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Caméras « piétons » : parlez, vous êtes filmés !

L’état d’ébriété des personnes filmées peut constituer une des circonstances interdisant, au sens de l’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure, les forces de l’ordre de les aviser de l’enclenchement de leurs caméras « piétons ». Par ailleurs, les questions relatives aux faits posées dans le même temps par les forces de l’ordre ne permettent pas nécessairement de caractériser un procédé déloyal. 

À la suite d’une phase d’expérimentation, une loi de 2016 (Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 […] améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, JO 4 juin) a généralisé et encadré la possibilité pour les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie de procéder au moyen de caméras individuelles à un enregistrement audiovisuel des interventions auxquelles ils procèdent, autrement dit d’utiliser des caméras « piétons ». Une loi de 2018 a fait de même pour les agents de police municipale (Loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, JO 5 août). L’arrêt qui retient notre attention est le premier dans lequel la Cour de cassation apporte des réponses à certaines difficultés pratiques que peut occasionner le recours à ce type de caméra.

En l’espèce, un individu a requis les militaires de la gendarmerie d’intervenir à son domicile, car il venait de commettre des violences à l’encontre d’un inconnu qui s’était introduit chez lui. En arrivant sur les lieux, les militaires ont enclenché les caméras individuelles dont ils étaient équipés.

Sur place, les gendarmes ont découvert l’homme les ayant appelés et son frère, tous deux fortement alcoolisés et agités, ainsi qu’une personne gisant dans son sang. Ils ont posé de nombreuses questions aux protagonistes afin de comprendre la situation et identifier la personne blessée.

La victime s’avérait être un troisième frère et est décédée quelques heures après à cause de ses blessures. Les intéressés ont en conséquence été mis en examen du chef de meurtre.

Le frère qui n’avait pas requis les militaires de la gendarmerie a déposé une requête en nullité dans laquelle il a relevé que ces derniers lui avaient posé diverses questions alors qu’ils étaient en train de le filmer par le biais de leurs caméras individuelles, et ce sans l’avoir au préalable informé de l’enclenchement desdites caméras et de son droit de se taire. Il a soutenu que les militaires avaient ainsi violé l’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure et le principe de loyauté des preuves.

La chambre de l’instruction saisie a rejeté ce moyen et le mis en examen s’est pourvu en cassation. La Cour régulatrice était alors amenée à trancher deux questions.

L’état d’ébriété : une circonstance interdisant l’information de l’enclenchement des caméras « piétons »

En premier lieu, la Cour devait s’interroger sur les cas dans lesquels les forces de l’ordre n’ont pas à informer les personnes filmées de l’enclenchement de leurs caméras « piétons ».

Le quatrième alinéa de l’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure dispose notamment que : « Le déclenchement de l’enregistrement [audiovisuel] fait l’objet d’une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l’interdisent. » À cet égard, les juges du fond avaient considéré que les circonstances, à savoir essentiellement l’état d’ébriété du requérant engendrant chez lui un état confus et vindicatif, avaient « rendu impossible, pour des raisons matérielles, indépendantes des motifs de l’intervention, l’information des personnes filmées, lors du déclenchement de l’enregistrement ».

La Cour de cassation devait donc, plus précisément, se demander si l’état d’ébriété des personnes filmées peut constituer une des circonstances interdisant de les aviser du déclenchement de l’enregistrement. Elle a répondu par l’affirmative, au motif que « cet état ne leur permet pas de comprendre la portée de l’information donnée ».

Au soutien de son pourvoi, le mis en cause a développé l’idée que les « circonstances » de l’article L. 241-1 précité « recouvrent les seuls cas où [l’information des intéressés] est rendue impossible pour des raisons purement matérielles et indépendantes des motifs de l’intervention » ; et qu’en l’espèce, son état d’ébriété n’avait « aucunement empêché les services d’enquête intervenant de [lui] poser des questions […] et d’en retranscrire les réponses », et partant n’avait pas constitué « une circonstance rendant matériellement impossible la communication de l’information requise ».

Pour retenir cette interprétation, le requérant s’est probablement...

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