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Carton jaune pour la Commission européenne en matière d’aides d’État

Le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission européenne qualifiant d’aide d’État le régime fiscal dont bénéficient quatre clubs de football professionnel espagnols.

par Léo Marronnierle 12 mars 2019

Une loi espagnole du 15 octobre 1990 (Ley 10/1990 del Deporte) a obligé tous les clubs sportifs professionnels espagnols de se transformer en société anonyme sportive (SAS). L’objectif de ce texte était d’encourager une gestion plus responsable de l’activité des clubs en adaptant leur forme juridique. Une exception était cependant prévue en faveur des clubs sportifs professionnels ayant réalisé un résultat financier positif lors des exercices précédant l’adoption de la loi. Quatre clubs – le Fútbol Club Barcelona (Barcelone), le Club Atlético Osasuna (Pampelune), l’Athletic Club (Bilbao) et le Real Madrid Club de Fútbol (Madrid) – ont exercé cette option. Ainsi, en tant que personnes morales sans but lucratif, et à la différence des SAS, elles ont pu bénéficier d’un taux spécifique d’imposition de leurs revenus, demeuré inférieur, jusqu’en 2016, au taux applicable aux SAS.

Par sa décision (UE) 2016/2391 du 4 juillet 2016, la Commission européenne a considéré que l’Espagne avait ainsi introduit illégalement une aide sous la forme d’un privilège fiscal en matière d’impôt sur les sociétés au profit de ces quatre clubs de football professionnel. Elle a donc enjoint à l’Espagne d’y mettre fin et de récupérer de manière immédiate et effective, auprès des bénéficiaires, le montant de l’aide accordée.

L’Athletic club de Bilbao et le FC Barcelone ont alors exercé un recours devant le Tribunal de l’Union visant à l’annulation partielle ou totale de la décision de la Commission européenne. Le résultat est contrasté. Si le recours du club basque est rejeté (aff. T-679/16) celui du club catalan est, en revanche, accueilli (aff. T-865/16), puisque le Tribunal annule la décision de la Commission prise à son encontre.

Le premier moyen invoqué par le FC Barcelone est tiré d’une violation de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif à la liberté d’établissement. Le requérant soutenait que la Commission aurait dû tenir compte de la contrariété de la loi du 15 octobre 1990, objet de la décision attaquée, avec l’article 49 du TFUE dans la mesure où cette loi impose indûment aux clubs sportifs professionnels de se transformer en SAS, restreignant ainsi la liberté d’établissement. Le Tribunal écarte cet argument au motif que la Commission n’est pas compétente, dans le cadre d’une procédure ouverte en matière d’aides d’État, pour conclure à l’existence d’une telle violation et en tirer les conséquences de droit qui s’imposent.

C’est le second moyen qui a permis au juge du Tribunal de l’Union d’annuler la décision de la Commission. Il est tiré d’une violation de l’article 107, § 1, du TFUE relatif aux aides d’État, en raison, d’une part, d’une erreur d’appréciation de la Commission quant à l’existence d’un avantage et, d’autre part, d’une violation du principe de bonne administration de la procédure.

Le requérant estimait, en effet, que la Commission avait procédé à une comparaison formelle des taux d’imposition applicables, respectivement, aux sociétés anonymes et aux entités à but non lucratif, sans examiner la portée des déductions fiscales, distinctes, auxquelles les unes et les autres auraient eu le droit. Aussi, elle n’aurait pas vérifié, à tort, si le taux effectif d’imposition était plus avantageux.

Le Tribunal de l’Union européenne rappelle d’abord que la notion d’aides d’État, selon une jurisprudence constante et telle que définie dans le Traité, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Sont alors considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marche (v. CJUE 16 avr. 2015, aff. C-690/13, Trapeza Eurobank Ergasias, Rev. UE 2017. 53, chron. L. Ayache et C. Michellet ). La notion d’aide comprend donc non seulement des prestations positives telles que des subventions mais également des interventions susceptibles d’alléger les charges qui pèsent sur les entreprises, comme un traitement fiscal avantageux qui ne comporte pas un transfert de ressources d’État (CJUE 15 mars 1994, aff. C-387/92, Banco Exterior de Espana, D. 1994. 92 ). Enfin, le Tribunal relève que l’examen d’un régime d’aides doit comporter celui de ses conséquences diverses, à la fois favorables et défavorables pour ses bénéficiaires, lorsque le caractère non équivoque du prétendu avantage résulte des caractéristiques mêmes du régime.

Le Tribunal a donc été amené à examiner si la Commission est bien parvenue à démontrer que le régime fiscal auquel sont soumises les entités concernées, pris dans son ensemble, était de nature à placer ses bénéficiaires dans une situation plus avantageuse que s’ils avaient dû opérer sous la forme d’une SAS.

En l’espèce, les quatre clubs bénéficiaires se sont vu appliquer, de 1990 à 2015, un taux nominal d’imposition préférentiel par rapport aux clubs opérant sous la forme de SAS. Néanmoins, l’examen de l’avantage qui en découle ne peut être dissocié de celui des autres composantes du régime fiscal des entités à but non lucratif. Or le Real Madrid, en tant que partie intéressée au cours de la procédure administrative, avait relevé que la déduction fiscale pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels était plus élevée pour les SAS que pour les entités à but non lucratif. Le Real Madrid avait fait valoir que cette déduction, du fait de la pratique des transferts de joueurs, pouvait être très importante et donc que le régime fiscal des entités à but non lucratif lui avait été « beaucoup plus défavorable » que le régime des SAS.

Cependant, la Commission européenne avait rejeté cet argument au motif que la preuve n’était pas apportée que ce système de déductions fiscales « soit, en principe et à long terme, plus avantageux ». Or, selon le Tribunal, la Commission, à qui incombait la charge de la preuve, aurait dû démontrer que le plafonnement des déductions fiscales à un niveau moins avantageux pour les quatre clubs en cause que pour les SAS ne venait pas compenser l’avantage lié au taux nominal d’imposition inférieur. D’autant plus que les chiffres sur lesquels elle s’était appuyée avaient trait à des données agrégées, tous secteurs et opérateurs confondus, et ne concernaient que quatre exercices, là où la période examinée courait de 1990 à 2015. Le Tribunal en conclut que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation des faits.

Toutefois, il convenait encore pour le Tribunal de l’Union européenne de vérifier si, malgré cette erreur, la Commission était en droit de s’appuyer sur les seules données fournies par l’Espagne pour conclure à l’existence d’un avantage. Selon le Tribunal, ces données auraient dû être mises en regard d’autres éléments de fait, à l’instar de ceux présentés par le Real Madrid quant à l’importance des déductions fiscales pour les clubs de football professionnel, liés à la pratique des transferts de joueurs. Ainsi, il est reproché à la Commission de n’avoir pas pleinement pris en compte les spécificités du secteur du football professionnel et de ne pas avoir examiné de manière suffisamment approfondie les conséquences avantageuses et désavantageuses résultant du régime fiscal d’exception auxquels les quatre clubs étaient soumis. Par conséquent, le Tribunal constate que la Commission européenne ne s’est pas acquittée, à suffisance de droit, de la charge de prouver que la mesure litigieuse conférait un avantage à ses bénéficiaires.

Cette erreur d’appréciation est sanctionnée par l’annulation complète de la décision du 4 juillet 2016. La loi espagnole du 15 octobre 1990 n’est donc pas une aide d’État.

Néanmoins, le bras de fer juridique entre Bruxelles et le football espagnol se poursuit dans deux autres dossiers. Ainsi, en juillet 2016, le Real Madrid avait tout d’abord été condamné à rembourser près de 20 millions d’euros à la capitale espagnole à la suite de la vente d’un terrain dont la Commission européenne avait jugé le prix surévalué. Ensuite, ce sont les trois clubs de Valence qui avaient été épinglés pour avoir vu leurs financements bancaires bénéficier de la garantie de la municipalité. La facture a atteint plus de 30 millions d’euros. Les appels effectués dans les deux cas par les clubs sont toujours en cours d’examen. Enfin, il convient de rappeler qu’un pourvoi, certes limité aux questions de droit, peut être formé devant la Cour de justice de l’Union européenne dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du Tribunal de l’Union.