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Casanova toujours…

Dans une affaire concernant le recours dirigé contre les délibérations d’un centre communal d’action sociale (CCAS) ayant accordé la protection fonctionnelle à la présidente et à la vice-présidente de ce centre dans le cadre des poursuites pour harcèlement moral engagées par le requérant, ancien directeur du même établissement. Requérant se prévalant, pour justifier de son intérêt pour agir, de sa qualité de contribuable communal, le Conseil d’État juge que dès lors que l’équilibre du budget du CCAS est assuré par une subvention du budget communal, la décision litigieuse, mettant à la charge du CCAS des dépenses supplémentaires, a par elle-même une incidence directe sur le budget communal, qui suffit à conférer à un requérant établissant sa qualité de contribuable communal un intérêt pour agir.

Voici quelques 125 ans, l’arrêt Casanova (CE 29 mars 1901, n° 94580, Casanova Canazzi, Lebon ; S. 1901. 3. 73, note M. Hauriou) créait la notion d’intérêt donnant qualité à agir par un recours pour excès de pouvoir, promise à une belle postérité. La commune d’Olmetto ayant adopté une délibération créant un poste de médecin communal, rémunéré sur le budget de la commune, les requérants, contribuables de cette commune, ont formé un recours pour excès de pouvoir contre cette décision. L’arrêt Casanova a posé le principe que le contribuable d’une collectivité territoriale peut, à ce seul titre, attaquer les délibérations ayant des répercussions sur les finances ou le patrimoine de cette collectivité. La décision du 20 décembre 2024 réaffirme cette solution dans une affaire où le conseil d’administration d’un centre communal d’action sociale avait accordé la protection fonctionnelle à sa présidente et à sa vice-présidente, poursuivies pour harcèlement moral par l’ancien directeur de ce même établissement public communal.

Cette position de principe, qui complète celle de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme, selon laquelle « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée », vaut pour le contribuable départemental (CE 27 janv. 1911, Richemond, n° 37889, Lebon 105, concl. J. Helbroner ; DP 1913. 3. 13), colonial (CE, sect., 24 juin 1932, Galandou Diouf, Lebon 626), régional (CE 15 avr. 1995, Mme Bigaud, n° 103195, Lebon ; RFDA 1996. 79, concl. H. Savoie ) et de Polynésie (CE 1er juin 2009, Kohumoetini et autres et Temarii, n° 324206, Lebon ; BJCL 11/2009. 669, concl. J. Boucher). En revanche, la seule qualité de contribuable de l’État ne donne pas un intérêt suffisant pour former un recours (CE 13 févr. 1930, Dufour, n° 2145, Lebon 176 ; DH 1930. 255). Cette solution est la plupart du temps expliquée par le refus du Conseil d’État de faire du recours pour excès de pouvoir une actio popularis. Elle s’explique aussi, et peut-être surtout, par l’incompétence du Conseil d’État à connaître du budget de l’État, œuvre du Parlement.

Qualité et intérêt du contribuable local

Le requérant doit, pour avoir intérêt à agir, invoquer une qualité, c’est-à-dire justifier de l’appartenance à une catégorie particulière, à un cercle d’intéressés suffisamment circonscrit : usager d’un service public, fonctionnaire, habitant, propriétaire foncier, électeur, sinistré, campeur… Pour justifier d’un intérêt donnant qualité pour intenter un recours pour excès de pouvoir, le justiciable doit établir que l’acte attaqué l’affecte dans des conditions suffisamment spéciales, certaines et directes (v. concl. J. Théry sur CE, sect., 28 mai 1971, Damasio, n° 78951, Lebon ). La qualité de contribuable local donne intérêt à contester toute mesure ayant pour conséquence d’alourdir le budget de la collectivité, donc les impôts. On sait désormais que le contribuable communal a intérêt, en cette qualité, à demander l’annulation non seulement d’une délibération du conseil municipal, mais encore d’une délibération d’un établissement public communal, en l’espèce le centre communal d’action sociale.

Le contribuable local est toujours atteint d’une manière spéciale, en tant qu’il appartient à un cercle d’intéressés circonscrit, d’une manière spéciale. Pour que sa requête soit recevable, il faut encore que la décision attaquée ait pour effet direct et certain d’accroître les dépenses locales. Le contribuable local ne saurait contester que des décisions ayant pour effet d’augmenter ses impôts ou d’influer sur la manière dont ils sont employés.

Le contribuable communal peut, par exemple, en cette qualité, agir contre une délibération décidant de faire exécuter des travaux de revêtement de certaines voies privées aux frais de la commune (CE 17 oct. 1980, Braesch, n° 17395, Lebon ), la décision implicite du maire refusant, après la constatation par le Conseil d’État de la nullité du contrat passé par la commune pour la réalisation d’un groupe scolaire, d’ordonner aux entreprises cosignataires du marché de rembourser les sommes prétendument versées à tort par la commune à ces entreprises (CE 10 févr. 1922, Courtet, n° 116582, Lebon ; D. 1992. 414 , obs. P. Terneyre ; RDI 1992. 212, obs. F. Llorens et P. Terneyre ), le budget de la commune dont les recettes étaient surévaluées (CE 16 mars 2001, Cne de Rennes-les-Bains c/ Lacan, n° 160257, Lebon ; RFDA 2002. 807, note S. Damarey ), ou encore une délibération autorisant la conclusion d’un bail emphytéotique administratif eu égard, en l’espèce, aux conséquences financières de cette décision sur le budget municipal du fait de la très longue durée du bail et du montant modique de la redevance prévue par le contrat (CE 10 févr. 2017, Ville de Paris, n° 395433, Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. D. Poupeau ; Lebon ; AJDA 2017. 319 ; ibid. 684 , concl. O. Henrard ; RDI 2017. 298, obs. N. Foulquier ; AJCT 2017. 346, obs. O. Didriche ; JCP A 2017. 2114, note H. Pauliat).

Cependant le contribuable local n’est pas recevable à attaquer des décisions qui diminuent les dépenses ou qui réalisent des économies, telle celle décidant la suppression d’un sanatorium (CE, sect., 25 mars 1955, Hivet et...

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