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Blessures involontaires : faute de la victime, responsabilité du gérant et de sa société

La responsabilité pénale du chef d’entreprise et de sa société est engagée dès lors que l’équipement à l’origine des blessures involontaires devait préserver, sans restriction, toute personne d’un risque d’atteinte et que l’éventuelle faute de la victime n’était pas la cause exclusive de l’accident.

par Méryl Recotilletle 14 mars 2018

Jamais encore les juges d’appel ou de la Cour de cassation n’avaient eu l’occasion de se prononcer sur le « comportement humain aisément prévisible » prévu par les dispositions du code du travail et de la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006. C’est désormais chose faite depuis un arrêt du 27 février 2018. En l’espèce, la victime âgée de deux ans, qui accompagnait sa mère à la bergerie de son père, a eu le bras droit sectionné après l’avoir introduit dans un espace latéral du tapis roulant servant à distribuer les aliments aux moutons. La cour d’appel a confirmé en toutes ses dispositions pénales et civiles le jugement du tribunal correctionnel condamnant la société, personne morale, qui était le concepteur de la machine ainsi que son gérant du chef de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence. Le gérant, la personne morale ainsi que la compagnie d’assurance responsabilité civile professionnelle de la société, partie intervenante, se sont alors pourvus en cassation, remettant en cause l’établissement du lien de causalité entre le dommage de la victime.

En vertu des articles 222-19 et 121-3 du code pénal, la faute commise par les prévenus a été parfaitement établie. Elle n’a d’ailleurs pas été contestée. Les juges ont considéré que la machine à l’origine des blessures de la fillette constituait un équipement de travail tel que défini par l’article R. 4311-4-1 du code du travail, soumis aux règles techniques de conception prévues par l’annexe 1 du décret n° 92-767 du 29 juillet 1992. Selon ces dispositions, les machines doivent être aptes à assurer leur fonction, à être réglées, entretenues sans que les personnes soient exposées à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par la notice d’instructions. L’absence de toute protection de parties mobiles potentiellement dangereuses a permis aux juges de conclure que l’équipement de travail n’était pas conforme aux règles techniques applicables en matière de santé et de sécurité. Ils ont d’ailleurs souligné que ce n’est qu’après l’accident que la société a équipé les machines déjà en service de carters de protection dont elles étaient dépourvues à l’origine. Une faute simple fondée sur la violation des dispositions du code du travail a donc suffi à engager la responsabilité pénale de la personne morale. En ce qui concerne le gérant, la chambre criminelle semble avoir conclu à son rôle d’auteur médiat, tel que prévu à l’alinéa 4 de l’article 121-3 du code pénal. En effet, l’accident de la fillette « ne se serait pas produit si l’espace dans lequel elle a introduit son bras avait été protégé par un carter ». Il est regrettable que les juges n’aient pas été plus précis quant à la nature de l’auteur. Une illustration explicite est toujours bienvenue eu égard à la distinction ténue entre auteur indirect et auteur médiat. Quoi qu’il en soit, la chambre criminelle a conclu pour le chef d’entreprise à l’existence d’une faute qualifiée en raison d’une violation « manifestement délibérée » d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Plus discutable était, selon les demandeurs au pourvoi, le lien de causalité entre cette faute et le dommage subi par la victime (v. not. Rép. pén., Violences involontaires [1° Théorie générale], par Y. Mayaud, nos 309 s.). Selon les arguments au pourvoi, l’absence d’une relation de travail entre les prévenus ou l’utilisateur de la machine et la victime était apparemment de nature à remettre en cause le lien de causalité entre les blessures involontaires et la violation des dispositions du code du travail. Il semblerait que les prévenus aient cherché à exclure la victime du champ d’application de la responsabilité pénale engagée pour violation des dispositions du code du travail dès lors que cette victime ne possédait aucun lien de subordination quelconque avec les prévenus. Toutefois, cette tentative de limitation de l’engagement de la responsabilité pénale à la seule sphère du code du travail a échoué. En effet, les juges ont constaté que les dispositifs de protection réglementaires ont pour but de prévenir tout accident « non seulement pour l’utilisateur de la machine mais également pour tous ceux qui sont susceptibles de se trouver à proximité ». Ainsi, là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

La chambre criminelle devait également se prononcer sur l’incidence de la faute de la victime dans la réalisation de l’accident. La faute de la victime ayant consisté à laisser une enfant de moins de trois ans s’approcher d’une machine dangereuse était d’une gravité telle qu’elle permettait, selon les demandeurs au pourvoi, de rompre le lien de causalité entre l’accident et la méconnaissance de l’obligation de sécurité et de prudence. Cette faute invoquée par les prévenus portait néanmoins à discussion. Est-ce qu’ils se référaient à la faute de la victime directe du dommage, à savoir l’enfant en bas âge dont le bras a été sectionné par la machine dont elle s’est approchée ? Si tel était le cas, la question de son manque de discernement ne se posait-elle pas ? Le pourvoi visait-il plutôt le défaut de surveillance des parents de l’enfant ? Dans ce cas, exonérer les prévenus de leur responsabilité pénale sur ce fondement revenait à répercuter sur l’enfant le manque de vigilance de ses parents.

L’examen de l’incidence de l’éventuelle faute de la victime a constitué, pour les juges, une occasion de se prononcer pour la première fois sur la notion de « comportement humain aisément prévisible ». D’une part, ils semblent avoir apprécié cette notion in concreto comme le démontre la référence au domaine précis d’une exploitation agricole familiale. D’autre part, l’appréciation faite par chambre criminelle du « comportement humain aisément prévisible » fait vraisemblablement peser sur le concepteur de machines agricoles dangereuses une obligation étendue de prévention des risques. En effet, la présence d’un enfant sur une exploitation agricole familiale est un élément qui aurait dû être anticipé par le concepteur de la machine. La Cour de cassation justifie cette obligation par la « qualité de concepteur et de constructeur de matériel agricole » du dirigeant qui ne pouvait ignorer ni les exigences de sécurité requises ni les risques que générait l’absence de toute protection sur une machine agricole dangereuse. Rejetant le pourvoi, la chambre criminelle a ainsi réaffirmé sa position constante quant à l’absence d’incidence de la faute de la victime dans l’engagement de la responsabilité pénale en cas de faute non-intentionnelle (v. not. Crim. 1er avr. 2008, n° 07-87.433, Dalloz actualité, 13 mai 2008, obs. A. Darsonville ) sauf si celle-ci est la cause exclusive du dommage (Crim. 11 mai 1982, Bull. crim. n° 118) et en dehors du cas particulier de la faute du conducteur victime (Crim. 24 févr. 2015, n° 14-82.350, Dalloz actualité, 1er avr. 2015, obs. L. Priou-Alibert isset(node/171592) ? node/171592 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>171592).

En conclusion, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond en retenant la responsabilité pénale du dirigeant et sa société, du chef de blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, dès lors que l’équipement en cause devait préserver toute personne d’un risque d’atteinte à sa santé ou à sa sécurité et que l’éventuelle faute de la victime, à la supposer démontrée, ne pouvait être la cause exclusive de l’accident.