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Bombe à retardement : la cour n’est pas saisie par l’acte d’appel sans mention des chefs de jugement critiqués
Bombe à retardement : la cour n’est pas saisie par l’acte d’appel sans mention des chefs de jugement critiqués
Seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement. Aussi, lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas.
par Romain Lafflyle 17 février 2020
Alors que les avocats pouvaient s’estimer définitivement à l’abri de la sanction d’une absence d’effet dévolutif au regard d’une déclaration d’appel qui ne mentionnerait pas les chefs de jugement critiqués, aidés en cela par les décisions des cours d’appel et une interprétation, hâtive, des avis du 20 décembre 2017 de la Cour de cassation, voilà un arrêt d’une importance capitale.
Cet arrêt, rendu en formation de Section et destiné à une très large publication, a indiscutablement une première valeur formelle puisqu’il adopte la nouvelle norme de rédaction souhaitée par la Cour de cassation elle-même, son ancien Premier président et l’actuel Président de la deuxième chambre civile. Aristote et le syllogisme juridique cèdent du terrain au profit de paragraphes numérotés et d’un style direct, bref plus moderne. Si d’aucuns le regretteront inévitablement, d’autres salueront cette nouvelle motivation développée qui permet d’entrer au cœur du raisonnement de la Haute juridiction. Exit donc les attendus et leur part de mystère, tantôt redoutés tantôt chéris par les étudiants et les universitaires. C’est la loi de la modernité que de comprendre tout et vite. En un battement de cils, la solution doit sauter aux yeux.
Faisons œuvre de synthèse et condensons le rappel des faits, la procédure et l’énoncé du moyen (§§ 1, 2 et 3), citons donc la réponse in extenso de la Cour puisqu’elle permet de tout comprendre (§§ 4 à 16), et risquons-nous tout de même à un commentaire.
Déclarée responsable et condamnée pour insuffisance d’actif, une partie régularise deux actes d’appel d’un jugement du tribunal de commerce. Sur les deux déclarations d’appel, en date des 15 et 18 décembre 2017, l’appelant avait mentionné qu’il formait appel « total », sans plus de précisions. Par arrêt en date du 31 mai 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence juge qu’elle n’est saisie d’aucune demande, constate l’absence de régularisation d’une nouvelle déclaration d’appel dans le délai imparti pour conclure et confirme purement et simplement le jugement entrepris. Devant la Cour de cassation, le demandeur au pourvoi faisait grief à la cour d’appel de ne pas avoir pris en compte ses conclusions qui précisaient pourtant les chefs de jugement critiqués et ajoutait que, constatant que l’appel total n’était pas nul, faute de grief allégué par l’intimé, l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales avait été violé.
La deuxième chambre civile répond :
« 4. En vertu de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
5. En outre, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.
6. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas.
7. Par ailleurs, l’obligation prévue par l’article 901, 4°, du code de procédure civile, de mentionner, dans la déclaration d’appel, les chefs de jugement critiqués, dépourvue d’ambiguïté, encadre les conditions d’exercice du droit d’appel dans le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel.
8. Enfin, la déclaration d’appel affectée de ce vice de forme peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.
9. Il résulte de ce qui précède que ces règles ne portent pas atteinte, en elles-mêmes, à la substance du droit d’accès au juge d’appel.
10. Or, la cour d’appel a constaté que les déclarations d’appel se bornaient à mentionner en objet que l’appel était « total » et n’avaient pas été rectifiées par une nouvelle déclaration d’appel. Elle a donc retenu à bon droit, et sans méconnaître les dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que cette mention ne pouvait être regardée comme emportant la critique de l’intégralité des chefs du jugement ni être régularisée par des conclusions au fond prises dans le délai requis énonçant les chefs critiqués du jugement.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d’office
12. Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.
Vu l’article 562 du code de procédure civile :
13. Il résulte de ce texte que le juge qui décide qu’il n’est saisi d’aucune demande, excède ses pouvoirs en statuant au fond.
14. Après avoir dit que les deux déclarations d’appel déposées par M. X… ne défèrent à la cour aucun chef critiqué du jugement attaqué et que la cour n’est par suite saisie d’aucune demande, la cour d’appel a confirmé le jugement.
15. En statuant ainsi, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. En application de l’article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu’il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu’il confirme en conséquence purement et simplement le jugement attaqué, l’arrêt rendu le 13 septembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ; »
Nul n’ignore, selon la formule consacrée, que depuis l’entrée en vigueur au 1er septembre 2017 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, que l’appelant a l’obligation de mentionner sur son acte d’appel les chefs de jugement critiqués sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible (C. pr. civ., art. 901) et que l’appel défère à la Cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible (C. pr. civ., art. 562).
Par trois avis remarqués, la deuxième chambre civile avait précisé que conformément à l’article 901 du code de procédure civile, la sanction encourue par l’acte d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués est une nullité de forme, régularisable dans le délai imparti à l’appelant pour conclure, et il ne résulte de l’article 562 du code de procédure civile, qui précise que l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, aucune fin de non-recevoir (Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, nos 17019, 17020, 17021, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly).
La nullité ne faisait pas de doute puisqu’elle résulte du texte même de l’article 901 et elle avait logiquement été retenue par la Haute Cour au détriment de l’irrecevabilité de l’appel, conduisant la plupart des cours d’appel à n’examiner l’effet dévolutif que sous l’angle de la nullité de forme en cas d’appel « total ». Celles-ci en déduisaient que dès lors que l’appelant critiquait, dans ses écritures, la décision de première instance, l’intimé savait pertinemment comment se défendre et qu’aucun grief n’était ainsi caractérisé. Mais pouvait se poser la question d’une issue différente car il ne fallait pas faire dire à l’avis ce qu’il ne voulait pas dire alors qu’il n’était pas du tout certain que la nullité de forme était le seul risque, bien mineur donc, encouru. Car la Cour de cassation, tenue par les questions posées selon la procédure d’avis, avait dit in fine sans objet la question posée au visa de l’article 562 du code de procédure civile. Comme nous l’évoquions à l’occasion de ces trois avis, la partie n’était peut-être pas terminée puisqu’en l’absence d’indication des chefs de jugement critiqués dans la déclaration d’appel, l’intimé, plutôt que d’emprunter la voie de la nullité, ne pourrait-il pas prétendre que l’appel n’est pas soutenu puisque l’effet dévolutif ne peut jouer, la Cour n’étant pas saisie ?
La question de l’absence d’effet dévolutif privant la cour d’appel d’une possibilité de statuer était d’autant plus en suspens que la Cour de cassation elle-même n’avait pas caché son souhait, en partie exaucé par le décret du 6 mai 2017, de voir le procès d’appel recentrer sur une critique de la décision de première instance. Et elle le rappelle dans cet arrêt du 30 janvier 2020 : « l’obligation prévue par l’article 901, 4°, du code de procédure civile, de mentionner, dans la déclaration d’appel, les chefs de jugement critiqués, dépourvue d’ambiguïté, encadre les conditions d’exercice du droit d’appel dans le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel » (§ 7). La circulaire de présentation des dispositions du décret, en date du 4 août 2017, le rappelait sans équivoque : « L’appelant est ainsi contraint de délimiter son appel dans son acte d’appel. L’effet dévolutif ne jouera pas en l’absence de critique expresse sur des chefs du jugement déterminés. La faculté de faire un appel général est ainsi supprimée, sauf demande d’annulation du jugement ou cas d’indivisibilité du litige, et la cour ne sera pas saisie par un appel général en dehors de ces exceptions. Cette disposition s’applique non seulement à l’appel principal mais également aux appels incidents et provoqués. Cette évolution, qui conduit à imposer une plus grande fixité du procès, traduit, pour ce qui concerne l’étendue de l’appel, l’idée que l’appel tend à apporter une réponse précise aux contestations ciblées par l’appelant à l’égard du premier jugement » (Circ. du 4 août 2017, fiche n° 1, p. 5-37).
Mais, loin de là, depuis les trois avis précités, deux courants se dégageaient. Celui, très majoritaire, des cours d’appel qui, face à un appel total, estimaient que seule une nullité de forme devant causer grief pouvait être invoquée. Les trois avis étaient appliqués « au pied de la lettre » et le grief n’était jamais rapporté dès lors que, dans ses conclusions, l’appelant apportait une critique de la décision du premier juge. L’effet du décret était raté. L’autre, très minoritaire, qui relevait que l’effet dévolutif ne pouvait jouer dès lors que l’acte d’appel ne mentionnait aucun chef de jugement critiqué. Dans ce dernier cas, l’intimé ne se plaçait pas sur le terrain de l’exception de nullité, soutenue in limine litis, mais concluait devant la cour d’appel tout simplement à l’absence d’effet dévolutif.
Ainsi, pour la cour de Paris « l’indétermination des chefs exacts de critique du jugement dans la déclaration d’appel qui précise toutefois que ce dernier n’est que partiel – laquelle n’a pas été régularisée par une nouvelle déclaration et n’a pu l’être par voie de conclusions – ne permet pas de connaître la portée de ce qui est dévolu à la cour et c’est, en conséquence, à juste titre que les intimées font valoir que la déclaration d’appel est privée de tout effet dévolutif ». La Cour écarte la fin de non-recevoir, dit qu’elle n’est pas saisie par la déclaration d’appel et que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions (Paris, pôle 5, ch. 6, 16 mars 2018, n° 17/18759). Ou encore : « Considérant que la déclaration d’appel mentionnant ’appel total’ alors que l’objet du litige est divisible, et le dépôt des conclusions ultérieures par l’appelante n’étant pas de nature à suppléer l’absence d’effet dévolutif résultant d’une déclaration d’appel non renseigné, il s’ensuit qu’il n’est déféré à la cour la connaissance d’aucun chef de l’ordonnance expressément critiqués » (Paris, pôle 1, ch. 3, 31 oct. 2018, n° 18/02258). De même, pour la cour d’Amiens, l’absence de chefs de jugement critiqués sur l’acte d’appel entraîne l’irrecevabilité de l’appel (Amiens, 5e ch., 23 avr. 2019, n° 18/00212) ou bien le fait qu’elle n’est pas saisie (Amiens, ch. éco., 21 mars 2019, n° 18/04134).
On le voit, si l’absence d’effet dévolutif en présence d’un appel « total » ne faisait pas de doute pour certaines cours, non seulement cette thèse était peu partagée mais la sanction apparaissait à géométrie variable : absence de saisine pour l’une, irrecevabilité de l’appel pour l’autre, ou bien confirmation pure et simple du jugement. L’apport de la deuxième chambre civile est ici majeur puisque si se trouve consacrée l’absence d’effet dévolutif en cas d’appel total, elle casse et annule, par voie de retranchement, l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence seulement en ce qu’il confirme purement et simplement le jugement attaqué. Cette appréciation de la portée de la sanction est tout à fait logique puisque l’appel est bien recevable dès lors qu’il est fait dans le délai imparti ou par voie électronique en procédure avec représentation obligatoire. Et saisie d’aucun chef de jugement critiqué dans l’acte d’appel, la cour d’appel se trouve dans l’impossibilité de statuer… et donc de confirmer la décision dont appel.
Quelles conséquences pratiques en tirer ? Si la nullité de forme a toujours cours en cas d’appel ne mentionnant pas les chefs de jugement critiqués, l’intimé, qui aura le plus grand mal à démontrer un grief notamment lorsque les conclusions viendront préciser les chefs de jugement critiqués, aura tout intérêt à conclure au fond à l’absence d’effet dévolutif une fois passé le délai pour conclure de l’appelant qui n’aura pas réitéré son acte d’appel. En effet, la deuxième chambre civile en profite pour rappeler la solution dégagée dans ses trois avis : la nullité peut être couverte par une nouvelle déclaration d’appel, laquelle ne peut intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile (§ 8). Et c’est là une dernière question en suspens. Il est fort possible qu’il s’agisse là de l’unique moyen de régulariser l’erreur commise et que l’on s’oriente vers un abandon de la propre doctrine de la Cour de cassation qui estimait, depuis un arrêt du 16 octobre 2014 rendu au visa de l’article 2241 du code civil, qu’une cour d’appel ne peut dénier l’effet interruptif à la nullité de l’acte d’appel qu’elle a pu prononcer à l’encontre d’une première déclaration d’appel (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 2118 ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ) et qu’un vice de procédure est interruptif du délai de forclusion de l’appel, ce qui autorise donc une régularisation de la déclaration d’appel tant que le juge n’a pas statué (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-14.300, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1196 ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ).
Le paragraphe 8 de l’arrêt est clair : « Enfin, la déclaration d’appel affectée de ce vice de forme peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile ». Ainsi, l’effet interruptif de la nullité encourue pourrait toujours jouer, mais il serait encadré par une certaine temporalité : celle du délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure. Cette position serait conforme à l’esprit du décret et permettrait toujours de réparer l’erreur d’une déclaration d’appel qui omettrait, en totalité ou partiellement, les chefs de jugement critiqués dans le temps de la notification de conclusions qui doivent concentrer l’ensemble des prétentions. La réaffirmation de cette seule voie de régularisation par la deuxième chambre civile, après ses trois avis, pourrait laisser entendre un changement de paradigme. Une régularisation serait toujours possible, dans un temps déterminé, avant que la sanction ne soit définitivement prononcée. C’est la tendance, lourde, qui semble se dessiner, à l’instar de son récent arrêt, publié, jugeant qu’un second pourvoi est recevable tant qu’une ordonnance constatant la déchéance du premier pourvoi n’est pas intervenue (Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 17-28.111, Dalloz actualité, 25 juill. 2019, obs. A. Bolze). Cette position aurait aussi le grand mérite de favoriser le rapprochement du régime de sanction de la nullité sur celui de l’irrecevabilité, de la déchéance et de la caducité. En effet, doctrine comme praticiens ont de plus en plus de mal à comprendre, et à justifier, l’incroyable différence de conséquences entre une nullité de la déclaration d’appel pour défaut de mention des chefs de jugement qui pourrait être régularisable finalement à chaque décision prononçant une nullité, c’est-à-dire ad vitam aeternam, avec une irrecevabilité ou une caducité qui empêche désormais tout nouveau recours, par application de l’article 911-1 du code de procédure civile, dès son prononcé. Par ce changement de point de vue et cette régularisation « encadrée », le droit effectif d’accès au juge serait préservé par la possibilité de réitérer son recours tant que la déchéance, l’irrecevabilité, la caducité et donc la nullité n’aurait pas été prononcée.
Par cet arrêt enfin, la Cour de cassation consacre la primauté de l’acte d’appel sur les conclusions, ce qui était d’autant plus prévisible qu’elle venait de le rappeler pour les appels antérieurs au décret du 6 mai 2017 (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-25.799, Dalloz actualité, 19 oct. 2018, obs. R. Laffly). Antérieurement au décret, l’appel dit total, sans autre précision, permettait à l’effet dévolutif de jouer pleinement. Dès lors, a contrario, avec l’obligation de mentionner les chefs de jugement dès la déclaration d’appel, si l’effet dévolutif d’un acte d’appel précisant l’ensemble des chefs de jugement peut sans difficulté être restreint par voie de conclusions, il ne peut être étendu dans les écritures à des chefs de jugement non visés sur l’acte d’appel. Pire, à défaut d’indication des chefs de jugement critiqués et de la seule mention appel « total » ou « général », des conclusions ultérieures ne peuvent saisir la cour d’appel quand bien même l’alinéa 2 de l’article 954 précise que les conclusions doivent viser l’énoncé des chefs de jugement critiqués. L’acte d’appel s’impose sur les conclusions. L’effet dévolutif ne joue plus.
Selon le mot d’un auteur, s’il eût fallu recourir à l’arme de destruction massive qu’est l’irrecevabilité pour que le décret du 6 mai 2017 joue son plein effet (H. Croze, À propos des avis du 20 décembre 2017, Procédures, n° 3, mars 2018), se dessine donc une voie médiane par l’utilisation d’une arme, d’une plus faible portée apparente, mais tout autant dévastatrice : l’appel en tant que tel n’est pas irrecevable, mais l’effet dévolutif ne joue pas en l’absence d’une critique expresse des chefs du jugement dans l’acte d’appel. C’est en réalité un missile téléguidé par les conclusions au fond de l’intimé, une bombe à retardement qui explosera seulement le jour où la Cour se prononcera. Et dira qu’elle n’est pas saisie.
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