit à 50 saisies de documents. L’exploitation des données a été systématiquement autorisée. Le nombre de requêtes a crû de manière significative après l’attentat de Trèbes et la fermeture du centre Zahra dans le Nord a suscité, à elle seule, onze visites. Selon le ministère, une visite a permis de déjouer directement un attentat en mai 2018 et à des poursuites pour cinq apologies du terrorisme et quelques infractions de droits de commun (stupéfiants, armes).

Pour les mesures hors loi SILT, le nombre d’interdictions de sortie du territoire est aujourd’hui en nette baisse : seules 49 mesures (dont 28 renouvellements) entre novembre 2017 et octobre 2018, contre 181 un an plus tôt. Symétriquement, 261 personnes sont revenues d’Irak et de Syrie, « dans un mouvement de flux qui s’est actuellement quasiment tari ». Il y a eu en outre 26 arrêtés d’expulsion pris pour menace grave pour l’ordre public et 200 mesures de gel d’avoirs, chiffre en forte augmentation.