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Bernard Preynat ne doit pas « payer le prix du présent »

Le parquet a requis « au moins » huit ans de prison à l’encontre du prêtre Bernard Preynat qui comparaissait à Lyon pour agressions sexuelles sur dix scouts, âgés de 7 à 15 ans entre 1986 et 1989, au tribunal judiciaire de Lyon. Il encourt jusqu’à dix ans de prison. Délibéré le 16 mars 2020.

par Marine Babonneau, à Lyonle 18 janvier 2020

Il est 16h30, vendredi. Le procès se termine. « Monsieur Preynat, levez-vous ». L’ancien vicaire s’approche de la barre, il a un carnet jaune dans les mains, il lit ses notes : « Je suis venu devant le tribunal avec le désir d’être loyal dans la reconnaissance des agressions dont j’ai été l’auteur, celles jugées ici et les prescrites. Je n’ai pas menti devant vous. J’ai été sincère dans les réserves exprimées, dans les limites de mes souvenirs et de ma mémoire. […] Je regrette sincèrement […] cela pour la recherche de plaisir sexuel. […] Ma demande de pardon, je la réitère auprès de toutes les victimes, même celles qui sont prescrites, et de leur famille mais mes excuses vont aussi auprès des autres prêtres et de l’Église que j’ai salis par mes agissements. Enfin, je tiens à réaffirmer que, depuis 1991, j’ai été fidèle à la promesse faite à Mgr Decourtray (de ne plus recommencer, ndlr) ». Bernard Preynat a levé la tête vers le tribunal, s’est rassis. Il n’a pas regardé les parties civiles, il ne s’est d’ailleurs jamais directement adressé à elles. Il s’est beaucoup excusé pendant cinq jours, il a reconnu – dès le début de l’enquête – l’essentiel des faits, il n’a pas pinaillé lorsque le tribunal a tenté une estimation sordide du nombre de victimes potentielles (des milliers), il a à peine grommelé lorsque, plus tôt dans la semaine, le cas des victimes prescrites a été examiné en détail et il n’a pas tenté de profiter de la demande de renvoi des avocats en grève. Bernard Preynat « ne ment pas », comme l’a martelé son avocat. Il ne ment pas, il ne feint pas un malheur, une peine. A-t-il pour autant pris la mesure de sa vie pendant ces cinq jours de procès ?

Plus tôt dans l’après-midi, la procureure Dominique Sauves a rappelé, dans son réquisitoire, les 531 cotes et les cinq tomes du dossier, les heures d’auditions, les trente-six victimes déclarées, les cinq jours de procès, tout cela « pour un seul homme ». Selon elle, Bernard Preynat « a été actif pour retarder l’échéance de son procès » entre la mise en avant de la prescription – « pour l’impunité » – et de sa propre victimisation – « pour se justifier ». Ce sont ses « deux chevaux de bataille » « pour effacer ses fautes », a-t-elle argué. De la part d’une ancienne avocate, accuser un prévenu de vouloir échapper à son procès parce qu’il fait valoir des moyens juridiques légaux de procédure paraît étonnant, voire d’une mauvaise foi assez piquante. Sur le fond, Dominique Sauves s’interroge : « qu’est-ce donc le dossier » de « ce pervers narcissique » ? « C’est le dossier de toutes les contradictions, de toutes les trahisons. Trahison de la mission d’éducateur dans un cadre sécurisant alors qu’il va en abuser. Il va tordre le cou aux valeurs qu’il a lui-même mission d’enseigner. C’est le dossier de toutes les trahisons, encore, en raison de l’abus de pouvoir, de domination, de perversité exercé. Il a détourné l’idéal religieux et scout. »

Bernard Preynat, c’est encore, selon elle, « une méthode économique » de l’abus avec des parents et une Église qui vont « lui fournir involontairement l’objet de ses déviances. […] Le silence de l’Église, il s’en est servi. Le silence des parents, il l’a entretenu ». Aujourd’hui encore, l’ancien curé, fondateur du groupe de scouts de Saint-Luc, « écoute la douleur mais il ne l’entend pas ». Alors la procureure va prononcer le nom de chacune des victimes même prescrites – « car il est insupportable pour elles de ne jamais les entendre » –, les étreintes, les caresses sur le corps, sur le sexe, les caresses parfois réciproques, sur le bermuda, sous le bermuda, les baisers. « Bernard Preynat n’est rien d’autre qu’un pédophile en série. […] Quand il s’excuse, s’agit-il d’un repentir actif ? Que nenni ! […] ». L’ancien prêtre, « adulé » par sa paroisse, ne parle que de lui, n’a jamais fait preuve d’empathie, savait parfaitement qu’il commettait des interdits puisqu’il se cachait des autres et, pire, « il n’a pas bougé d’un iota depuis 1962 ». « Ah, il a le mérite de la constance ! », ironise la magistrate, cet homme pédophile qui n’est qu’un pédophile comme les autres, « agissant sous l’autorité de la soutane ». Face à cela, il faut « une réponse pénale forte, à la hauteur du calvaire des victimes », une peine adaptée au trouble social occasionné, à la gravité, à la multiplicité des actes et leurs conséquences encore vivaces. C’est un « dossier stupéfiant, grave, effrayant », répète le parquet. Pour cela, il faut prononcer une peine qui « ne sera pas inférieure à huit ans ». Dominique Sauves ne requiert pas de mandat de dépôt ni d’obligation de soins. Depuis l’étage, où la presse est installée, les épaules de Bernard Preynat n’ont pas fléchi. Il ne regarde pas son avocat. Suspension.

« Ce que je vous demande à vous et aux victimes, c’est d’admettre que Bernard Preynat n’a pas attendu d’être jugé et condamné pour arrêter ses agissements »

Devant la salle, la foule attend. C’est l’heure de la plaidoirie de la défense. L’avocat du père Preynat, Frédéric Doyez a deux carnets posés l’un sur l’autre. Il utilise des crayons de couleur à mine épaisse. Il a pris quelques notes pendant les plaidoiries des parties civiles et pendant le réquisitoire. Les curieux s’entassent sur les bancs de la salle, des étudiants en journalisme, des avocats, des partisans de l’ecclésiastique – à droite de la salle –, des proches des victimes, des victimes prescrites – celles-ci sont assises du côté gauche. Lorsque l’avocat se lève, une feuille à la main qu’il regardera à peine, les neuf visages des parties civiles – ces enfants devenus des hommes – le scrutent. Il est temps faire souffler « un vent salubre » sur ce procès, estime l’avocat. Discuter la prescription de faits, d’abord, peut être vécu « comme un crachat au visage de ceux auxquels on peut l’opposer, comme une injure à la souffrance, mais il y a dans ce dossier un problème de droit évident. Je renonce à les développer ici mais je n’y renonce pas. On ne peut pas, dans un instant où l’on estime d’autres valeurs, renoncer à la loi ».

Par ailleurs, ne faut-il pas reconnaître que les faits datent d’une époque autre ? « Il faut lire Le Consentement de Vanessa Springora [sur l’écrivain Gabriel Matzneff, ndlr] pour comprendre comment une société a toléré qu’on ne dise pas un mot à des situations d’infraction. On a beau jeu de se rassembler derrière Mme Bombardier. […] On nous trompe en parlant d’un cercle d’intellectuels parisiens car c’était en réalité tous les spectateurs d’Apostrophes et une société entière qui n’était pas choquée par ce qui est constitutif de ce que vous jugez aujourd’hui. […] Ce n’est pas le procès d’une loi, d’une époque, d’une société mais il faut tout de même avoir un regard derrière nous. […] Il faut se tourner vers le passé en se disant que l’avenir apportera des solutions. » Frédéric Doyez s’adresse aux parties civiles. « Pour autant, dire cela, est-ce une négation de votre souffrance ? De ce que vous avez vécu ? Ce message-là, vous ne l’entendrez pas. » Me Doyez va néanmoins sous-entendre que le travail d’enquête, mené par l’association de victimes du prêtre, La parole libérée, va jeter un flou, proche « du vertige », car il va mélanger les agressions, les harmoniser, les mettre sur le même plan alors que toutes les victimes n’ont pas vécu les mêmes atteintes. Il n’y a eu aucune victime déclarée après 1991 – « on en a la preuve », rappelle l’avocat – et pourtant, La parole libérée a tenté de démontrer le contraire et « de troubler la mémoire » du dossier. La sortie du film Grâce à Dieu de François Ozon sur Bernard Preynat et la tenue du procès du cardinal Barbarin vont également troubler ce procès. Ce dernier aurait dû se tenir en 1991.

« Ce que je vous demande à vous et aux victimes, c’est d’admettre que Bernard Preynat n’a pas attendu d’être jugé et condamné pour arrêter ses agissements. […] Je vis difficilement que rien ne lui soit reconnu, que l’on passe sous silence la lutte qui a été la sienne pour redevenir un homme qui conserve tout le poids ce qu’il a fait. Il faut un moment reconnaître la sincérité, qu’on n’est pas dans un montage, dans un calcul. […] Il devait répondre, il a répondu, avec sa mémoire de 75 ans, avec une imprécision liée au nombre. Méfiez-vous des statistiques, […] ne tombons pas dans des chiffres qui font impression. Il a beaucoup agressé, il a fait beaucoup de mal, pêché mortel et véniel ». Pour la peine requise, une peine excessive et décalée selon l’avocat, Bernard Preynat « paierait le prix du présent. Ce qui doit être prononcé, c’est la rétribution du passé ». Il demande du sursis.

Délibéré le lundi 16 mars 2020, à 10 heures. La présidente a remercié toutes les parties pour « la tenue de l’audience ».