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Les cabinets comptables accusés de conflit d’intérêts fiscal

Instaurée après l’affaire des Panama Papers, une commission d’enquête du Parlement européen veut revoir la règlementation des cabinets comptables. Elle estime que ces structures sont, en matière fiscale, juges et parties, et que leur activité mondiale n’est pas suffisamment contrôlée.

par Ludovic Arbeletle 27 octobre 2017

« Les preuves fournies par TRACFIN [montrent] que les banques, les cabinets d’avocats, les comptables et autres intermédiaires sont les principaux architectes qui conçoivent les structures et les réseaux offshore pour leurs clients, la société Mossack Fonseca n’étant pour l’essentiel qu’un prestataire de services chargé de les mettre en œuvre ». Cette affirmation a été adoptée par la commission Pana du Parlement européen chargée d’enquêter sur le blanchiment de capitaux, l’évasion fiscale et la fraude fiscale.

Instaurée en 2016 après la révélation de l’affaire des Panama Papers, cette commission a rendu sa copie la semaine dernière – à noter que le courrier adressé par TRACFIN ne cite pas explicitement les cabinets comptables mais évoque comme principaux architectes les banques privées, les Family Offices, les cabinets d’avocat et les sociétés de conseil fiduciaire (voir pièce jointe). Cette commission a même rendu deux copies – un rapport et une recommandation – qui indiquent la tournure politique que prend cette affaire.

Juges et parties ?

Parmi les nombreuses dispositions adoptées, certaines concernent directement les cabinets comptables et/ou d’audit. Plusieurs reviennent à les accuser d’être juges et parties. La commission Pana relève ainsi « la promiscuité et les conflits d’intérêts affectant les auditeurs et les consultants, les avocats et les cabinets d’avocats qui exercent souvent la fonction de conseillers des services de l’État pour élaborer la législation fiscale, concevoir des outils de LBC [lutte contre le blanchiment de capitaux] et même mener des enquêtes et des contrôles pour les organismes de régulation tout en offrant ou en ayant offert leurs services aux entités réglementées », souligne le rapport.

Études pour la commission européenne

Ce sujet existe aussi au niveau de l’Union européenne. En matière de fiscalité, nous avons répertorié plusieurs rapports élaborés par un grand cabinet d’audit pour la commission européenne même si cette dernière souligne systématiquement que les opinions émises dans ces études ne reflètent pas nécessairement la sienne. Ainsi, Dieter Endres et Alexandra Bartholmeß ont participé à une étude remise en octobre 2015 (voir pièce jointe) sur les taux d’imposition effectifs dans l’Union européenne élargie alors qu’ils travaillaient pour PwC.

Un an plus tôt, le cabinet était critiqué pour son rôle dans l’affaire des Luxleaks. Ce même cabinet a piloté une étude publiée en 2017 par l’exécutif européen sur l’efficacité de certaines incitations fiscales à destination des PME et des start-ups. Deloitte et EY ont également réalisé des études en matière de fiscalité destinées à la commission européenne (voir la liste).

Régulation insuffisante

Pour la commission Pana, la régulation des grands cabinets d’audit est insuffisante. « En raison de leur caractère multinational, les services proposés par ces intermédiaires [banques, auditeurs, conseillers fiscaux, etc.] sont extrêmement difficiles à contrôler et à sanctionner de manière appropriée ». En matière de contrôle légal des comptes, c’est ce qu’exprimait Lewis Ferguson en 2015, à l’époque président de l’International Forum Of Independent Audit Regulators (IFIAR). « Les grands réseaux mondiaux d’audit sont difficiles à superviser car aucun régulateur individuel n’a la supervision du réseau entier des cabinets qui y sont affiliés et parce que de multiples cabinets d’audit à travers le monde peuvent être impliqués dans un seul audit », argumentait-il.

Demande d’une révision de la directive audit

Mais cette commission d’enquête soulève aussi des questions qui concernent les autres cabinets d’audit, y compris les plus petits. Elle demande à revoir la directive de 2014 sur l’audit légal des comptes dans l’objectif de mettre en place des règles plus strictes. Elle souhaite ainsi que les auditeurs qui ne contrôlent pas les entités d’intérêts publics soient soumis, au niveau européen donc, à une rotation tous les sept ans – « pour prévenir des conflits d’intérêts » – et à une limitation de la fourniture de services non audit. Est-ce à dire que l’on se dirige déjà vers une nouvelle réforme de l’audit en Europe ? La réponse se trouve notamment entre les mains de l’ensemble du Parlement européen. Il devra décider en décembre, en séance plénière donc, du sort de ces textes non contraignants au plan juridique. Seulement trois ans après que l’actuelle réforme de l’audit ait été bouclée.