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Brexit : non rétroactivité in mitius de l’accord de retrait du Royaume-Uni

L’accord de retrait conclu entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord ne constitue pas une loi pénale nouvelle capable de rétroagir et rendant inapplicable l’article 132-23-1 du code pénal.

par Méryl Recotilletle 6 mai 2021

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a un impact sur bien des domaines de la sphère judiciaire (v. par ex., S. Cass et P. Kirkpatrick, Les conséquences du Brexit, JA 2018, n° 585, p. 31 ; T. Mastrullo, Les conséquences du Brexit en droit des sociétés, Rev. sociétés 2021. 151 ). Néanmoins, la chambre criminelle tente de limiter ses conséquences en matière répressive afin de préserver la sécurité juridique. En témoigne l’arrêt rendu le 14 avril 2021.

En l’espèce, le juge d’instruction a renvoyé un individu devant le tribunal correctionnel des chefs d’importation et détention de stupéfiants, participation à une association de malfaiteurs, importation en contrebande et détention de marchandises dangereuses pour la santé publique, ces faits ayant été commis courant 2018 en France, et en état de récidive légale. Le tribunal correctionnel l’a déclaré coupable et l’a condamné à dix ans d’emprisonnement. Le prévenu et le ministère public ont interjeté appel de cette décision.

La cour d’appel a confirmé le jugement de première instance. Pour retenir l’état de récidive du prévenu, elle a relevé qu’il ressort du casier judiciaire britannique de l’intéressé qu’il a été condamné le 1er octobre 2004 par le tribunal pour enfants de Oldham, pour des faits de possession de stupéfiants et de possession de substances contrôlées avec l’intention d’approvisionner, respectivement, à une peine de quatre mois et de douze mois d’emprisonnement, et qu’il a également été condamné par le tribunal de Manchester, le 27 juillet 2011, à une peine de huit ans d’emprisonnement pour fourniture de substances contrôlées. Les juges ont ainsi fait application des dispositions de l’article 132-23-1 du code pénal. Selon ce texte, les condamnations pénales prononcées par les juridictions des États membres de l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets. La circonstance aggravante de récidive reposait donc sur les condamnations passées, prononcées par les juridictions britanniques (pour la mise en œuvre des règles de la récidive en application de l’art. 132-23-1 c. pén. V. not., Crim. 24 mars 2015, n° 15-80.023, Dalloz actualité, 14 avr. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 420, obs. J. Lasserre Capdeville ).

Le mis en cause a alors formé un pourvoi en cassation. En se fondant sur les règles propres à l’application de la loi pénale dans le temps (Rép. pén.,  Lois et règlements – Application de la norme pénale, par C. Lacroix, n° 147 s.), il a soutenu que les dispositions transitoires relatives au retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique devaient être interprétées à la lumière de l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux, prévoyant le principe de légalité des délits et des peines. En conséquence, l’article 132-23-1 du code pénal aurait dû être inapplicable. Autrement dit, si l’on en croit le raisonnement du mis en cause, puisque le Royaume-Uni s’est retiré, il n’était plus une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne. Ce faisant, l’article 132-23-1 du code pénal ne pouvait pas s’appliquer. Or puisque l’état de récidive dépendait de ces dispositions, il n’était pas possible de le retenir. Par voie de conséquence, le retrait du Royaume-Uni supprimait la circonstance aggravante, de sorte que le requérant estime qu’il s’agit d’une loi pénale plus douce et qu’il faut appliquer le principe de rétroactivité in mitius.

Est-ce que l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne constitue une loi pénale de fond nouvelle et plus douce qui s’appliquerait rétroactivement aux faits commis avant son entrée en vigueur et n’ayant pas encore été jugés et empêcherait ainsi l’application de l’article 132-23-1 du code pénal ? En d’autres termes, est-ce que l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux s’opposerait à l’application de l’article 127.6 de l’accord de retrait ? Répondant de façon négative, la Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement du mis en cause et a rejeté le second moyen au pourvoi (le premier moyen au pourvoi ayant été écarté).

La chambre criminelle a commencé par rappeler que lors du jugement d’appel, le Royaume-Uni était considéré comme une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne, condition essentielle de l’application de l’article 132-23-1 du code pénal (§ 19). Il résulte en effet de l’article 127.6 de l’accord sur le retrait que, sauf disposition contraire, pendant la période de transition, toute référence aux États membres dans le droit de l’Union applicable en vertu du paragraphe 1, y compris dans sa mise en œuvre et son application par les États membres, s’entend comme incluant le Royaume-Uni. Ainsi, le 3 mars 2020, la cour d’appel a rendu sa décision pendant la période transitoire, période au cours de laquelle le Royaume-Uni était considéré comme appartenant à l’Union européenne. L’article 132-23-1 du code pénal s’appliquait donc sans difficulté ; la sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni ne devait pas avoir de conséquences.

La Haute cour a ensuite tranché « l’accord de retrait précité ne constitue pas une loi pénale nouvelle justifiant l’application de l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux, selon lequel lorsque la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée ». On regrettera l’absence de réelle explication sur le fait que l’accord de retrait ne soit pas considéré comme une loi nouvelle, de fond. Toutefois, il est assez aisé d’imaginer ce qui a motivé les juges. Conclure à l’inapplicabilité de l’article 132-23-1 du code pénal pour cause de Brexit viendrait ébranler toutes les situations juridiques concernées et précisément toutes les fois où les condamnations antérieures auraient une importance. Ainsi, la chambre criminelle a jugé que constitue une condamnation prononcée par la juridiction pénale d’un État membre de l’Union européenne, et est prise en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises, en produisant les mêmes effets juridiques que ces condamnations, au sens de l’article 132-23-1 du code pénal, celle prononcée par un pays qui faisait partie de l’Union européenne lors de ce prononcé, y compris lorsque ce pays a quitté cette Union depuis.

En somme, le Brexit est sans conséquence sur les condamnations prononcées avant la sortie de l’Union européenne. Cette décision met en exergue le rôle essentiel de la Cour de cassation dans la gestion des effets du Brexit sur le droit interne. Elle témoigne également d’un souci de cohérence et d’uniformité et s’inscrit dans les mêmes objectifs que ceux énoncés dans l’arrêt du 26 janvier 2021 (Crim. 26 janv. 2021, n° 21-80.329, Dalloz actualité, 19 févr. 2021, obs. M. Recotillet), à l’occasion duquel les juges avaient considéré que le mandat d’arrêt européen pouvait s’appliquer au-delà de la période transitoire de sortie de l’Union européenne. À l’instar de cette même décision du 26 janvier 2021, la Haute cour a de nouveau joué son rôle de filtre, estimant qu’il n’était pas nécessaire de soumettre la problématique à la Cour de justice de l’Union européenne via une question préjudicielle, dès lors que « l’application du droit de l’Union dans la présente affaire s’imposant avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ».