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Blocage des sites pornographiques faute de contrôle de l’accès des mineurs: nouveau sursis à statuer du Tribunal judiciaire de Paris

La bataille juridique lancée par l’ARCOM reste enlisée, alors qu’un projet de loi prévoit de changer les modalités d’injonction et de recours.

par Gabriel Thierry, journalistele 11 juillet 2023

Il faudra attendre encore pour avoir la décision définitive du tribunal judiciaire à propos de la demande de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) de blocage des cinq sites pornographiques les plus importants de France, jugés négligents dans leur contrôle de l’accès des mineurs. Malgré les appels pressants de Jean-Noël Barrot, le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, qui avait appelé dans les médias à un verdict « exemplaire » et à un blocage, ce long feuilleton juridique devrait encore se prolonger.

Ce vendredi 7 juillet, le service des référés du pôle de l’urgence civile du Tribunal judiciaire de Paris a en effet prononcé un sursis à statuer, dans l’attente de la décision du Conseil d’État sur la légalité du décret du 7 octobre 2021. « Je prends acte de cette décision qui ne remet pas en question la légitimité de l’ARCOM et des associations à agir, a commenté Charlotte Caubel, la secrétaire d’État chargée de l’enfance. Les solutions existent ! Il revient aux sites pornographiques de les mettre en œuvre. Être en conformité avec la loi n’est pas une option. »

C’est pourtant une péripétie de plus dans un dossier qui n’en manque pas, l’illustration des difficultés à légiférer sur le numérique. Tout avait commencé avec la loi du 30 juillet 2020, qui permettait au CSA – l’ancêtre de l’ARCOM – d’enjoindre des sites pornographiques de mettre en place un véritable contrôle d’âge de leurs visiteurs, et non une simple déclaration de majorité. À défaut, l’autorité pouvait ensuite saisir le président du tribunal judiciaire pour demander le blocage du site.

Nombreuses péripéties

Comme le rappelait le site spécialisé NextInpact, la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions avait connu un premier retard à l’allumage à cause de l’absence de notification du décret d’application de la loi à la Commission européenne. Puis le tribunal judiciaire avait constaté en mai 2022 la caducité des assignations portées par l’ARCOM, la faute à des envois de copies pas dans les délais requis. La médiation lancée à la rentrée de septembre 2022 n’avait ensuite pas abouti. Enfin, un premier sursis à statuer avait été prononcé après une question prioritaire de constitutionnalité qui n’avait finalement pas passé le filtre de la Cour de cassation.

Cette fois-ci, le nouveau sursis à statuer est relatif au recours en annulation du décret du 7 octobre 2021 devant le Conseil d’État. Un contentieux porté par deux éditeurs de contenus pornographiques, également parties volontaires dans le litige en cours. Ce texte précise les modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs. Pour les deux éditeurs de contenus pornographiques, le pouvoir réglementaire n’y a pas « apporté les précisions indispensables pour permettre d’identifier les solutions techniques de vérification de l’âge satisfaisantes ».

« Nécessaire dialogue des juges »

L’ARCOM avait au contraire estimé que le décret critiqué n’avait pas « pour objet de compléter les dispositions » de la loi. Ainsi, pour le régulateur de l’audiovisuel et du numérique, l’absence de définition des solutions techniques de contrôle de l’âge ne pouvait constituer une incompétence négative entachant le texte d’irrégularité. Mais pour le Tribunal judiciaire de Paris, le sursis à statuer se justifie. Il doit permettre aux magistrats d’appréhender le litige « dans toute sa globalité, une fois la légalité du décret tranchée par le Conseil d’État ».

« Cette mesure s’inscrit dans le nécessaire dialogue des juges, en particulier dans les causes systématiques, ajoutent les magistrats. La coopération doit exister entre les deux ordres de juridiction face à la multiplicité des normes et la nécessité de prévoir, au cas d’espèce, des dispositifs de nature à garantir tant la fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs que le respect de leur vie privée. »

Les juges ne sont également pas privés de se signaler au législateur, en rappelant que les problématiques soulevées « s’inscrivent dans un domaine faisant l’objet de constantes évolutions ». Comme les magistrats le soulignent, le projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique est en cours d’élaboration. Et il n’est pas impossible qu’il soit voté avant la conclusion du litige en cours, changeant fondamentalement la donne de cette bataille juridique.

Déjà adopté par le Sénat, ce projet de loi prévoit en effet de donner le pouvoir à l’ARCOM de bloquer et déréférencer les sites ne proposant pas une vérification d’âge assez solide et opérationnelle, sur la base d’un référentiel établi par ses soins. Une procédure qui serait alors portée devant le juge administratif et non le juge judiciaire. « La nécessité de saisir le juge judiciaire pour faire bloquer les sites litigieux entraîne de longs délais, incompatibles avec l’impératif d’une action rapide », relevait à ce sujet l’étude d’impact.