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À Bobigny, la défense conteste « une détention provisoire illégale »

Le délai de deux mois (renouvelable deux fois) ayant expiré au 17 février, l’avocat de la défense a exigé, lundi 25 février 2019, que son client soit remis en liberté avant sa comparution dans une affaire de trafic de stupéfiants. Le tribunal a « joint au fond ».

par Julien Mucchiellile 26 février 2019

Alors qu’il est en détention provisoire depuis mai 2017, Axel T…, mis en examen pour trafic de stupéfiants – en l’espèce, le trafic portait sur vingt kilos de cannabis – est, par ordonnance du 7 septembre 2018, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Il comparaît le 5 novembre 2018 devant la 13e chambre correctionnelle, qui renvoie l’affaire à son audience du 17 décembre, date à laquelle le tribunal a de nouveau renvoyé l’affaire aux 25, 26 et 27 février 2019, devant la même chambre.

Pendant ce temps, Axel T…, ainsi que deux autres prévenus, est maintenu en détention provisoire, jusqu’à ce lundi 25 février. Son avocat, Me Thomas Bidnic, conteste ce maintien en détention, selon lui illégal et même « arbitraire au sens légal du terme », et demande au tribunal correctionnel que son client soit immédiatement remis en liberté, afin de comparaître libre ce jour même, ou ultérieurement, si le tribunal décide de renvoyer l’affaire. Le parquet s’oppose à cette demande.

À l’appui de sa demande de mise en liberté, formulée au début de l’audience, Me Bidnic rappelle les règles s’appliquant à la détention provisoire des personnes ayant été renvoyées devant un tribunal par une ordonnance. À ce stade de la procédure, le maintien en détention provisoire exige du juge qu’il prenne une ordonnance de maintien en détention, distincte et spécialement motivée par référence à l’article 144 du code de procédure pénale, qui énumère les cas de figure où le maintien en détention du prévenu s’avère, aux yeux des magistrats, indispensable. Par la suite, le jugement doit intervenir dans un délai de deux mois, renouvelable deux fois, à titre exceptionnel et par une décision mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire.

En l’espèce, le premier délai de deux mois est interrompu le 5 novembre 2018. Par défaut, le nouveau délai court à partir de cette date, délai de nouveau interrompu le 17 décembre et qui reprend, à cette même date, pour s’achever, cette fois-ci, le 17 février. « De ce fait, explique l’avocat, j’ai déposé une demande de mise en liberté vendredi. Mais le parquet l’a audiencé à jeudi prochain, soit après le procès », rapporte-t-il, voici pourquoi il se désiste de cette demande et en formule une nouvelle, par voie de conclusion, qu’il développe désormais. D’abord, une question : « Je demande solennellement au procureur s’il maintient sa position. – Je maintiens ma position. – Très bien, j’en suis attristé mais j’en prends bonne note. »

« Je pense qu’en joignant au fond, vous l’avez touché. »

Le parquet le conteste, mais « j’affirme, dit Me Bidnic, que le délai de deux mois a pour point de départ le 17 décembre 2018 », et que la remise en liberté doit être ordonnée et exécutée immédiatement, plaide l’avocat, s’appuyant sur de nombreuses jurisprudences (treize décisions, « j’ai donné tout ce qui existe en terme de jurisprudence sur la question ») dans lesquelles, dans des situations semblables ou identiques, les prévenus avaient été remis en liberté. Pour lui, la fixation de l’audience à une date trop lointaine est tout simplement une erreur du tribunal. Son confrère Me Philippe-Henry Honneger, qui représente un autre prévenu détenu et s’associe à la demande de Me Bidnic (de même que le troisième prévenu détenu, non représenté), éclaire le tribunal en expliquant la pratique en cours en la matière, afin de déterminer le point de départ du délai. « Auparavant, le point de départ était automatiquement la date de l’audience, du jugement (comme en l’espèce). Depuis quelques années, pour bénéficier de plus de temps, le point de départ est fixé à la “date anniversaire” de l’ordonnance », c’est-à-dire deux mois après le rendu de l’ordonnance, ou quatre mois en cas de renouvellement, ce qui porterait le point de départ, en l’espèce, au 7 janvier. Mais, précise l’avocat, cette date « anniversaire » doit être expressément mentionnée, elle l’est toujours. Dans le cas contraire, c’est l’ancienne règle qui prévaut, c’est le cas ici, et le point de départ ne peut qu’être le 17 décembre 2018.

Le parquet voit les choses différemment, mettant en avant un délai global de six mois. Il se fonde, d’une part, sur un arrêt de la cour d’appel de Paris de 2012 (auquel la défense dénie toute pertinence) et, d’autre part, sur une circulaire du 20 décembre 2000, qui rappelle que le prévenu doit être jugé dans un délai maximal de six mois à compter de l’ordonnance de renvoi. Le procureur, donc, oppose une circulaire aux prescriptions de la loi énoncées par la défense.

Manifestement navré, Me Bidnic réplique : « Le plus grave, c’est quoi : qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi ? C’est l’incompétence crasse ou la malhonnêteté ? C’est lamentable, je suis franchement triste en tant que citoyen ». Il rappelle qu’une telle affaire aurait dû se régler en quelques coups de téléphone, « la remise en liberté aurait été ordonnée et mon client se serait présenté à son procès ».

Considérant cette demande de mise en liberté comme la discussion d’un point de procédure, le tribunal, après en avoir délibéré, décide de joindre l’incident au fond. Me Bidnic, « surpris par cette décision de procrastination », a commenté : « Je pense qu’en joignant au fond, vous l’avez touché ». Le procès a ainsi commencé et doit se terminer mercredi 27 février.