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Caducité de l’opposition à mariage : où le temps ne suspend pas son vol…

La Cour de cassation approuve une cour d’appel d’avoir constaté la caducité d’une opposition à mariage nonobstant l’appel formé contre le jugement ayant prononcé la mainlevée de celle-ci.

par Laurence Gareil-Sutterle 31 juillet 2019

L’arrêt de cassation partielle rendu par la première chambre civile le 11 juillet 2019 mérite déjà l’attention en ce qu’il intervient dans une matière, l’opposition à mariage, sur laquelle la Cour de cassation est assez peu sollicitée de nos jours, en dehors des hypothèses de mariages blancs (en ce sens, J.-J. Lemouland, in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, § 113.52). Son intérêt réside également dans l’application stricte de la caducité prévue par l’article 176 du code civil, dans des circonstances quelque peu déroutantes.

En l’espèce, M. T. projette de se marier en France le 6 octobre 2013. Mme N., avec laquelle il s’était marié précédemment, forme opposition le 25 septembre 2013. Elle soutient essentiellement que le divorce entrepris entre les époux au Congo est toujours en cours : le mariage projeté par M. T. rendrait ainsi celui-ci bigame. Le 15 novembre 2013, M. T. assigne Mme N. en mainlevée de l’opposition et en versement de dommages-intérêts. On ignore quand le tribunal de grande instance s’est prononcé mais il ressort de l’arrêt qu’il a ordonné la mainlevée et a accueilli la demande de dommages-intérêts. Mme N. a fait appel. Même si le grief formulé par le pourvoi est ambigu, on comprend que la cour d’appel a constaté, le 19 février 2015, la caducité de l’opposition et a confirmé la condamnation à des dommages-intérêts. La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt.

Nous ne nous attarderons pas sur la question des dommages et intérêts qui a valu la cassation à l’arrêt d’appel. Pour condamner Mme N. au paiement de dommages-intérêts à M. T., la cour d’appel a retenu que l’opposition à mariage n’étant pas fondée, elle présentait un caractère fautif de nature à engager la responsabilité de son auteur. La cassation était inévitable. Certes, l’article 179 du code civil prévoit que « Si l’opposition est rejetée, les opposants […] pourront être condamnés à des dommages-intérêts » mais, même si on laisse de côté le fait que, en l’espèce, l’opposition n’avait pas été rejetée mais déclarée caduque, l’emploi du verbe pouvoir montre bien que la condamnation n’est nullement automatique. Il est même traditionnellement admis que, pour qu’une telle condamnation intervienne, il faut que soient réunies les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile (v. en ce sens, J.-J. Lemouland, in P. Murat (dir.), Droit de la famille, op. cit., § 113.107). Il faut donc, avant tout, qu’il y ait une faute et celle-ci ne peut découler de l’usage d’un droit mais seulement de l’abus de celui-ci (en ce sens, Rép. civ., Abus de droit, par L. Cadiet et P. Letourneau, spéc. §§ 130 et 131), ce que la cour d’appel n’avait pas relevé en l’espèce. L’arrêt n’étonne donc pas sur ce point. Il est plus déroutant sur d’autres aspects.

C’est sur la question de la mise en œuvre de la caducité de l’opposition et de ses conséquences concrètes que l’arrêt dérange. Nous allons voir en effet comment une combinaison cohérente de textes peut malgré tout aboutir à une situation concrètement et juridiquement insatisfaisante.

Reprenons les textes relatifs à l’opposition à mariage, acte qui, rappelons-le, oblige l’officier de l’état civil à surseoir à la célébration. Le premier de ces textes, l’article 172 du code civil, est celui applicable aux faits de l’espèce puisqu’il prévoit que : « Le droit de former opposition à la célébration du mariage appartient à la personne engagée par mariage avec l’une des deux parties contractantes ». C’est bien ce que soutenait Mme N. puisqu’elle prétendait que son divorce avec M. T. n’était pas définitif et qu’elle était donc toujours mariée avec lui. Le droit d’opposition a ici pour but de prévenir une situation de bigamie. Précisons immédiatement que l’article 176 du code civil prévoit quant à lui que, sauf dans l’hypothèse où elle est formée par le ministère public, l’acte d’opposition « cesse de produire effet » après « une année révolue » mais qu’il peut toutefois en principe être renouvelé.

En réponse à une telle opposition, l’un des futurs époux peut demander la mainlevée de l’opposition en vertu de l’article 177 du code civil, ce qu’a fait M. T. environ deux mois après l’opposition. Ce même article prévoit que le tribunal de grande instance (et seulement lui, la saisine du juge des référés ayant été exclue par la jurisprudence, Paris, 23 avr. 2003, D. 2003. 2716, note J.-J. Lemouland ) se prononcera « dans les dix jours sur la demande en mainlevée » et l’article suivant énonce que « s’il y a appel, il y sera statué dans les dix jours » (C. civ., art. 178). Il en résulte que les juges doivent en principe (les délais ne sont assortis d’aucune sanction en cas de non-respect… ; en ce sens, Rép. civ., Mariage, par J.-J. Lemouland, § 554 ; P. Courbe et A. Gouttenoire, Droit de la famille, Sirey, coll. « Université », 7e éd., § 213) se prononcer sur le bien-fondé ou non de l’opposition sous une vingtaine de jours à compter de la demande de mainlevée. Ainsi, à lire le code civil, sauf en cas de demande de mainlevée de l’opposition très tardive, les juges de la cour d’appel devraient s’être prononcés sur la mainlevée de l’opposition (et donc sur le bien-fondé de cette dernière) bien avant que la question de la caducité de ladite opposition ne se pose.

Or on voit bien ici qu’il n’en est rien. En l’espèce, le tribunal de grande instance s’est peut-être prononcé avant l’écoulement du délai d’un an – puisqu’il a ordonné la mainlevée de l’opposition – mais la cour d’appel, elle, s’est prononcée dix-huit mois après l’opposition, ce qui lui a permis de se « contenter » de constater la caducité de l’opposition qui n’avait pas été renouvelée. La Cour de cassation l’a pleinement approuvée.

On en déduit que la procédure relative à la demande de mainlevée est sans effet sur l’écoulement du délai de caducité de l’opposition elle-même. Juridiquement, la solution repose sur plusieurs éléments cohérents. D’une part, aucun texte particulier n’évoque une suspension de l’écoulement du temps qui découlerait de l’introduction d’une demande de mainlevée. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait qu’une telle demande est la « réponse normale » à l’opposition et que cette réponse est censée aboutir rapidement à l’analyse du bien-fondé de l’opposition par les juges ; ce qui nous amène à l’argument suivant. D’autre part, comme nous l’avons rappelé, si les délais prévus par les textes sont respectés, les juges doivent en principe se prononcer bien avant le délai de caducité d’un an et leur décision produira ses propres effets à savoir l’interdiction ou l’autorisation de la célébration du mariage ce qui mettra fin à l’utilité de l’acte d’opposition lui-même. Enfin, dernier argument mais pas des moindres, le code civil prévoit que l’opposition peut être renouvelée, ce qui, non seulement montre une certaine autonomie de l’opposition vis-à-vis de la demande de mainlevée, mais doit également permettre à l’opposant de maintenir celle-ci tant que les juges n’ont pas statué. On le voit bien ici. Devant la durée, anormale au regard des textes, de la procédure de mainlevée, Mme N. aurait pu – et dû donc – renouveler son opposition pour échapper à la caducité. Ainsi, la Cour de cassation ne pouvait qu’approuver la cour d’appel d’avoir appliqué l’article 176 du code civil puisque celle-ci statuait dix-huit mois après la signification de l’opposition.

Il reste quand même un sentiment d’insatisfaction. Il est ici question de liberté du mariage et de bigamie, deux éléments importants de notre Droit. Or on constate que, malgré des textes cohérents, on pourrait aboutir à un mariage retardé de plusieurs mois et bigame… En effet, on comprend à la lecture des faits que la situation entre Mme N. et M. T. n’est pas des plus claires puisque la cour d’appel elle-même envisage successivement que Mme N. n’ait peut-être pas fait appel du jugement de divorce puis que cet appel ait pu exister mais être tardif et enfin se fonde sur la potentielle contrariété du droit congolais à l’ordre public international français pour déduire que l’opposition était donc (sans doute ?) mal fondée. Et si tel n’était pas le cas ? On se retrouverait donc avec une opposition qui peut retarder le mariage d’un an (ce qui est assez long et donc très probablement contraire à l’esprit des textes et au principe de liberté du mariage), faute pour les juges de statuer dans les délais impartis sur la demande de mainlevée, demande qui, bien ou mal fondée, ne sera finalement pas examinée pour cause de caducité de l’opposition non renouvelée. Si le mariage est enfin célébré, il n’y aura plus qu’à engager, selon le motif de l’opposition, une procédure pour le voir annulé (pour bigamie ici mais cela vaut pour d’autres hypothèses d’opposition). Tout ça pour ça.

On ne peut donc que conseiller à toute personne qui forme opposition de bien veiller à la renouveler si elle voit que la procédure de mainlevée s’éternise. Surtout, il convient d’attirer l’attention des juridictions du fond, dont on a conscience qu’elles sont débordées, sur l’enjeu de telles procédures dont la durée réelle pourrait faire réagir la Cour européenne des droits de l’homme…