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Le barème Macron suspendu à la décision de la cour d’appel de Paris

La conventionnalité du barème a été plaidée à l’audience du jeudi 23 mai en présence du ministère public. Une première en appel. Décision le 25 septembre prochain.

par Thomas Coustetle 23 mai 2019

Avec l’appel de l’affaire, les avocats se pressent à la barre pour s’annoncer. Ils représentent les syndicats venus se joindre au dossier à la dernière minute. Il s’agit du Syndicat des avocats de France (SAF), Force ouvrière (FO), la Confédération générale du travail (CGT), la CFDT et Solidarités. Beaucoup de monde, donc, et ils tiennent tous à se faire entendre. Le ministère public doit également prendre la parole.

Avec le débat technique, qui consiste à savoir si le plafonnement des indemnités de licenciement, issu de la réforme Macron, est compatible avec les engagements internationaux de la France, s’est engagé un bras de fer, initié par une quinzaine de conseils de prud’hommes (v. Dalloz actualité, 4 févr. 2019, obs. M. Peyronnet isset(node/194244) ? node/194244 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194244). Ces derniers ont écarté le dispositif, alors que le Conseil constitutionnel et la section des référés du Conseil d’État l’avaient validé sans difficulté en 2017. Pour tenter de sortir de cet imbroglio, la Chancellerie a diffusé une circulaire le 26 février 2019. Ce texte demandait au ministère public de se porter partie jointe aux appels des décisions qui ont écarté l’application du barème. Pour l’heure, seules les cours d’appel de Reims et Paris sont saisies. Paris est la première à en connaître, à titre subsidiaire (Dalloz actualité, 15 mars 2019, art. T. Coustet isset(node/194958) ? node/194958 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194958). Reims tiendra son audience le 17 juin sur appel de deux décisions de Troyes.

C’est dans ce contexte que l’audience de jeudi s’est tenue, à Paris. Sur le fond, le cadre juridique était déjà connu de chaque côté de la barre. L’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit qu’un plafond qui viendrait aménager les conséquences d’un licenciement irrégulier n’est valable que s’il est dissuasif pour l’employeur et que s’il compense intégralement le préjudice du salarié. Même chose pour la Charte sociale européenne. Et, dans l’autre sens, le Conseil d’État a déjà validé le dispositif, tout comme le Conseil constitutionnel en 2017. 

« Les salariés ne sont pas des clones »

Du côté salarié et syndicats, « le plafond indemnitaire est trop bas pour constituer un risque pour l’employeur. L’article L. 1235-3 du code du travail plafonne à vingt mois de salaire pour un salarié qui aurait plus de trente ans d’ancienneté ! », avance l’avocat du SAF.

Même son de cloche du côté de FO, « le patronat a inventé le plafond car licencier coûte trop cher. On ne peut pas mettre en balance le coût d’une injustice avec la possibilité offerte à l’employeur de provisionner son coût. Les salariés ne sont pas des clones. Les mettre tous sur le même plan dans une grille est injuste », plaide son conseil.

La présence du parquet hors de toute procédure pénale était en revanche plus inhabituelle. Cette initiative est en fait possible en vertu de l’article 426 du code de procédure civile. Aux yeux d’Antoine Pietri, l’avocat général, la grille indemnitaire des ordonnances ne fait pas obstacle à une réparation appropriée. « il est établi que ni la convention OIT ni la Charte sociale européenne n’interdisent aux États signataires d’aménager un plancher en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il faut seulement que cette indemnisation soit adéquate ».

Et le ministère public s’est employé à le démontrer : « les montants de ce barème sont fixés par une moyenne fabriquée sur la base d’un panel de décisions antérieures. Le critère de l’ancienneté est incontestablement commun et applicable à tous les salariés. Il appartient au juge d’évaluer l’indemnité dans la limite de ce que prévoit la loi ». M. Pietri a par ailleurs rappelé que le dispositif ne s’appliquait pas à un salarié congédié après avoir été victime de harcèlement ou de discrimination. Il a également soutenu qu’un tel mécanisme répond à un « objectif d’intérêt général » : en donnant une « certaine prévisibilité » sur le coût potentiel d’un contentieux, le législateur a voulu « favoriser l’emploi » et non pas « protéger l’employeur ».

Incertitude juridique

La cour devra trancher pour le 25 septembre prochain. Dans l’intervalle, la Cour de cassation fera également connaître son avis le 8 juillet prochain. Elle est en effet saisie de cette question par le conseil de prud’hommes de Louviers (Eure, Normandie).  Il n’est toutefois pas certain que la Cour de cassation juge recevables les demandes, si l’on s’en réfère à d’autres saisines pour avis qu’elle a rejetées sur la compatibilité d’un texte du code du travail avec des textes de droit international (Cass., avis, 12 juill. 2017, avis n° 17-70.009, RTD civ. 2018. 66, obs. P. Deumier ).

Autrement dit, la saga risque de durer encore un peu avant que l’on sache, grâce à un arrêt sur le fond de la Cour de cassation, si le barème est en phase avec les engagements internationaux de la France et s’il peut – ou non – être maintenu dans notre ordre juridique.