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Bygmalion ou le jeu du mistigri et des allusions

Depuis trois semaines, le tribunal tente de comprendre qui a mis en place le système de fausses factures, et quand, pour masquer le dépassement des dépenses de campagne du candidat Sarkozy en 2012. Avec des prévenus qui n’ont rien vu, la compréhension est limitée.

par Pierre-Antoine Souchardle 11 juin 2021

Mi-ni-mi-ser. Tel semble être le mantra de chaque prévenu au procès des comptes de campagne de la présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012. Tous ont pris place dans le « train fou », décrit par le directeur adjoint de la campagne, Jérôme Lavrilleux. Mais, à les entendre, aucun n’a eu la moindre connaissance du système de fausse facturation mis en place pour masquer le dépassement de plus de 20 millions d’euros du plafond légal.

Ainsi, Guillaume Lambert, le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, premier à ouvrir le bal lors de la troisième semaine du procès. Ancien commissaire de marine, il est habitué au tangage. Après onze années dans la Royale, il a rejoint la préfectorale avant d’être nommé chef de cabinet adjoint de Nicolas Sarkozy à la présidence puis chef de cabinet. Lorsque le président lui demande d’assurer les fonctions de directeur de sa campagne, il exprime des « réserves ». Il n’a pas le profil d’un politique. Mais, c’est un homme de devoir et d’obéissance.

Cela lui vaut aujourd’hui d’être poursuivi pour usage de faux, abus de confiance, recel de délit et complicité de financement illégal de campagne électorale en dissimulant via de fausses factures le dépassement des dépenses électorales, 42,8 millions d’euros, soit près du double du plafond légal, 22,5 millions.

Posé sur le pupitre, un épais classeur, avec des côtes du dossier, des notes. Sa boussole de marin, en quelque sorte. Directeur de campagne, c’est un « rôle de coordination », dit-il. Cela consiste à « articuler les exigences du chef de l’État avec son activité de campagne ». M. Lambert délimite son périmètre d’action.

Ce n’est pas lui qui a choisi la société Event & Cie, la filiale de Bygmalion. Ce choix appartient à l’UMP, aujourd’hui Les Républicains, avec laquelle elle travaillait. Et à Jérôme Lavrilleux, « l’ombre portée » de Jean-François Copé, assène-t-il. Il assure que ce prestataire a été imposé à l’équipe de campagne sinon le parti ne se serait pas rangé derrière le candidat Sarkozy. « Une sorte d’ultimatum », qui laisse le tribunal, présidé par Caroline Viguier, dubitatif.

Mise en garde

Si la logistique n’était pas son domaine, le financement non plus. Rôle dévolu au président de l’Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS) et aux experts-comptables. « Le directeur de campagne n’est pas en charge de l’aspect financier », assène M. Lambert. Toutefois, l’une de ses priorités était de ne pas dépasser le plafond autorisé des dépenses de campagne. Après les meetings d’Annecy et Marseille, les 16 et 19 février, il s’inquiète des coûts prévisionnels de ces raouts publics. Il demande à Franck Attal, le patron d’Event, de réduire les dépenses. « On a un plafond à respecter, on ne peut pas faire n’importe quoi », martèle-t-il.

Le 7 mars, l’expert-comptable Pierre Godet, met en garde les responsables de la campagne sur le dépassement du budget autorisé. M. Lambert demande « des réductions drastiques ». Sa ligne de défense est simple. Il a donné des consignes, elles n’ont pas été respectées. « Le problème, ce n’est pas Lambert, c’est qu’ils ne tiennent pas compte de ce que je dis », s’époumone-t-il.

« J’en ai parlé au président dès le 8 mars. Il m’a dit “Guillaume, il faut ajouter que des petits meetings. Comme ça, c’est parfait. On ne peut pas faire autrement” », poursuit Guillaume Lambert. Des petits meetings, à l’image de celui tenu le même jour salle de L’Embarcadère à Saint-Just-Saint-Rambert, petite commune de la Loire. Saint-Just-Saint-Rambert, c’est le meeting étalon de M. Lambert. Un coût déclaré dans les comptes de campagne de 75 000 €. En fait, un coût réel 295 000 €, dont une partie a été réglée par l’UMP sous le libellé de fausses conventions.

« La campagne, c’est Nicolas Sarkozy qui la dirigeait, où qu’il soit », assure M. Lambert. Elle part sur un rythme d’enfer. Avec des meetings n’ayant rien à voir avec ceux de Saint-Just-Saint-Rambert. Du système de fausses factures, il ne sait rien. « J’en suis totalement ignorant. Pour moi, l’intégralité des dépenses est comptabilisée. À aucun moment, on me dit qu’il y a des dépenses non affichées », se défend-il.

Appelé à la barre, M. Lavrilleux s’étonne : « Je ne sais pas quoi répondre. Je trouve cela hallucinant. M. Lambert est censé faire des économies, il nous demande des meetings supplémentaires. Tout est à l’encan. À la fin, on arrive à la fiction des meetings à 75 000 €. »

Réponse de l’intéressé : « Je n’ai, à aucun moment, l’information qu’il y a un système frauduleux. La personne qui était avant moi à la barre ne m’en a pas parlé. » La fausse facturation s’est faite « dans [son] dos ». Pour un commissaire de marine, se laisser ainsi mener en bateau relève de l’exploit.

Pourtant, le flot roulant des questions de la présidente, du parquet et des avocats de la défense, glisse sur ce prévenu déperlant. Après six heures d’interrogatoire, Guillaume Lambert a maintenu son cap, celui de l’ignorance.

L’homme au parcours exemplaire

« Avoir accepté cette mission est un des plus grands regrets de ma vie », lâche Philippe Briand, l’ex-président de l’AFCNS. « Mon rôle était de payer les factures du candidat, pas de les ordonner ou de les contrôler », explique au tribunal cet ancien député, ancien questeur de l’Assemblée nationale et maire de Saint-Cyr-sur-Loire et prévenu des mêmes chefs que M. Lambert.

Ce fidèle chiraquien a refusé deux fois le poste, avant de l’accepter à la demande insistante de Brice Hortefeux, « parce qu’il fallait réunir toute la famille politique ». Quelques semaines plus tôt, son épouse est décédée. Il a demandé à disposer de son mercredi pour s’occuper de ses trois enfants.

Son rôle « était de payer les factures du candidat, pas de les ordonner ou de les contrôler ». Il n’a rien su ni vu des fausses factures. S’il avait soupçonné la moindre irrégularité, il aurait saisi la justice. « À aucun moment, je n’ai pu suspecter qu’il ait pu y avoir une dissimulation. Je n’ai pas eu d’inquiétude. » Il signait les factures, persuadé que tout était en règle puisque des comptables les vérifiaient.

Le « témoin un peu particulier »

L’audition comme témoin de Jean-François Copé, l’ancien secrétaire général de l’UMP, devait être le point d’orgue de la troisième semaine d’audience. Le maire de Meaux, qui a remisé au vestiaire ses ambitions nationales en 2014 après sa démission lorsque le scandale a éclaté, n’a rien perdu de son mordant. Ni du sens de la formule. Un one-man-show réglé au millimètre.

À l’issue de l’instruction, M. Copé a bénéficié d’un non-lieu, le juge d’instruction estimant qu’il n’était pas informé du système frauduleux mis en place. Ce qu’une partie des prévenus n’a jamais digéré. Leurs avocats promettaient de dévoiler sa duplicité pour atténuer la responsabilité pénale de leurs clients. Depuis des semaines, ils affûtaient leurs questions comme des hussards leur sabre. Leurs grandes espérances se sont transformées en illusions perdues.

Aussi à l’aise à la barre du tribunal qu’à une convention de l’UMP, M. Copé se cantonne à une ligne simple. Il a été « tenu à l’écart ». C’est la constante de ce procès, personne ne sait rien. En mai 2014, Libération révèle l’affaire. Il tombe des nues. « Je ne pouvais pas m’imaginer que l’équipe qui m’entourait ne pouvait pas me dire la vérité. Un cercle de confiance, c’est un cercle de vulnérabilité », confesse-t-il. Il appelle donc Franck Attal qui lui dévoile le pot aux roses. Et trois jours plus tard, Jérôme Lavrilleux.

« Si j’avais su, à la minute, j’aurais demandé d’arrêter cette folie et je serais allé voir Nicolas Sarkozy pour lui dire que je ne l’acceptais pas. » Ce qui sous-entend, en creux, que le président candidat ne pouvait pas ne pas savoir.

Sur la campagne de 2012, « les choses étaient claires », assure-t-il. « Il y avait deux couloirs parallèles, celui du parti et celui de l’équipe de campagne. » Le parti se met « à la disposition du candidat » pour le faire gagner. C’est « en quelque sorte un transfert de responsabilité à l’équipe de campagne ».

« Il faut bien comprendre que je ne me suis jamais occupé du choix des prestations, du choix des meetings, des devis. Cette compétence appartenait au trésorier. En prenant mes fonctions, je n’ai rien modifié des procédures qui existaient avant mon arrivée », poursuit-il.

Tous, présidente du tribunal, procureurs et avocats des prévenus, ont tenté de le faire trébucher. Notamment sur le prêt de 55 millions d’euros qu’il a contracté quelques mois après la présidentielle. S’il a signé cet emprunt, c’est « sur la base d’un argumentaire charpenté » du directeur général et de la direction financière du parti. « J’assume de ne pas avoir regardé le détail. Je n’avais pas de raisons de le faire, je n’avais pas d’alerte », élude-t-il à propos des annexes qui évoquent plus de vingt millions de conventions, pour la plupart fictives.

Tous s’étonnent qu’il n’ait pas non plus demandé à Jérôme Lavrilleux qui avait organisé ce système de fausses factures. « Il me dit “des responsables de l’UMP et de l’équipe de campagne”. » Il ne cherche pas à savoir qui a pris cette décision. « Je crois savoir que c’est un sujet qui occupe vos débats depuis le début. Il m’a donné un éclairage, je ne suis pas allé plus loin, ce n’est pas mon métier. J’ai considéré que c’était à la justice de faire son métier. »

« Dans le cadre de ce procès, on essaye de comprendre ce qui s’est passé. Je ne sais si on y arrivera », a regretté l’un des deux procureurs lors de l’audition de M. Copé.

Au service de l’événementiel

Adiba Regragui, 43 ans, est responsable de l’événementiel chez Les Républicains. Elle est citée vendredi comme témoin à la demande de Guillaume Lambert. Elle aurait aimé être ailleurs plutôt qu’à la barre de ce tribunal. « Vivement que ça passe », souffle-t-elle en guise de préambule. Elle sanglotera à plusieurs reprises pendant son audition.

Elle est entrée en 2003 à l’UMP pour devenir responsable de l’événementiel. En 2007, elle s’occupe de la quarantaine de meetings du candidat Sarkozy. « On était tout le temps sur le terrain, on gérait de A à Z toutes les réunions publiques. Tout ça avec devis, factures », explique-t-elle. Avant même la campagne, les prestataires ont été choisis, les coûts budgétés, avec marge de négociation.

En 2012, la donne a changé. « C’était très difficile. J’avais toujours mon titre, mais je n’avais plus vraiment mes fonctions de chef du service événementiel. J’avais été gentiment écartée au profit de Bygmalion qui s’occupait de tous les événements à l’UMP. » À la présidente, qui lui demande comment elle s’est retrouvée sur la touche, elle répond ne pas vouloir répondre. Le sujet est encore trop douloureux. Durant la campagne de 2012, elle s’occupe juste des prises de paroles du candidat dans des entreprises, ou autres, avant les meetings.

Elle relate que Pierre Chassat, directeur de la communication de l’UMP et directeur adjoint de cabinet de Jean-François Copé, a voulu lui faire signer des devis et factures de prestations réalisées durant la campagne. Prestations qu’elle n’avait pas commandées. Au vu des montants, elle a tiqué. « Ce n’était pas convenable de me demander ce genre de choses. J’étais tellement interloquée qu’il était hors de questions que je signe. Je sais ce que ça représente une signature. »

La semaine dernière, M. Chassat a assuré qu’il n’avait aucun pouvoir décisionnaire, tout comme Éric Cesari, le directeur général de l’UMP. Mme Regragui a un autre avis. « Pour moi, il est directeur général de l’UMP. Quand vous voyez toutes les procédures mises en place où rien ne se fait sans sa signature. Pour moi, quand on signe, on est au courant ». Fermez le ban.

 

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