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Baux commerciaux et crise sanitaire : une interprétation dévoyée de la protection offerte par l’ordonnance du 25 mars 2020

L’interdiction des sanctions pour défaut de paiement des « loyers et charges » dont l’échéance de paiement intervient pendant la période protégée, prévue à l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020, ne s’applique pas aux effets d’une clause résolutoire acquise antérieurement à la période protégée, dont la suspension était conditionnée au respect d’un échéancier fixé par le juge.

Interpréter, c’est choisir. L’interprétation n’est pas qu’un acte de connaissance, une découverte des divers sens qu’un texte peut revêtir. C’est également un acte de volonté, un choix entre ces possibilités.

Dans l’arrêt sous étude du 15 juin 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a clairement pris une nouvelle fois le parti des bailleurs contre celui des preneurs, dans ce qui apparaît comme un épisode inédit de la saga « Baux commerciaux et crise sanitaire » (sur cette saga, v. not., M. Mekki, JCP N 2022, n° 36.1216).

Aux termes d’une décision sévère, plus politique que juridique, la Cour de cassation privilégie une interprétation contra legem des dispositions de faveur que l’ordonnance du 25 mars 2020 avait instituées, vidant en partie de son contenu la protection exceptionnelle offerte aux commerçants défaillants au cours de la période protégée.

Dans les faits, une cessionnaire de fonds de commerce preneuse à bail commercial avait connu, avant la crise sanitaire, des difficultés pour honorer le paiement des loyers. La bailleresse l’avait alors assignée en référé. Par ordonnance rendue le 17 décembre 2019, la locataire avait été autorisée judiciairement à s’acquitter d’un arriéré locatif en vingt-quatre mensualités à compter du 15 du mois suivant sa signification réalisée le 9 janvier 2020.

L’ordonnance avait aussi suspendu les effets de la clause résolutoire insérée au bail et prévu qu’à défaut de paiement à bonne date, en sus du loyer, charges et accessoires courants, d’une seule des mensualités, cette clause serait acquise huit jours après l’envoi d’une simple mise en demeure, l’expulsion de l’occupante pouvant alors être poursuivie. Cet aménagement était fondé sur les pouvoirs reconnus au juge par les articles L. 145-41 du code de commerce et 1244-1 à 1244-3 anciens du code civil (devenus art. 1345-5 à la faveur de l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016).

La suite est malheureusement connue. La crise sanitaire s’étant déclenchée en début d’année 2020, une série de mesures gouvernementales fut prise pour interdire l’accès au public de certains établissements afin de lutter contre la propagation du virus covid-19. La locataire a été contrainte de cesser son activité à compter du 14 mars 2020 et n’a pas été en mesure de s’acquitter des échéances des mois d’avril et mai 2020.

Par lettre recommandée du 3 septembre 2020, la bailleresse a mis la locataire en demeure de payer trois mensualités de l’échéancier fixé et deux termes de loyer échus...

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