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Cartel des obligations SSA : le Tribunal de l’Union confirme la qualification d’entente ayant un objet anticoncurrentiel et le mode particulier d’établissement des amendes

Le tribunal valide quasi intégralement la décision de la Commission européenne ayant constaté l’existence d’un cartel prenant principalement la forme de conversations électroniques entre des traders de banques concurrentes actifs sur un même marché financier. L’affaire s’inscrit dans les évolutions récentes qui facilitent l’usage de la qualification d’objet anticoncurrentiel par la Commission. Elle illustre également la manière dont les méthodes classiques du droit de la concurrence doivent être adaptées aux spécificités des marchés financiers.

L’affaire concernait une entente intervenue entre de nombreuses banques actives sur le marché des OSSA : des titres obligataires d’émetteurs publics ou parapublics, libellés en dollars. Entre le 19 janvier 2010 et le 24 mars 2015, les traders de différentes banques actives sur le marché dérivé de ces titres ont communiqué sur leurs activités, principalement par le biais de forums internet et accessoirement par des échanges téléphoniques. La direction de la Deutsche Bank s’en étant rendu compte, elle a d’abord interdit à ses traders l’utilisation de forums permanents d’échanges. S’apercevant que ses traders ont néanmoins poursuivi des échanges anticoncurrentiels sur des forums non permanents ou par téléphone, la banque a dénoncé auprès de la Commission l’existence de l’infraction en échange d’une immunité. Indépendamment même de l’arrêt rendu par le tribunal, l’affaire offre ainsi un rappel utile de l’indifférence du droit de la concurrence au comportement effectif de la direction dans la mise en œuvre de l’infraction (TPICE, 8 juill. 2008, BPB c/ Commission, aff. T-53/03, pt 360, RTD eur. 2009. 775, chron. J.-B. Blaise ) et de l’importance d’une politique efficace de compliance.

Sur la base de cette dénonciation, la Commission disposait de preuves documentaires qui lui ont permis de prouver facilement l’existence d’une entente. Les extraits de discussions sur les forums mettaient en évidence l’existence de comportements d’entente sur les prix, de répartition de marchés et de clientèle et d’échanges d’informations sensibles sur les stratégies d’investissement poursuivies par chaque banque. Par une décision du 28 avril 2021, la Commission infligeait une amende de 12,6 millions d’euros à Bank of America, de 11,9 millions d’euros au Crédit Suisse et de 3,9 millions d’euros au Crédit agricole. Ces deux dernières banques ont formé un recours en annulation contre la décision. Le recours est presque intégralement rejeté par le tribunal, celui-ci se bornant à réduire d’une journée la durée de participation du Crédit agricole à l’infraction, élément qui est sans incidence sur le montant de l’amende qui lui est infligé.

Parmi les nombreuses contestations dont était saisi le tribunal, trois d’entre elles retiendront notre attention.

La simple participation passive à une conversation virtuelle anticoncurrentielle vaut participation à une entente

D’abord, le Crédit agricole arguait d’une violation de la présomption d’innocence du fait que son trader n’avait pas contribué au forum de discussion sur une part importante de la période retenue. Selon la banque, le simple fait d’avoir accès à un forum où se déroulaient des conversations anticoncurrentielles ne devait pas permettre de présumer une participation à cette pratique.

La question était intéressante puisqu’elle était au croisement de deux jurisprudences contraires. D’une part, il est classiquement considéré que la participation à une réunion anticoncurrentielle permet de présumer l’adhésion à l’entente, sauf à prouver une distanciation expresse et publique de l’entreprise (CJCE 7 janv. 2004, Aalborg Portland e.a. c/ Commission, aff. C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, pts 81-84, Rev. UE 2015. 353, étude M. Mezaguer ). D’autre part, la Cour avait jugé que le principe de présomption d’innocence s’opposait à ce que le simple envoi d’un e-mail permette de présumer...

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